Pourquoi Mounir Mahjoubi presse Amazon de desserrer l'étau autour des TPE/PME françaises

Le secrétaire d'État au Numérique appelle les TPE et PME françaises qui rencontrent des difficultés avec Amazon à le signaler au gouvernement d'ici à la fin du mois de novembre. L'objectif : adoucir les conditions drastiques, voire abusives d'après la Direction générale de la concurrence, qu'Amazon impose aux petits commerçants. Explications.
Sylvain Rolland
Mounir Mahjoubi appelle l'ensemble des TPE-PME françaises qui rencontrent des difficultés avec les plateformes de vente en ligne, à le signaler en ligne sur le site demarches.simplifiees.fr, d'ici à la fin du mois de novembre.
Mounir Mahjoubi appelle l'ensemble des TPE-PME françaises qui "rencontrent des difficultés avec les plateformes de vente en ligne", à le signaler en ligne sur le site demarches.simplifiees.fr, d'ici à la fin du mois de novembre. (Crédits : Reuters)

Il a suffi d'une décision unilatérale d'Amazon pour fragiliser l'ensemble du business de la TPE Caurette, une petite maison d'édition alsacienne. Pendant la canicule du mois de juillet, le géant du e-commerce a subitement décidé de déréférencer les livres vendus par Caurette sur son site. La conséquence ne s'est pas faite attendre : le chiffre d'affaires de la maison d'édition a chuté de 20% pendant quatre mois, notamment à l'étranger. Le directeur de l'entreprise, Jean-Christophe Caurette, s'est retrouvé démuni. "Quand vous ne pouvez plus accéder à votre compte, il n'y a aucun moyen de communication. Les appels, les emails, les courriers restent sans réponse", a-t-il expliqué à France 3.

Mettre Amazon et les TPE-PME autour de la table

Lors d'une visite dans le Bas-Rhin, le secrétaire d'État au Numérique, Mounir Mahjoubi, a rencontré l'entrepreneur et en a profité pour lancer un coup de pression à Amazon :

"La France n'est pas un far west numérique. Par la médiation, je demande aux plateformes de bâtir des relations de confiance avec le tissu de PME et de TPE françaises", a-t-il déclaré.

Le gouvernement appelle ainsi l'ensemble des TPE-PME françaises qui "rencontrent des difficultés avec les plateformes de vente en ligne", à le signaler sur le site demarches.simplifiees.fr, d'ici à la fin du mois de novembre. L'objectif : recenser les plaintes pour permettre ensuite au gouvernement de négocier avec Amazon pour "trouver, avant la fin de l'année, des réponses concrètes aux problématiques récurrentes", d'après le secrétariat d'État au Numérique. Autrement dit, protéger les entreprises du bon vouloir d'Amazon et des autres plateformes phares comme Cdiscount, eBay ou Rue du commerce.

Le médiateur des entreprises, situé à Bercy, a été saisi par Mounir Mahjoubi pour mener les négociations. De son côté, Amazon France affirme sa volonté de collaborer. "Amazon soutient toutes les initiatives susceptibles de contribuer à une plus grande confiance entre les places de marché numériques et les entrepreneurs", a indiqué le géant dans un communiqué de presse. Suite au coup de gueule médiatique de Caurette, Amazon a d'ailleurs recontacté l'entreprise le 1er novembre et a assuré que son déréférencement était lié uniquement à une "erreur de procédure".

Lire aussi : Et si Amazon était le plus puissant - et le plus dangereux - des Gafa ?

Amazon est devenu indispensable aux TPE-PME françaises

La mésaventure de Caurette n'est pas un cas isolé. Et pour cause : plus de 10.000 PME et TPE françaises utilisent Amazon pour vendre leurs produits, afin de toucher une nouvelle clientèle et augmenter leur chiffre d'affaires. À l'heure de la révolution numérique, non seulement les consommateurs se déplacent moins dans les boutiques, mais les petits commerces comme Caurette se retrouvent en concurrence avec des librairies partout en France et à l'étranger, du moment qu'elles savent se distinguer sur la Toile. Dans ces conditions, obtenir une bonne visibilité sur les plateformes qui ont pignon sur rue devient crucial.

Numéro un mondial du e-commerce, valorisé au 5 novembre 814 milliards de dollars en Bourse, Amazon a su, comme Google ou Facebook, devenir incontournable pour les petits commerçants. Le géant de Seattle a réussi sa mutation en marketplace (place de marché) du commerce mondial, vendant à leur place les produits d'autres sites. D'après le fondateur et Pdg d'Amazon Jeff Bezos, "plus de la moitié des produits vendus sur Amazon en 2017 provenaient de vendeurs tiers, notamment des PME et TPE". Cette part a encore augmenté sur les neuf premiers mois de 2018. Autrement dit, Amazon fait son gras en prenant une commission sur les ventes des autres, ce qui lui a permis en 2017 de réaliser un chiffre d'affaires colossal de 173 milliards de dollars dans le monde et de revendiquer 100 millions d'abonnés à son service Amazon Prime, qui ont acheté à eux seuls 5 milliards de produits.

L'impact d'Amazon en France a beau être moindre qu'aux États-Unis, il est déjà énorme et s'accentue d'année en année. D'après une étude de Kantar Worldpanel de février 2018, Amazon pèse à lui seul 18,9% du commerce en ligne en France en 2017, soit un volume d'affaires de 5,7 milliards d'euros sur un marché évalué à 30 milliards d'euros dans l'Hexagone. 3,5 millions de Français visitent le site chaque jour. Les concurrents sont aux fraises : le deuxième, Cdiscount, détiendrait à peine 8,2% de parts de marché, soit plus de 10 points de moins, suivi par venteprivee.com et Showroomprive.

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Des conditions drastiques pour des petits commerçants pris à la gorge

Une telle domination fait baver les petits commerçants, qui se précipitent sur Amazon pour accéder à un public qu'il leur est impossible de toucher eux-mêmes. Le problème soulevé par Mounir Mahjoubi est que la relation plateforme/commerçant n'est pas équilibrée : non seulement la part des ventes en ligne sur des plateformes tierces devient de plus en plus importante pour les PME et TPE, ce qui créé une dépendance économique, mais celles-ci n'ont en plus aucun contrôle et peuvent se faire éjecter à tout moment.

Lire aussi : "Apple peut tuer ton business en une heure" (Cyril Paglino, ex-Pdg de Tribe)

Elles doivent en outre accepter des conditions drastiques, décrites comme abusives par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). L'autorité a publié en décembre 2017 une enquête sur les pratiques du géant américain, et l'a assigné devant le tribunal de commerce de Paris pour "déséquilibre significatif dans les relations commerciales" avec ses vendeurs tiers.

Ainsi, d'après le rapport, Amazon sait d'abord se montrer attirant pour pousser les entreprises à s'inscrire sur sa marketplace, mais beaucoup s'estiment ensuite prises à la gorge. Le géant impose, par exemple, une commission de 15% en moyenne sur chaque vente, voire davantage pour certains produits (20% pour le luxe, par exemple, mais 7% pour la high tech), et garde les données clients.

Dans le cas où ils choisiraient d'expédier eux-mêmes leurs produits, les petits commerçants doivent respecter le cahier des charges très strict d'Amazon (un "taux de commande parfaite" au-dessus de 95%) sous peine d'être expulsés sans ménagement. Or, il suffit de peu - un commentaire client négatif, une annulation, un retard de livraison - pour faire chuter cet indice, et donc risquer l'exclusion.

Pour éviter cette sanction, certains se résignent à souscrire à l'offre payante qui consiste à laisser Amazon s'occuper du service client et de la livraison... quitte à rompre le contact avec les clients et donc à accentuer la dépendance économique. De plus, il faut se battre pour être correctement référencé sur Amazon : ceux qui n'achètent pas de mots-clés auront du mal à voir leur article figurer sur la première page des résultats de recherche.

Taper sur les Gafa : une stratégie de com' efficace pour le gouvernement

Que peut-on attendre de la médiation entre Amazon et les TPE/PME imposée par Mounir Mahjoubi ? En promettant des "réponses concrètes" aux "problématiques récurrentes" sans même les nommer, le secrétaire d'État au Numérique ne s'est pas trop mouillé. Faire plier Amazon sur son mode de fonctionnement paraît également compliqué avant que le tribunal de commerce de Paris se soit prononcé sur l'assignation de la DGCCRF.

En revanche, Mounir Mahjoubi s'inscrit dans la lignée du ton offensif du gouvernement vis-à-vis des Gafa. Son ministre de tutelle, Bruno Le Maire, s'illustre régulièrement dans les médias pour presser l'Europe d'enclencher une réforme sur la fiscalité des géants du Net, accusés de multiplier les stratagèmes fiscaux pour se soustraire à l'impôt. Mounir Mahjoubi et Emmanuel Macron lui-même ne cessent de vanter les mérites du Règlement européen général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis le 25 mai dernier, qui est censé empêcher les abus dans l'exploitation des données personnelles des internautes.

Mounir Mahjoubi n'hésite pas non plus à régulièrement demander des comptes aux Gafa: il tacle Facebook suite à sa fuite massive de données, il tweete le mode d'emploi pour récupérer ses données personnelles détenues par Google, il encourage la préférence nationale - Qwant plutôt que Google, Deezer plutôt que Spotify ou Apple Music -, etc.

En réalité, les enjeux de régulation des entreprises du numérique se jouent surtout à l'échelle européenne. Par ces prises de position musclées, la France tente surtout d'impulser une ligne pour peser sur les négociations à Bruxelles. Taper sur la cible facile des Gafa lui permet aussi d'apparaître comme ferme et actif vis-à-vis des géants américains, ce qui ne peut que lui apporter bonne presse. Pour Mounir Mahjoubi, qui vise l'investiture LREM pour la mairie de Paris en 2020, s'attaquer aux géants du Net contribue également à asseoir sa présence dans les médias -il est partout depuis la rentrée- et à construire sa notoriété pour son propre avenir politique.

Lire aussi : Régulation du numérique : Mahjoubi met entreprises et startups à contribution

Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 22/11/2018 à 10:54
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@Fred 21/11/2018 14:15 Citation "Je suis vendeur pro sur amazon et je confirme nous sommes pressé comme des citrons " Il n'y a pas de concurrence déloyale. J'espère vivement que vous êtes réduit à un citron puisque c'est moi (le client) qui paie....

à écrit le 21/11/2018 à 14:15
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Je suis vendeur pro sur amazon et je confirme nous sommes pressé comme des citrons mais pas que par amazon, les vendeurs chinois pratiquent la concurrence deloyale en ouvrant des plaintes a la propriété intellectuelle ou droit droit de distribution o...

à écrit le 06/11/2018 à 6:24
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Qui est Mounir Mahjoubi ? Cordialement

le 06/11/2018 à 9:20
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Mounir est un ministre qui connaît parfaitement son sujet et comment défendre l’intérêt des français et de la France dans le numérique. La France a de la chance d avoir un homme comme Mounir à ce type de fonction alors qu’il aurait pu gagner beaucoup...

le 06/11/2018 à 16:35
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@Belout 06/11/2018 9:20 Ce monsieur aurait-il pu gagner plus d'argent dans le privé ? Est-il X-Mines, X-Ponts, X-Telecom, X-ENSTA, X-xxx ? Vous ne connaissez pas le privé. Avec sa formation, ce monsieur ne vaut pas plus que € 1500/mois, pas...

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