Quand Watson, le robot "intelligent" d'IBM, cherche un emploi dans le commerce

Le groupe américain cherche à convaincre les commerçants de souscrire aux services de Watson, son système d’intelligence artificielle censé prédire les ventes, prodiguer des conseils en marketing voire même jouer le rôle de “conseiller de vente” robotisé. Entretien d’embauche.
Marina Torre
Parmi les clients de Watson figurent l'enseigne The North Face et la marque de vêtements Carhartt .

Il sait jouer à Jeopardy, tenter des pronostics sportifs, ou se faire remarquer par le président des Etats-Unis pour son rôle dans le domaine médical. Il se prend désormais pour une sorte de conseiller du père Noël.

Watson, le programme "d'intelligence artificielle" développé par IBM, cherche en effet du travail auprès des commerçants. Son objectif? Leur vendre ses services de prédiction des achats et de conseils en marketing récemment empaquetés dans une nouvelle formule payante et sur abonnement: "IBM Commerce Insight".

Quelque jours plus tôt, il a donné un aperçu de ses capacités en matière de détermination des tendances d'achat avec un site gratuit et ouvert au public listant les 100 produits les plus "populaires" du moment aux États-Unis dans trois catégories: technologie, jouets et santé.

Pour faire sa réclame, IBM s'est même offert, en guise de recommandation, l'intervention de Bob Dylan (celui qui vilipendait la publicité dans sa chanson It's all right Ma [I'm only bleeding]  sortie en 1965).

Mais ferait-il pour autant une bonne recrue pour un distributeur? Le bilan avec le concours de Céline Zouari, directrice e-commerce chez IBM en France.

Qui est Watson

Ce programme informatique conçu dans les années 2000 doit son nom à Thomas Watson, dirigeant de C-T-R (computing tabulating recording) company en 1914, qu'il renomme IBM en 1924. Ce programme succède à Deep Blue, l'ordinateur qui avait battu Gary Kasparov aux échecs en 1997.

Ses motivations

Dans un marché de "l'intelligence artificielle" évalué à 50 milliards de dollars aux Etats-Unis par Deloitte, Watson cherche à devenir "leader". Les équipes d'IBM ont même forgé un terme pour évoquer son application dans la distribution: le "commerce cognitif".

Nous estimons qu'en 2020, chaque individu sur la planète produira 1,7 mégaoctet de données par seconde", assure Céline Zouari.

Pour se faire une idée, cela signifie qu'en naviguant sur internet, en échangeant sur des réseaux sociaux ou en utilisant des objets connectés, chaque individu produira assez de données pour remplir la mémoire d'un smartphone 16 Go en moins de trois heures.

Avec son programme d'intelligence artificielle, IBM compte non seulement se frayer un chemin parmi ces milliards de milliards de bits produits sur la planète et qui ne cessent de s'accroître (et dont le stockage et la diffusion génèrent d'énormes dépenses d'énergie). Il veut aussi "comprendre" ces données et en tirer des conclusions susceptibles d'augmenter les revenus des commerçants.

Une ambition décrite ainsi par Céline Zouari:

"La partie cognitive, c'est la possibilité de comprendre le sens profond de ces données: donc les subtilités liées au langage, capter une conversation sur Facebook ou Twitter mais aussi sa substantifique moelle, dans le ton, l'humeur, au même titre qu'un cerveau humain. C'est comprendre l'ironie."

Compétences linguistiques

Pour l'instant Watson parle anglais et "comprend" le français. Parmi les informations passées à la moulinette de ses algorithmes figurent déjà des sources francophones. Mais l'interface utilisée pour lui permettre de s'exprimer n'affiche pour l'instant des résultats qu'en anglais. Il devrait être capable de communiquer dans la langue de Molière "courant 2016". Par ailleurs, il  "apprend" le japonais dans le cadre d'un contrat avec la banque SoftBank. Des adaptations en espagnol et allemand sont également prévues.

De ses capacités linguistiques, le fournisseur de services tente aussi de tirer d'autres applications. Ainsi, avec Fluid, une autre start-up récemment acquise, les ingénieurs du groupe ont développé un "chatbot" - un assistant virtuel - qui permet de dialoguer à l'écrit en langage naturel avec les clients d'un site d'e-commerce par exemple. Le distributeur de vêtements sportifs The North Face expérimente cette fonction qui permet de répondre aux requêtes des clients sur des demandes précises de produits... comme le ferait un vendeur ou un employé de centre d'appels.

Sa finalité

Une machine plutôt qu'un humain pour répondre aux questions des cyberacheteurs? Ses prétentions vont bien au-delà.

"C'est plus qu'un robot, c'est vraiment un assistant. D'ailleurs, quand vous êtes en contact avec un centre d'appels, vous n'obtenez pas toujours de l'information très personnalisée. Il y a souvent des réponses très standard. Cette technologie est capable d'intégrer très rapidement un nombre très important d'informations, bien plus que le cerveau humain", assure Céline Zouari.

De même, employé comme "expert en marketing", il serait en mesure de faire le travail d'un spécialiste. Par exemple, à la question "pourquoi mon shampoing se vend mal à Paris?", il répondra sous forme de graphiques en indiquant le niveau des stocks disponibles par rapport à la demande, sa popularité ou l'impopularité sur les réseaux sociaux par catégorie sociale ou encore l'état de l'opinion sur les produits concurrents.

"Nul besoin d'orienter la question. C'est un processus statistique qui détermine le niveau de corrélation" entre chaque facteur, précise Henri Thouvenin directeur du service des "Business analytics" chez IBM.

L'entreprise envisage même de développer une nouvelle fonctionnalité qui consisterait à répondre automatiquement à chaque cas de figure par des actions concrètes. Par exemple, si le shampoing se vend mal, il pourra suggérer de réduire son prix de 10% pour une catégorie de consommateurs potentiels ciblés.

"Nous laissons toujours le libre-arbitre au professionnel, le but n'est pas non plus de remplacer l'humain à 100%", tempère la responsable commerciale de la filiale française.

Reste qu'avec de tels savoir-faire techniques, il a de quoi concurrencer sérieusement des employés en chair et en os, ou du moins être considéré comme un moyen de plus de réaliser des économies salariales.

Ses limites

Au palmarès des produits les plus tendance du moment, l'Apple Watch figure sur le podium rayon "tech" et les boîtes de Lego Star Wars sont numéro un dans le jouet. Fallait-il vraiment tant d'intelligence pour deviner que les nouveaux jouets de la marque à la pomme et du fabricant danois ont toutes les chances de faire beaucoup parler d'eux en ce moment? Surtout, dans le dernier cas, lorsque l'on observe le dispositif publicitaire et commercial d'une ampleur inédite mis en place avant la sortie du 7e opus de la saga créé par George Lucas.

"Le Big Data, nous savons faire cela depuis longtemps. Maintenant, nous sommes capables d'analyser ce que les gens disent de tel produit, mais aussi la catégorie socio-professionnelle, quel est l'âge, le lieu de résidence, l'appareil sur lequel les produits ont été achetés", répond Céline Zouari.

L'usage de Watson se justifierait moins par la liste elle-même du top 100 que par les explications associées à chaque produit.

C'est du moins ce qui semble avoir convaincu le "Washington Post". Ce dernier relève par exemple que, dans le cas de Lego, la machine d'IBM identifie un effet halo: non seulement les boîtes à l'effigie de Star Wars risquent de se vendre en grande quantité, mais la marque danoise bénéficie d'un effet d'entraînement pour vendre encore plus ses autres boîtes de jeu.

Par ailleurs, pour les e-commerçants, l'aspect "prédictif" est censé permettre d'anticiper ses volumes de stocks. Surtout lors de périodes très tendues comme le "Black Friday" et du "Cyber Monday" où les transactions, même si le volume des ventes tend à se réduire, atteint des dizaines de milliards de dollars. Seulement, de telles périodes se préparent bien en amont.

Alors, jusqu'à combien de temps avant le jour "J" Watson est-il pertinent? Pour le jouet, il serait capable de détecter des tendances "dès qu'il y a des échanges sur les réseaux sociaux, en ce qui concerne ces produits. Les enfants commencent leur liste au père noël environ un mois avant, c'est là que commencent les conversations dans les cours de récréation ou sur les réseaux sociaux", affirme Céline Zouari. De quoi laisser assez de temps pour "gérer le réapprovisionnement" estime-t-elle.

C'est sans compter sur les événements imprévisibles, comme une catastrophe naturelle voire un attentat... Autant d'aléas naturels ou humains qu'une machine, aussi sensible soit-elle, serait bien en peine de prévoir et surtout de gérer. D'ailleurs des détaillants eux-mêmes limitent l'usage de l'informatique dans leurs opérations courantes comme le traitement de leurs réassorts. C'est le cas par exemple chez Primark, un succès commercial grâce à ses prix très bas, comme l'a expliqué sa directrice générale en France à "La Tribune" (voir le numéro de l'hebdomadaire daté du 30 octobre).

Ses atouts par rapport à la concurrence?

IBM est loin d'être la seule entreprise qui investit massivement dans l'intelligence artificielle: Google, Facebook et bien sûr Amazon s'engouffrent aussi massivement dans cette voie, tout comme des startups.

      | Lire aussi : "L'intelligence artificielle est en train de révolutionner l'e-commerce"

Les porte-paroles de Watson mettent surtout en avant sa capacité à comprendre le langage humain en fonction du contexte et ses capacités d'apprentissage, un graal dans le domaine de l'intelligence artificielle. Par ailleurs la largeur de ses sources est présenté comme un autre avantage. Pour sa fonction "conseiller en marketing", Watson en compulse 10.000 différentes, qui vont des réseaux sociaux aux blogs en passant par les avis des clients sur les produits postés en ligne, les relevés météo provenant de the Weather Company, récemment acquise, et bien sûr, le cas échéant, les niveaux de stocks et de ventes des entreprises ayant confié ces données à IBM.

Son prix

L'abonnement au module commerce Insight, le tableau de bord dynamique pour les merchandiser coûte "200 euros par utilisateur et par mois". Le coût de l'application de "chatbot" n'est pas détaillé.

Ses références et ses cibles

La marque américaine de vêtements Carhartt est pour l'instant la seule à avoir officialisé "l'embauche" de l'outil d'analyse de données commerciales pour ses équipes de merchandising. Impossible encore de connaiître l'effet réel de Watson sur l'accroissement du nombre de transactions par rapport aux visites sur les sites d'e-commerce qui l'ont adopté.

C'est donc avec les seules démonstrations théoriques de ses performances que les commerciaux d'IBM tenteront d'en convaincre d'autres lors du congrès organisé chaque année par la National Retail Foundation (fédération américaine de la distribution) en janvier 2016, ou dans salons en Europe. En France, ils invitent leurs clients ou futurs clients dans des locaux à Bois-Colombe où sont reconstitués des lieux susceptibles d'adopter leurs services comme un magasin, un arrêt de bus etc.

Car, avant de convertir Watson en oracle pour marketeurs, IBM gère des plateformes d'e-commerce pour des grands comptes. Parmi ses clients français figurent Boulanger, Darty, Manutan, SFR (pour la VOD), Zara, Massimo Dutti ou C&A.

Marina Torre

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Commentaires 3
à écrit le 07/12/2015 à 20:25
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Et les robots ne seront pas à la CGT ! ouf ! ;o))) ... reste à savoir comment les clients vont gagner de l'argent ?

à écrit le 07/12/2015 à 14:37
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Il pourrait peut-être remplacer Hollande du côté intelligence :-)

à écrit le 07/12/2015 à 13:39
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la business intelligence c'est un peu plus complique que ca ( surtout si on veut gagner de l'argent avec...), et contrairement a ce qui est laisse suppose, utiliser un reseau de neurones ( perceptron pour commencer, apres on peut voir...) ou une mach...

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