Avant de quitter Orange, Stéphane Richard fusille l’État actionnaire et « l’inertie » de l'Europe

Condamné dans l’affaire Tapie, le PDG d’Orange, qui doit rendre son tablier fin janvier, voit l’Etat, premier actionnaire de l’opérateur, comme un boulet qui entrave tout projet de fusion en France ou sur le Vieux Continent. Il en veut également à l’Union européenne d’avoir trop longtemps laissé le champ libre aux Gafa, alors qu’en parallèle, Bruxelles régulait fortement le secteur des télécoms, aujourd’hui affaibli.
Pierre Manière
Stéphane Richard, le PDG d'Orange.
Stéphane Richard, le PDG d'Orange. (Crédits : Reuters)

Le 31 janvier prochain, au plus tard, il quittera Orange après onze années passées à sa tête. Condamné dans l'affaire Tapie, Stéphane Richard fait aujourd'hui son « deuil », comme il dit, lui qui espérait, à 60 ans, jouer les prolongations en tant que président du géant français des télécoms. Affecté par la décision de justice du 24 novembre dernier, il tient à assurer correctement ses fonctions avant de passer la main. La semaine dernière, il s'est rendu à un colloque de l'Avicca, une association regroupant les collectivités engagées dans le numérique. Il a également répondu présent, ce jeudi, lors d'un forum de l'Idate, un think tank spécialisé dans les télécoms, au Palais Brongniart à Paris. Maintenant qu'il a fait une croix sur ses ambitions chez Orange, le dirigeant a retrouvé son franc-parler. Et cela décoiffe.

Sa première cible ? L'Etat ! Cet Etat actionnaire, qui possède encore 23% d'Orange. Celui-là même qui l'a porté, dès 2011, à la tête de ce fleuron du CAC 40. Dans les colonnes du Point, Stéphane Richard a déjà dit, il y a quelques jours, tout le bien qu'il pensait de l'Etat actionnaire, ce « champion des injonctions contradictoires », qui « entretient une forme d'aversion au risque » et « pèse sur les initiatives stratégiques », en faisant, par exemple, capoter le rachat de Bouygues Telecom en 2016. Au forum de l'Idate, le dirigeant en remet une belle couche. D'après lui, l'Etat rend aujourd'hui impossible toute tentative de mariage d'Orange avec un autre grand nom européen des télécoms.

Aux dires de Stéphane Richard, « l'Etat actionnaire d'Orange n'a jamais exprimé beaucoup d'envie, beaucoup d'enthousiasme - c'est le moins que l'on puisse dire - sur des grandes combinaisons européennes ». Il fait notamment référence à un éventuel rapprochement avec Deutsche Telekom, l'opérateur historique allemand. Une opération qu'il a un temps soutenu avant de jeter l'éponge. Selon lui, l'Etat est préoccupé par « le risque d'une forme de dilution d'Orange dans un ensemble européen ». Il redoute une « perte d'identité, de contrôle, et éventuellement une fuite des centres de décision de l'entreprise en dehors de France ».

« Si vous fusionnez Orange et Deutsche Telekom, par exemple, c'est quand même compliqué d'expliquer à nos amis Allemands que le siège va être en France, que les administrateurs représentant l'Etat vont continuer à avoir la même position au sein du conseil d'administration, etc..., explique-t-il. Une telle opération suppose, à un moment, que l'on dépasse ces contraintes, avec l'ambition de construire quelque chose de neuf, qui ne soit pas l'addition d'une identité française et d'une identité allemande, mais bien un groupe européen. Et je pense, honnêtement, que l'Etat français n'est jamais entré dans cette logique. »

En résumé, poursuit Stéphane Richard, ce n'est pas demain la veille qu'Orange jouera un rôle dans une éventuelle consolidation paneuropéenne que Bruxelles appelle pourtant de ses vœux. Le dirigeant se montre, en parallèle, très critique à l'égard de l'Union européenne. Disons-le tout net : il est désabusé.

« L'aventure boursière des télécoms est un désastre »

« Vous savez, moi, en onze ans, j'ai perdu un certain nombre d'illusions sur ce qu'on pouvait attendre de l'Europe, lâche-t-il. Pardon, mais quand il s'agit de régulation, de concentration - et je suis bien placé pour le savoir -, il y a malheureusement une extraordinaire inertie dans le système. »

Dans nombre de dossiers concernant les télécoms, l'Europe, enchaîne-t-il, a tout faux. Dans son viseur, figure l'attachement de Bruxelles à préserver un très haut niveau de concurrence dans tous les pays membres de l'UE, afin de garder des prix bas. Cette politique profite certes aux consommateurs, mais elle affaiblit mécaniquement les opérateurs. « Si vous prenez un pays comme l'Espagne, où Orange est présent, il y a  plus de 15 opérateurs ! », s'étrangle le PDG. Stéphane Richard n'a pas choisi cet exemple au hasard. Tous les principaux opérateurs du pays, dont Orange, taillent aujourd'hui à la hache dans leurs effectifs pour s'adapter à une compétition féroce et à la dégringolade des prix.

Ainsi affaiblis, les opérateurs télécoms européens, dont Orange, ont vu leur cours de Bourse s'effondrer ces dernières années. Stéphane Richard ne mâche pas ses mots. « Toute l'aventure boursière des télécoms est une catastrophe, c'est un désastre », lâche-t-il. Minés par des « valorisations ridicules », les opérateurs deviennent des proies pour « tous les grands fonds de private equity », observe le dirigeant.

« Quand vous voyez que KKR fait une offre sur Telecom Italia avec une prime de 50% sur le cours de Bourse, vous vous dites qu'il y a quand même un problème, enchaîne-t-il. Et on pourrait très bien avoir la même chose chez Orange... »

Mais un sujet énerve peut-être davantage Stéphane Richard. Il s'agit des « rapports » de l'UE « avec les Gafa ». Tandis que les opérateurs doivent composer avec une régulation aussi stricte que contraignante, Bruxelles a, selon lui, trop longtemps laissé le champ libre aux Google, Amazon, Facebook et Apple. Ces derniers ont, en clair, pu bénéficier en toute liberté des réseaux déployés à grands frais par les télécoms pour transformer l'UE, et « ses 500 millions d'habitants au pouvoir d'achat élevé », en une « colonie numérique », constate Stéphane Richard.

« Je me souviens toujours de cette phrase d'Eric Schmidt, ex-président de Google : 'You made the investments, I made the profits' ['Vous avez fait les investissements, j'ai engrangé les profits', Ndlr], se rappelle le patron. C'est tellement ça... Et qu'est-ce qu'on a fait pour aller un peu à l'inverse de cette logique ? Rien. Strictement rien. »

Stéphane Richard juge qu'il y a désormais « une prise de conscience » de Bruxelles sur la nécessité de rétablir « une forme d'égalité de traitement entre tous les acteurs du numérique ». Mais, achève-t-il, le secteur des télécoms attend maintenant des mesures fortes. Et concrètes.

Pierre Manière

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Commentaires 29
à écrit le 04/12/2021 à 9:00
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Bernard Tapie est decede, il n'y a donc plus d'affaire Bernard Tapie.. Allo ???? Y-a-t-il quelqu'un qui lit les media ?

à écrit le 03/12/2021 à 14:00
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"L'Etat rend aujourd'hui impossible toute tentative de mariage d'Orange avec un autre grand nom européen des télécoms" >> et heureusement pour le salariat d'Orange France et du partenaire de cette Joint Venture. Surtout avec toutes les externalisatio...

le 25/12/2021 à 0:19
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Vous avez ces informations par les échos , qui arrivent partiels ou déformés au fin fond du Finistère ?! Si DT a accepté la JV, 'est en phase d'attente : si notre PDG France n'a pas conscience de l'enjeu, c'est DT qui absorbera Orange ! vu la vitess...

le 25/12/2021 à 0:30
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...Et vous oubliez que l'Etat a obligé Orange (donc Stéphane Richard) de reprendre un assureur pour en faire une banque associée alors que ce n'est pas son coeur de métier ! C'est toujours lui le dindon de la farce ! Moi je l'estime compétent, humai...

à écrit le 03/12/2021 à 12:05
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Par l incompétence de ce Monsieur, et le mélange archaïque de l etat actionnaire nous sommes plusieurs milliers de petits actionnaires essorés par tant d incohérence dans la gestion de cette entreprise...j aurais du investir chez Free..

à écrit le 03/12/2021 à 10:37
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on peut difficilement lui donner tort sur le constat

à écrit le 03/12/2021 à 10:05
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Symbole de la puissance de la technocratie qui l’ a propulsé à la tête d’une entreprise d’état, il critique le système qui l’ a crée, nourri et sans reconnaissance il repartira ou ds un grand corps d’état ou dans un fromage dont la république aime ré...

le 03/12/2021 à 12:19
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ll ne repartira certainement pas dans la fonction publique : ayant fait fortune (il est multimillionnaire), grâce à l'Etat et à ses réseaux d'inspecteur des finances, lors du dépeçage de la Générale des Eaux et nommé à la tête d'Orange (rémunération ...

à écrit le 03/12/2021 à 9:59
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Ya du vrai dans ce qu'il dit mais quand on passé 11 ans à bien profiter de l’État actionnaire quelle est la crédibilité du discours ? Et c'est le problème de notre classe dirigeante toujours soumise envers quelque chose, envers quelqu'un d'autre, tro...

à écrit le 03/12/2021 à 6:30
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Comme autres trop content de passer par la politique pour un après aux cdes d'une entreprise de premier plan. La politique mène a tout et même au plus sombre.il a eu ce qu'il méritait .

à écrit le 02/12/2021 à 21:28
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Arrêtez de tirer sur le pianiste : c'est trop facile. M. Richard n'a pas démérité chez Orange, loin de là. Sa condamnation est un règlement de compte politique bien rance et pas très respectable. Et, une fois de plus, on a vraiment raté le coche e...

le 03/12/2021 à 0:12
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"M. Richard n'a pas démérité chez Orange, loin de là" Politique d'obstruction à la concurrence par l'abandon de l'entretien du réseau cuivré pour favoriser sa fibre optique subventionnée par le contribuable via les participations de l'état mais ...

le 03/12/2021 à 9:18
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fayoter avec les pouvoirs en fonction se croire au dessus des lois comme une bonne majorite de ce genre de haut fonctionnaire ou serviteur de l'etat et demain il sera recase pour eviter les vagues

le 03/12/2021 à 13:55
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J'abonde.

le 03/12/2021 à 13:58
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du très haut débit avec du cuivre... au pied de l'immeuble... vous êtes une sommité a ce que je constate..

le 04/12/2021 à 0:24
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@anonyme Il faudrait mieux vous informer sur les technologies cuivre xDSL dont VDSL2 (aka G.993.2) offrant jusqu'à 200 Mb/s downstream sur 300 mètres équivalent à un immeuble de ~120 étages et même plus encore en G.fast (aka G.9700) offrant jus...

à écrit le 02/12/2021 à 21:01
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Stéphane Richard en a gros sur la patate de s'être vu contraint par l'état actionnaire de démissionner d'un emploi fictif à 1,6 millions d'euros par an tandis qu'il a été "condamné" à 50 milles euros pour avoir détourné 400+ millions euros... une ...

le 03/12/2021 à 9:13
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Vous pourriez être poursuivi en diffamation.

le 03/12/2021 à 10:12
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@herrm Un admirateur du couple Fillon?

le 03/12/2021 à 14:00
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Effectivement... vous êtes une sommité... on devrait interdire la démocratie.

à écrit le 02/12/2021 à 20:25
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tres fort. Pourquoi il s est retrouve a la tete d orange ? par ses competances ? ah non, il etait dans un ministere avant (aux finances, meme pas aux telecom ou a l industrie). Se defausser sur l etat c est facile. plus facile de dire qu on a pas ...

à écrit le 02/12/2021 à 19:55
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S'il n'était pas d'accord avec l'Etzt employeur, il aurait pu démissionner. Quant à son rôle pour accorder 1/2milliard à Tapie sur fond public ne fait pas de sa personne une personne recommandable.

le 25/12/2021 à 0:02
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Hum...Stéphane Richard n'a pas décidé de lui même concernant l'affaire Tapie, il a agit et exécuté sur Ordre, donné de la haut par sa supérieure hiérarchique de l'époque, cherchez qui et vous comprendrez la suite des enchainements de l'Histoire avec ...

à écrit le 02/12/2021 à 19:06
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Il a raison sur son jugement sur l'état. L'état est un mauvais actionnaire car les gouvernants privilégient toujours des paramètres politiques de court terme au dépend des considérations économiques.

à écrit le 02/12/2021 à 18:30
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2 remarques : Premierement ,on était traité de raleurs pas encore complotistes quand il y a 15 ans on parlait dans les milieux techniques de l'acharnement francais à légiférer sur le web ( affaire vivendi). ,Un simple créateur de site ,style un adol...

à écrit le 02/12/2021 à 17:51
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L'arrogance est profondément pathologique en cet individu. A chaque radio propos méprisants, cinglants, et déplacés du PDG de l'ex-monopole, à l'encontre des trois concurrents, lesquels n'ont jamais critiqué la concurrence.

à écrit le 02/12/2021 à 17:33
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Pauvre calimero, comme il a du souffrir pendant toutes ces années, c'est vraiment trop injuste.

le 02/12/2021 à 18:19
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En plus il aime souffrir, puisque ça fait depuis plus de dix ans .

à écrit le 02/12/2021 à 17:31
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Beaucoup d'aigreur mais il est fort probable que condamné dans une entreprise détenue par des actionnaires privés, il aurait dû également rendre son mandat.

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