Pour Mark Zuckerberg et Meta, la bataille de l'IA générative est aussi une guerre d'image

À L'AFFICHE. Annonces sous forme de vidéo face cam décontractée, nouveau style vestimentaire... Le fondateur et PDG de Meta essaie de redevenir à la mode à la faveur du tournant de son entreprise vers l'intelligence artificielle générative. Un changement qui ne passe pas inaperçu chez les internautes, en particulier ces derniers jours suite au lancement de Llama 3, la nouvelle version du grand modèle de langage de la firme. Dans la guerre de l'IA, Meta pourrait-il gagner, contre toute attente, la bataille de la com' ?
Dans la guerre de l'IA, Meta et son fondateur et PDG pourraient-ils gagner, contre toute attente, la bataille de la com' ?
Dans la guerre de l'IA, Meta et son fondateur et PDG pourraient-ils gagner, contre toute attente, la bataille de la com' ? (Crédits : D.R. / Compte Instagram de Mark Zuckerberg)

Dans une vidéo facecam, Mark Zuckerberg présente Meta AI, son assistant chatbot dopé à l'IA censé détrôner ChatGPT, à ses 13 millions d'abonnés sur Instagram. Son phrasé est détendu, il porte une chaînette, les cheveux légèrement plus longs qu'à l'habitude, et un t-shirt bleu foncé ample. La séquence fait ricaner certains internautes, qui s'étonnent de voir un Zuck « presque cool ». Peu de temps après, circule sur les réseaux sociaux une photo retouchée, qui lui ajoute une barbe de trois jours, comme pour accentuer la métamorphose. L'image devient virale. Elle est commentée de blagues plus ou moins heureuses (« avant il volait vos données, maintenant il vole votre femme »). Quelques jours plus tard, Mark Zuckerberg réitère l'exercice de la vidéo décontractée. Cette fois-ci il tient un micro cravate entre ses doigts façon TikTok. Il annonce le lancement d'Horizon OS, magasin d'applications pour son casque de réalité virtuelle. En story, il poste une version de sa vidéo avec un filtre barbe.

Risée du web en 2022, retour en grâce en 2024

« Il est pleinement entré dans la culture internet », commente Jean-Baptiste Bourgeois, directeur de l'agence de communication We Are Social. Le patron est depuis longtemps caricaturé sur les réseaux sociaux et sujet de mèmes. Mais rarement ces derniers ont été en sa faveur.

Sa nouvelle attitude semble se confirmer en format interview. Au micro du podcasteur Dwarkesh Patel, le PDG affiche le même air détendu et souriant. Il vient, entre autres, présenter Llama 3, le nouveau grand modèle de langage de l'entreprise, qui promet de bouleverser le marché. « Il a l'air humain, c'est sûr que Llama 3 doit tourner sous son capot », « blague à part, j'aime bien le nouveau Zuck », peut-on lire en commentaire. Le milliardaire est en effet très loin de sa mine déconfite, son ton robotique et son éternel « je suis désolé » répété aux sénateurs. Les sujets sont, il faut dire, plus faciles à adresser que celui des données personnelles des utilisateurs, la modération des fake news ou des contenus pédocriminels. Pendant 1h30, le dirigeant est invité à parler des prouesses technologiques de ses modèles, son avance en matière de puissance de calcul, ou encore de l'importance de sa stratégie open source...

Jean-Baptiste Bourgeois, qui salue le retour en grâce de l'entreprise, note n'avoir jamais vu le créateur de Facebook si « à l'aise ». D'autant que l'entrepreneur revient de loin. Il y a deux ans, Mark Zuckerberg était la risée du web avec son virage raté vers le métavers. Ce come-back s'accompagne de résultats financiers triomphaux. En 2023, l'entreprise a enregistré un bénéfice net de 40 milliards de dollars (au prix de sévères coupes dans les effectifs) et un chiffre d'affaires de 134,90 milliards de dollars en progression de 16 %. Elle a aussi pour la première fois annoncé le versement de dividendes aux actionnaires.

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« Du geek mal à l'aise au cow-boy viriliste »

« Il est indéniable que Mark Zuckerberg a modifié son image publique, abonde Olivier Ertzscheid, maître de conférences en science de l'information et de la communication. Il est passé du geek mal à l'aise à celui du cow-boy qui joue sur le côté viriliste. » Car outre son changement de style vestimentaire et son sourire, Zuckerberg fait aussi savoir qu'il s'entraîne au jujitsu, et qu'il a pour nouveau hobby l'élevage de bétail.

Ce changement d'attitude est perceptible depuis plusieurs mois. On a vu un Mark Zuckerberg visiblement « media trainé » se marrer aux côtés de combattants de mixed martial arts (MMA) avec plus ou moins de spontanéité, soulever des poids 5 mois à peine après une opération du genou, échanger son blouson avec Jensen Huang (PDG et fondateur de Nvidia), l'autre patron en vue de la tech.

L'apogée du Zuck viriliste date sans doute de juin 2023. Les internautes et la presse suivent alors la préparation de son potentiel combat avec Elon Musk dans une cage de MMA. Le match n'a jamais eu lieu. Mais Mark Zuckerberg est sorti d'une certaine manière gagnant de cette affaire. Ce projet d'affrontement est l'occasion de rappeler que l'entrepreneur est en meilleure forme physique que son adversaire - tout cela est évidemment documenté sur son compte Instagram. Surtout : Zuck apparaît sain d'esprit face à un Musk hors-de-contrôle, qui enchaîne les moqueries de cour de récréation, note Le Monde.

« Il montre quelque part qu'il peut être cool comme Elon Musk, en faisant partie de la culture internet lui aussi, mais dans une version bien plus contrôlée, s'amuse Jean-Baptiste Bourgeois. C'est assez commun dans la Silicon Valley de voir les patrons de la tech adopter une image qui vient contrebalancer celle d'un autre patron influent. Lorsque Jack Dorsey était à la tête de Twitter, il représentait la figure du patron new-age, un peu hippie. Zuckerberg à ce moment-là incarnait plutôt celle du patron rigoriste, sérieux.»

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Ce n'est effectivement pas le premier changement d'ère de Mark Zuckerberg. Après ses débuts de geek en claquette, il assume davantage son assise de patron vers 2015. La presse lui consacre alors la Une régulièrement. Certains veulent voir en lui une figure présidentielle. « Facebook peut-il sauver le monde ? », allait jusqu'à titrer Wired. Tout bascule en 2017 avec l'affaire Cambridge Analytica. Facebook est accusé d'avoir participé au ciblage des internautes durant l'élection présidentielle américaine et le référendum sur le Brexit. Mark Zuckerberg devient alors l'incarnation du pire de la Silicon Valley, et de sa mauvaise influence sur nos démocraties.

Mark Zuckerberg façonne son propre mythe de l'entrepreneur

Son apparente « rédemption » s'inscrit parfaitement dans le mythe de l'entrepreneur, tel que l'expose le sociologue Anthony Galluzzo, auteur d'un ouvrage à ce sujet. Après avoir été reconnu comme un visionnaire, qui a chamboulé tout un pan de l'économie (voire du monde), Zuck a pris des coups, et revient grandi de ses expériences. En effet, Meta accompagne le développement de l'IA générative de tout un discours sur l'importance de la sécurité et des garde-fous, pour prévenir les erreurs plutôt que de les rattraper, comme cela a été le cas précédemment. On retrouve ce même type de mythologie entrepreneurial chez Steve Jobs. Ce storytelling, explique le maître de conférence, est souvent encouragé par l'entreprise elle-même qui y voit un moyen d'être mieux valorisée médiatiquement, et financièrement.

« Reste que cette nouvelle image ne passe pas toujours le test du réel, observe Olivier Ertzscheid. Lors de son audition en février dernier devant les sénateurs au sujet de la sécurité des enfants en ligne, un sénateur lui suggère de s'excuser auprès des familles des victimes. Il reste le petit garçon geek engoncé dans son costume, ne sachant pas trop comment s'y prendre. »

Et le patron devrait avoir d'autres occasions de s'excuser en costume. Son entreprise est l'objet d'une enquête de la Commission européenne pour non-conformité au Digital Markets Act. Alors que nous traversons une année d'élection, sa plateforme est par ailleurs accusée par une récente étude de ne modérer correctement que 5 % des publicités politiques diffusées sur Facebook et Instagram.

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Un changement d'attitude pour accompagner sa stratégie sur l'IA

En ayant l'air cool et sportif, Mark Zuckerberg cherche-t-il à nous faire oublier ses casseroles ? Pour Olivier Ertzscheid ce narratif n'est pas tellement là pour faire diversion. Cette surcommunication est plutôt liée à son virage vers l'intelligence artificielle générative, et son besoin de prouver aux investisseurs qu'il a une avance. « Mark Zuckerberg est là depuis le début, ajoute Jean-Baptiste Bourgeois. Il incarne donc un nouveau personnage à chaque développement d'une verticale. Ici, pour parler d'intelligence artificielle, il reprend les codes des développeurs, qui connaissent bien l'open source, et la culture internet.»

Son discours s'attache à montrer qu'il a la capacité de mettre cette technologie entre les mains de tous, du moins des milliards d'utilisateurs de ses plateformes. Mark Zuckerberg voit l'IA comme un moyen d'irriguer l'ensemble de ses produits. Aux États-Unis et dans quelques autres pays, Meta AI, son assistant virtuel, est désormais intégré à WhatsApp, Facebook et Instagram. « Il fait le pari que le volume d'utilisateurs captifs fera tout ». C'est aussi l'occasion de mettre entre les mains des utilisateurs de mini usines à contenus, donc de quoi publier davantage, d'alimenter les plateformes, et d'y rester plus longtemps. Le patron de Meta se projette même plus loin. Toujours au micro du podcasteur Dwarkesh Patel, il imagine un avenir où les « centaines de millions de créateurs » pourront construire leur propre assistant afin de répondre à leurs abonnés.

Dans cette course à l'IA, Jean-Baptiste Bourgeois note que Meta se démarque justement des autres grâce à sa communication maîtrisée. Un élément différenciant puisque côté performances des modèles, cela se joue dans un mouchoir de poche. « Meta sait désormais se servir de ses propres plateformes sociales pour communiquer. C'est quelque chose qu'Elon Musk a très bien réussi à faire avec X. Pour suivre les nouvelles fonctionnalités, et les développements de la plateforme, vous suivez Elon Musk sur son propre réseau social. Meta parvient à reproduire la même chose ici. Et c'est un atout majeur. Microsoft et Google ne sont pas parvenus à rendre leurs annonces aussi virales, malgré des efforts en publicités pour Microsoft et en campagnes d'influence sur TikTok pour Google ».

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Commentaires 3
à écrit le 23/04/2024 à 16:01
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En espérant que pour le future des lois seront établis pour interdire la manipulation des photos dans le cadre de préservation d'authentification de l'information.

le 24/04/2024 à 7:55
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Si on veut éradiquer la manipulation de l'information il faut interdire la politique et les politiciens d'abord et avant tout.

le 24/04/2024 à 9:35
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Le droit à l'image est puissant et depuis longtemps en France pas besoin d'une loi en plus, merci.

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