Levées de fonds : malgré la crise, encore un semestre de tous les records pour la French Tech

Les startups de la French Tech ont levé 8,4 milliards d'euros au premier semestre 2022, soit une progression spectaculaire de 63% par rapport au premier semestre 2021. Les 20 opérations de plus de 100 millions d'euros pèsent à elles seules la moitié du total et ont engendré 7 nouvelles licornes, contre 11 en 2021. Malgré la crise, qui touche davantage les autres pays, les levées de fonds en France vont certainement encore battre tous les records en 2022.
Sylvain Rolland
(Crédits : French Tech)

C'est bien connu : quand tout va bien, la France avance moins vite que ses voisins. Mais, en temps de crise, l'Hexagone s'en sort mieux. L'adage s'était déjà vérifié en 2020, l'année du Covid. Et rebelote au premier semestre 2022 : alors que les valeurs tech s'effondrent en Bourse et que les levées de fonds se font moins fringantes aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Royaume-Uni, la French Tech, elle, signe un nouveau record : 8,4 milliards d'euros levés en six mois, soit une progression gigantesque de 63% sur un an.

Progression spectaculaire des méga-levées de + de 100 millions d'euros

Ce montant spectaculaire est tiré par le growth equity, c'est-à-dire les tours de table supérieurs à 100 millions d'euros. Alors que l'écosystème a enregistré 362 levées de fonds au total, les 20 opérations de growth equity pèsent presque la moitié du montant total : 4,48 milliards d'euros, contre 3,91 milliards d'euros pour les 342 autres opérations de financement. C'est une progression énorme : il y a eu quasiment autant de méga-levées de fonds (20) en six mois en 2022, que pendant toute l'année 2021 (22).

« C'est assez surprenant mais cela signifie que la crise ne touche pas forcément les startups les plus matures, celles qui ont un excellent ARR [les revenus récurrents, Ndlr], des coûts maîtrisés et une forte croissance. Cela montre que la crise ne remet pas en cause les fondamentaux de la tech, qui est toujours un moteur pour l'économie. Crise ou pas, la transformation numérique reste une tendance de fond », affirme Franck Sebag, Associé chez EY et auteur de l'étude.

Le Top 5 du semestre se compose de la fintech Qonto (486 millions d'euros en janvier), la pépite de la notation RSE EcoVadis (478 millions d'euros en juin), la plateforme d'électronique reconditionnée Back Market (450 millions d'euros en janvier), la startup de robotique industrielle Exotec (305 millions d'euros en janvier) et la cleantech dans l'énergie solaire NW Groupe (300 millions d'euros en juin). Doctolib, qui a annoncé en mars une levée de fonds de 500 millions d'euros, ne figure pas dans le Top 5 parce que l'entreprise n'a en fait levé que 250 millions d'euros en capital-risque, le reste étant de la dette, nous précise EY. La startup la mieux valorisée de la French Tech (5,8 milliards d'euros, un record) atteint toutefois facilement le Top 10.

Toutes ces startups, à l'exception de Back Market et Doctolib qui l'étaient déjà, sont devenues des licornes ce semestre. Il faut aussi ajouter à la liste les fintech Spendesk et Payfit (après leur levée de fonds en janvier de respectivement 100 et 254 millions d'euros), et la place de marché e-commerce Ankorstore (après son tour de table de 250 millions d'euros en janvier). Soit 7 nouvelles licornes en un semestre, ce qui est évidemment aussi un record. Le millésime de 11 nouvelles licornes en 2021 devrait ainsi être atteint ou battu au deuxième semestre.

Les trois plus grosses levées françaises, Qonto, EcoVadis et Back Market, atteignent même le Top 10 européen, respectivement aux places 5, 6 et 7. C'est la première fois que trois pépites françaises s'y hissent. La France y est même le pays le plus représenté, ce qui est, là aussi, une première. Le Royaume-Uni occupe en revanche les deux premières places avec le 1,2 milliard d'euros levé par The Access Group (logiciels), et les 909 millions d'euros de la fintech Checkout.com. La Suisse (2 entrées), la Croatie, le Portugal et les Pays-Bas sont également présents dans le Top 10, mais l'Allemagne n'y est pas.

Si le semestre est tiré par la locomotive du growth equity, qui progresse de 120% par rapport au premier semestre 2021, cela ne doit pas éclipser la solidité de la base.

Le segment du venture capital -les levées de fonds de moins de 100 millions d'euros- enregistre également une progression de 26% sur un an, à 3,91 milliards d'euros contre 3,10 milliards au premier semestre 2021. Le nombre d'opérations baisse toutefois de 13% : 342 cette année, contre 407 il y a un an. Mais le montant progresse en raison d'un ticket moyen plus élevé, à 11,43 millions d'euros.

Trois indicateurs montrent que la crise est bien là

En regardant les chiffres de plus près, plusieurs éléments montrent tout de même l'impact de la crise. Tout d'abord, la baisse de 13% en volume : 416 opérations au premier semestre 2021 contre 362 cette année, alors qu'il n'y a jamais eu autant de startups en France (environ 20.000 d'après la Mission French Tech). « Un peu moins de startups lèvent des fonds, c'est mineur, mais tout de même significatif d'un début de tension au bas de la pyramide », note Franck Sebag. Effectivement, le nombre de levées de moins de 10 millions d'euros a chuté de presque 20% en un an, et c'est la phase d'amorçage qui semble avoir le plus ralenti. Autrement dit, la crise rend bien l'accès à l'argent plus difficile pour les startups, surtout les plus jeunes.

L'autre indice révélateur est la chute spectaculaire sur un an du nombre de levées de fonds entre 50 et 100 millions d'euros : 11 en 2022 contre... 47 (!) au premier semestre 2021, soit une plongée vertigineuse de 77%. Parallèlement, le nombre de tours de table à l'échelon inférieur -entre 20 et 50 millions d'euros- connaît une évolution inversement similaire : +79% (61 opérations en 2022 contre 34 l'an dernier).

« Les deux sont liés, cela montre que la crise impacte les valorisations, et que les investisseurs comme les entrepreneurs sont plus prudents. Pré-crise, une startup qui voulait lever entre 20 et 50 millions d'euros finissait facilement par lever entre 50 et 100 millions puisqu'il y avait une euphorie autour des valeurs tech. Aujourd'hui, c'est fini. Les startups qui lèvent entre 50 et 100 millions d'euros ont vraiment besoin de ce montant-là. D'où la forte chute du segment entre 50 et 100 millions qui rejaillit sur une progression du même niveau du segment entre 20 et 50 millions », analyse-t-il.

Troisième indice : la différence entre le premier trimestre (essentiellement pré-crise, puisque les Bourses mondiales ont commencé à être vraiment chahutées avec l'invasion de l'Ukraine fin février) et le deuxième trimestre (depuis la crise). Les startups françaises ont levé 4,71 milliards d'euros entre janvier et mars (+120% en valeur et +8% en volume), puis 3,68 milliards d'euros entre avril et juin (+11% en valeur et -38% en volume). Janvier a été extraordinaire (2,8 milliards d'euros, 5 licornes), suivi par des mois de février et mars en légère hausse sur un an. En revanche, avril et mai ont marqué une vraie chute (-38% et -29% en valeur). Le deuxième trimestre a toutefois été sauvé par le mois de juin, qui totalise 2,15 milliards d'euros levés, le double par rapport à juin 2021. Janvier et juin sont d'ailleurs les deux seuls mois qui ont fait naître des licornes : 5 en janvier et 2 en juin. « Il y a un net ralentissement entre le premier et le deuxième trimestre, avec la situation étrange d'un semestre débuté et conclu par un mois extraordinaire, entourés par des mois moyens/bons -février et mars- et mauvais -avril/mai-. Sans le mois de juin, le deuxième trimestre serait même très inquiétant », indique Franck Sebag.

Un deuxième semestre sous tension

Qu'en déduire pour la suite ? « On peut s'attendre à un troisième trimestre dans la lignée du deuxième, ensuite tout dépendra de l'évolution de la situation macroéconomique », poursuit l'expert.

Malgré tout, Franck Sebag se rassure. « Je m'attendais clairement à pire. Le deuxième trimestre s'est effondré en volume par rapport à l'an dernier, ce qui est source d'inquiétude, mais il progresse très légèrement en valeur grâce au mois de juin, ce qui montre que la French Tech est résiliente », ajoute-t-il.

L'euphorie du premier trimestre et notamment du mois de janvier 2022 semble toutefois hors de portée. Il n'y a jamais eu aussi peu d'introductions en Bourse dans la tech mondiale depuis 10 ans : 9 au premier semestre 2022 contre 39 l'an dernier. Et les rares qui osent tenter le pas subissent des revers, à l'image de Deezer en France dont la valorisation a chuté de 27% le premier jour et de 40% en cinq jours.

« La crise accentue ce qui était déjà un problème pour la French Tech : les exits. Le marché boursier s'est complètement refermé en Europe comme aux Etats-Unis. Ce sont donc le private equity et les family offices qui devraient animer le marché dans les prochains mois », indique Franck Sebag.

L'Allemagne en souffrance, le Royaume-Uni moins fort que d'habitude

Ey baromètre 2022 comparatif

La comparaison entre la France et ses voisins britannique et allemand prouve la résilience de la French Tech. Comme en 2020 pendant la crise Covid, l'Allemagne s'est quelque peu effondrée au deuxième trimestre, permettant à l'Hexagone de lui chiper la deuxième place en Europe.

Les startups outre-Rhin ont levé 6,26 milliards d'euros entre janvier et juin pour 337 opérations, soit une baisse de 20% par rapport au premier semestre 2021. Pour la première fois, la France bat l'Allemagne sur les deux segments : le venture capital (moins de 100 millions d'euros) et le growth equity (+ de 100 millions d'euros).

De son côté, le Royaume-Uni reste le leader incontestable de la tech européenne, avec 18,39 milliards d'euros levés au premier semestre via 863 opérations. Soit tout de même 10 milliards d'euros de différence avec la France. Mais les Britanniques étaient habitués à une croissance plus fringante : leur écosystème n'a progressé que de 12% en valeur et de moins de 1% en volume. « La France a clairement la meilleure croissance des trois pays, ce qui montre qu'on est à la fois plus résilients face aux crises, mais aussi que l'écosystème n'a pas fini son rattrapage », décrypte Franck Sebag.

Essor des Hauts-de-France et de la Nouvelle-Aquitaine en France

En France, la région Ile-de-France concentre encore l'essentiel de la valeur de l'écosystème. Paris et sa région pèsent 80,2% des investissements en valeur (6,73 milliards d'euros) et plus de 70% en volume (241 opérations), une proportion stable sur un an.

La surprise vient plutôt de la compétition entre les régions pour les places suivantes. Ces dernières années, la région Aura prenait quasiment toujours la deuxième place. Au premier semestre 2022, elle se fait reléguer à la cinquième place à cause des progressions spectaculaires des Hauts-de-France et de Nouvelle-Aquitaine. Lille et sa région accrochent ainsi la deuxième place avec 4,7% des investissements (392 millions d'euros levés en 13 opérations). Nouvelle-Aquitaine prend la dernière place du podium avec 3,5% des investissement (299 millions d'euros en 17 opérations).

La quatrième place va à la région Sud, avec 296 millions d'euros levés en 28 opérations. De son côté, Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) a beau réussir davantage de tours de table (32), le montant total levé par ses startups n'est que de 255 millions d'euros, stable sur un an, ce qui lui confère la cinquième place. Pays-de-la-Loire (170 millions d'euros) et Occitanie (118 millions d'euros) suivent, les autres régions n'atteignent pas la barre des 100 millions d'euros levés par leurs startups.

Ey baromètre 2022 régions

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 18/07/2022 à 8:38
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Il me semble qu'à part Exotec il y a très peu d'industrie (au sens large)

à écrit le 18/07/2022 à 8:02
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Il faut que le risque paye parceque dans la bulle des start up beaucoup exploseront en vol

à écrit le 18/07/2022 à 7:31
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La France n'est qu'un immense casino, les français sont des parieurs sauf pour ceux qui sont refoulés aux portes sans la thune!

à écrit le 18/07/2022 à 6:53
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Cette levée de fond va encore augmenter notre déficit commercial sachant que nous dépendons majoritairement des technologies étrangères. C'est donc loin d'être réjouissant. Une levée de fond pour le secteur de la Healthtech aurai été autrement plus b...

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