Top départ pour Amazon dans la course à l'ordinateur quantique. Le 26 octobre, l'entreprise a annoncé l'ouverture attendue de l'AWS Center for Quantum Computing, à Pasadena, en Californie. Le géant de la tech mise sur ce bâtiment de près de 2.000 mètres carrés dédié à la construction de l'ordinateur quantique pour rattraper son retard sur Google, IBM et des universités chinoises, plus secrètes sur leurs avancées.
Capable d'effectuer des calculs irréalisables avec les machines d'aujourd'hui, l'ordinateur quantique pourrait révolutionner toutes les industries. Mais cette machine n'existe aujourd'hui qu'à l'état embryonnaire, et ses capacités potentielles restent théoriques. A l'heure actuelle, les scientifiques ne s'accordent même pas sur la méthode d'ingénierie pour produire le phénomène nécessaire au fonctionnement de l'ordinateur quantique, le fameux qubit.
IBM et Google misent par exemple sur les circuits supraconducteurs, Microsoft sur les fermions de Majorana, IonQ et Honeywell sur les ions piégés, tandis que le CEA tente sa chance avec des spins d'électrons dans le silicium. Autrement dit, plusieurs ordinateurs quantiques, bâtis différemment, pourraient voir le jour, tout comme ils ne pourraient jamais atteindre le potentiel espéré.
Amazon au plus proche des chercheurs académiques
La course à la construction de l'ordinateur quantique a déjà commencé, mais les participants ont tout juste parcouru les premiers mètres. Amazon, avec sa puissance financière, présente des atouts de choix pour rattraper son retard.
Elle va développer des circuits supraconducteurs, comme IBM et Google. Sauf que pour se différencier, l'entreprise fondée par Jeff Bezos compte notamment s'appuyer sur les récentes découvertes scientifiques des fondateurs de la startup française Alice & Bob, qu'elle cite abondamment dans son article de référence sur l'ordinateur quantique.
« Notre approche est de "stabiliser" les qubits, pour éviter que des éléments extérieurs perturbent les calculs et engendrent des erreurs », résumait à la Tribune Théau Perronin, CEO d'Alice & Bob. « Cette approche était considérée comme atypique car les autres acteurs travaillent plutôt sur de la correction d'erreurs par redondance -réaliser énormément de copies du même calcul pour identifier et éliminer les erreurs- ou travaillent sur d'autres technologies pour stabiliser le qubit. »
Si Amazon peut avoir cette position ambitieuse, c'est parce que l'entreprise travaille sur son entrée dans la petite sphère de l'informatique quantique depuis déjà deux ans. Elle avait alors formé une division spécialisée au sein d'Amazon Web Services, sa branche cloud. Pour diriger cette nouvelle équipe, Amazon avait alors débauché Oskar Painter, chercheur à Caltech, université à la pointe sur le sujet.
Amazon a pioché dans les talents de Caltech car il prévoyait installer son centre de recherche directement sur le campus. Avec l'ouverture des locaux cette semaine, l'entreprise en a d'ailleurs profité pour recruter un autre chercheur, Fernando Brandão. En échange, la firme de Jeff Bezos prévoit de renforcer l'écosystème local, en finançant plusieurs programmes et bourses en parallèle de son investissement dans les infrastructures de l'université. La guerre des talents fait déjà rage dans le secteur, et avec son positionnement, Amazon se met en bonne position pour de futurs recrutements. Elle va profiter du pouvoir d'attraction de Caltech, représenté par le physicien de renommée mondiale John Preskill, et l'héritage de Richard Feynman, ancien professeur considéré comme un des pères du quantique. En plus, elle pourra être au plus près des dernières découvertes académiques de Caltech.
Le futur du cloud en jeu
A l'intérieur du centre d'Amazon, les équipes vont travailler sur le développement des puces informatiques, mais aussi sur le matériel annexe nécessaire à leur bon fonctionnement. Par exemple, les circuits supraconducteurs nécessitent d'opérer dans un cryostat -une sorte de congélateur de pointe-, à une température proche du zéro absolu, pour que les qubits s'approchent d'un état de stabilité. Ces cryostats, comme l'ensemble de l'infrastructure autour des puces, doit être amélioré pour que la technologie passe un jour à l'échelle.
Vu la complexité et le coût des installations, les ordinateurs quantiques ne pourront probablement pas être installés chez les clients. En conséquence, le modèle économique qui se dessine pour les constructeurs consiste à louer aux clients de la puissance de calcul, à l'heure, ou à plus long terme. Autrement dit, l'offre autour de l'informatique quantique sera une offre cloud, un secteur dont Amazon Web Services est le leader mondial. L'entreprise teste déjà le modèle : elle propose depuis 2018 un service cloud qui donne accès à distance à des calculateurs quantiques (à mi-chemin entre ordinateurs traditionnels et ordinateurs quantiques) comme ceux de D-Wave.
Si Amazon affiche fièrement sa nouvelle devanture, il garde en revanche secret son nombre exact d'employés -on parle de plus d'une centaine, un nombre conséquent pour le secteur-, le coût du bâtiment, ses investissements dans la recherche ou encore le montant des financements dans les programmes de l'université. Face à lui, Google, qui a aussi inauguré un centre dédié au quantique plus tôt dans l'année, parle de milliards de dollars d'investissement. L'objectif : commercialiser un « ordinateur quantique utile » dès 2029. Chargé à Amazon de rattraper son concurrent d'ici là.
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