La stratégie syrienne des pays occidentaux en échec

reuters.com  |   |  872  mots
La strategie des pays occidentaux mise a mal en syrie[reuters.com]
(Crédits : Abdalghne Karoof)

par Dasha Afanasieva et Sylvia Westall

ISTANBUL/BEYROUTH (Reuters) - En annonçant la semaine dernière sa dissolution et le ralliement de ses combattants à une alliance islamiste, le groupe rebelle syrien Hazzm n'a pas seulement acté son échec, mais aussi celui de la stratégie de soutien des pays occidentaux et arabes aux insurgés syriens "modérés".

L'effondrement de Hazzm sous les coups de l'armée de Bachar al Assad mais aussi et surtout de groupes djihadistes comme le Front al Nosra et l'Etat islamique a peut-être porté un coup fatal à l'Armée syrienne libre (ASL), la première à avoir pris les armes contre le régime de Damas après la répression brutale du mouvement de contestation pacifique du printemps 2011.

Il met aussi en évidence les risques inhérents au programme d'entraînement et d'armement de milliers de rebelles syriens non islamistes que les Etats-Unis disent vouloir mettre en place au cours des trois prochaines années en collaboration avec la Jordanie, la Turquie et le Qatar et dont le groupe Hazzm était un chaînon.

L'échec de Hazzm montre les limites d'une telle stratégie dans un pays où les insurgés passent davantage de temps à se combattre entre eux qu'à lutter contre les forces pro-Assad, la balance penchant systématiquement du côté des groupes djihadistes, mieux armés et mieux financés.

C'est d'ailleurs le Front al Nosra, lié à Al Qaïda - même s'il envisagerait de s'en détacher pour bénéficier, notamment, d'un soutien financier accru du Qatar - qui a porté le coup de grâce à Hazzm en s'emparant de sa dernière place forte près d'Alep et en tuant des dizaines de ses combattants.

NOSRA S'EMPARE DE MISSILES ANTICHARS

C'est la deuxième fois en l'espace de seulement quatre mois qu'Al Nosra élimine un groupe soutenu par les Occidentaux et leurs alliés arabes dans le nord de la Syrie, désormais presque entièrement divisé entre organisations djihadistes rivales, le Front al Nosra à l'ouest et l'Etat islamique à l'est, jusqu'à la frontière irakienne.

Pire pour Washington, les armes secrètement fournies par la CIA à Hazzm l'an dernier sont en grande partie tombées entre les mains des combattants d'Al Qaïda, qui ont publié sur Twitter des photos de leurs prises de guerre.

Selon Rami Abdulrahman, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), proche de l'opposition, Al Nosra a fait main basse sur de nombreuses armes sophistiquées, dont 60 à 90 missiles antichars TOW guidés par laser.

Aucun membre de Hazzm n'a pu être joint depuis l'annonce de la dissolution de la brigade qui, forte de ses 1.200 à 1.500 combattants, s'était présentée comme la principale bénéficiaire du soutien américain et le seul contrepoids crédible aux groupes djihadistes.

C'est sans doute ce qui a causé sa perte, notent les bons connaisseurs du conflit syrien.

"Tout le monde détestait Hazzm", souligne un consultant syrien qui travaille en zone rebelle et tient à rester anonyme. "C'est ce qui arrive quand un père a un fils préféré et lui donne tout. Les autres fils commencent à haïr le père et le chouchou..."

"Les combattants de Hazzm avaient tout, les missiles TOW, les camps d'entraînement avec tout l'équipement nécessaire, y compris des hôpitaux. Quand Al Nosra les a attaqués, aucun autre groupe n'est venu les aider", conclut-il.

WASHINGTON À RECULONS

Pour le commandant d'une autre brigade rebelle, c'est cependant sur le terrain des idées que la bataille a d'abord été perdue.

"Hazzm a échoué parce qu'ils n'ont pas su convaincre qu'ils avaient un projet idéologique", estime-t-il. "Al Nosra a récolté le fruit de ses erreurs."

Les chefs de Hazzm avaient vu le coup venir. Quand ils recevaient les journalistes dans leur bureau établi dans la ville turque de Reyhanli, ils se plaignaient régulièrement que l'aide américaine, trop tardive, ne leur permettait pas de tenir tête à la fois à l'armée syrienne et aux groupes djihadistes.

Et cela d'autant plus que la Maison blanche ne s'est engagée qu'à reculons dans ce programme d'armement des rebelles, dont elle n'a jamais admis l'existence, après sa reculade sur la "ligne rouge" de l'utilisation des armes chimiques dans la banlieue de Damas à l'été 2013.

Après la prise de la ville d'Idlib par le Front al Nosra il y a quatre mois et la déroute d'une autre brigade laïque, le Front révolutionnaire syrien, l'aide américaine, létale comme non létale, s'était même presque totalement tarie, dit-on de source proche des insurgés.

"Les Etats-Unis ne se sont jamais investis très sérieusement dans ce programme et leur coordination avec les autres pays impliqués (ndlr, les pays du Golfe qui le finançaient) a tourné court", relève Noah Bonsey, spécialiste de la Syrie au centre de réflexion International Crisis Group (ICG).

"La défaite de Hazzm est la dernière illustration en date de l'échec de ce programme dans le nord de la Syrie."

(Avec Tom Perry à Beyrouth et Lesley Wroughton à Washington; Tangi Salaün pour le service français)