Ministère du Numérique ou simple secrétariat d'Etat ? La question a agité l'écosystème tech français depuis un mois, a donné lieu à d'intenses discussions parmi les proches du président, et a mobilisé, dans les colonnes de La Tribune, ceux qui estiment que les enjeux de la révolution numérique sont trop importants pour être pilotés au gouvernement par un "simple" secrétariat d'Etat.
Finalement, le président tranché : ce sera ni l'un, ni l'autre. Ou plutôt, ce sera les deux "en même temps". Déception : il n'y aura pas de ministère du Numérique de plein exercice. Mais surprise : le ministère de l'Economie et des Finances se voit doter d'une dimension numérique tout simplement inédite. A la place de piloter le ministère "de l'Economie, des Finances et de la Relance", Bruno Le Maire, qui garde le poste, se voit confier "l'Economie, les Finances et la Souveraineté industrielle et numérique".
Politisation inédite du numérique via la souveraineté
Il ne faut pas sous-estimer l'importance symbolique de cette promotion du numérique à Bercy. En plaçant l'enjeu de la souveraineté numérique dans les prérogatives du ministre de l'Economie et des Finances, le gouvernement Borne assume pour la première fois que le numérique est éminemment politique, et que les choix de l'Etat sur les sujets numériques s'inscrivent dans le cadre d'une politique économique globale. C'est une prise en compte inédite, même si incomplète car réduite aux seuls enjeux économiques de souveraineté, de la transversalité du numérique.
Emmanuel Macron envoie donc le message que la souveraineté en général -industrielle, numérique et même alimentaire, cette dernière étant rattachée au ministère de l'Alimentation- sera l'un des objectifs politiques du nouveau quinquennat. Par ricochet, cela signifie que le ou les secrétaires d'Etat qui s'occuperont des enjeux sectoriels du numérique -et qui seront nommés après les élections législatives- devront également agir en cohérence avec cette finalité. "Cette décision montre qu'il y a l'ambition de créer un numérique souverain, que le numérique soit un outil de souveraineté pour la France, ce qui est une très bonne nouvelle", se réjouit le député LREM Eric Bothorel, co-rapporteur de la mission parlementaire sur la souveraineté numérique et candidat pour le maroquin numérique.
Même satisfecit de la part du co-rapporteur de ce rapport de référence, le député (Modem) Philippe Latombe :
"Le verre a moitié plein, c'est que cela signifie probablement qu'il y aura un ministre délégué ou un secrétaire d'Etat spécialement dédié aux enjeux de souveraineté à Bercy, en plus du secrétariat d'Etat au Numérique. Le verre à moitié vide est que j'aurais préféré un vrai ministère du Numérique englobant la souveraineté, la cybersécurité, l'écosystème tech et la réforme de l'Etat, mais chaque chose en son temps ce qui se passe est déjà très positif", indique-t-il à La Tribune.
De son côté, l'écosystème tech, forcément déçu de ne pas avoir obtenu de ministère du Numérique de plein exercice, préfère voir le verre à moitié plein. "Le message envoyé est fort, va dans le bon sens et pourrait dynamiser les solutions françaises portées par les startups", analyse Maya Noël, la directrice de France Digitale. Qui poursuit : "Il y aura certainement en plus de ce poste un secrétariat d'Etat dédié aux sujets de l'écosystème comme sous le précédent quinquennat, donc le numérique s'étale à Bercy et progresse au sein du gouvernement, ce qui est une très bonne chose même si ce n'est pas aussi ambitieux que ce que nous souhaitions", ajoute-t-elle.
Scepticisme sur Bruno Le Maire et la stratégie de souveraineté
Reste désormais le plus important : quelle sera la politique de la France en matière de souveraineté numérique ? Le maintien en poste de Bruno Le Maire pour le poste inquiète certains experts du sujet.
"Le fait que le terme souveraineté numérique entre dans le gouvernement est une victoire pour nos idées. Sur l'implémentation, je reste extrêmement prudent car Bruno Le Maire n'a pas montré sa capacité à écouter les acteurs de cet écosystème", estime l'entrepreneur Tariq Krim.
Effectivement, Bruno Le Maire est le choix de la continuité. Or, malgré les discours, dans les faits le premier quinquennat d'Emmanuel Macron a été très insuffisant dans ce domaine. Et notamment dans le cloud, qui est la couche d'infrastructures logicielles sur laquelle repose toute l'économie numérique, et donc la mère de la bataille autour de la souveraineté. Or, la stratégie "cloud de confiance", pilotée par Bruno Le Maire et Cédric O, fait la quasi-unanimité contre elle, y compris au sein même de l'Etat, car elle ouvre grand la porte aux géants américains du cloud, ce qui leur permettra de gagner de nouveaux marchés au sein de l'administration et des opérateurs d'importance vitale (OIV) et de services essentiels (OSE).
"J'espère que l'ambition affichée sera correctement déclinée, c'est tout l'enjeu maintenant. Il est vrai que Bruno Le Maire n'est pas le plus critique vis-à-vis des Gafam mais son poids politique est un atout, notamment vis-à-vis de l'Europe qui est en train de reculer sur sa souveraineté numérique comme l'a montré le récent accord sur les transferts transatlantiques de données", ajoute Philippe Latombe.
Selon lui, la politique qui sera menée va aussi dépendre des personnes choisies aux postes stratégiques de la Direction interministérielle du numérique -Dinum- et des secrétaires d'Etat qui incarneront les sujets numériques à Bercy. Verdict après les élections législatives.
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