Défense : les candidats à la présidentielle restent (presque) tous dans le rang

Sur la place de la France dans le monde (OTAN, ONU, opérations extérieures) , les questions industrielles en passant par la dissuasion nucléaire, les cinq principaux compétiteurs font chacun entendre leur petite musique... Même si la défense reste un sujet largement consensuel à l'image de la dissuasion nucléaire que tous souhaitent conserver.
Un hélicoptère Tigre du 5e RHC en vol près de Pau / Photo Reuters

Les cahiers de la « Revue Défense Nationale » ont fait plancher dans l'édition du mois d'avril les cinq grands candidats à l'élection présidentielle - François Bayrou (Mouvement démocrate), François Hollande (PS), Marine Le Pen (FN), Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) et Nicolas Sarkozy (UMP) - sur la politique en matière de défense qu'ils entendent mener s'ils étaient élus président. Des questions certes cruciales pour la France mais qui restent dans l'ombre des thèmes de campagne prioritaires (dette, emploi, consommation...). Revue de détails.


Un Livre blanc

S'il y a bien un consensus total en matière de défense entre les cinq grands candidats, c'est sur ce point. S'ils accèdent à la responsabilité de chef des armées, ils entendent lancer très vite les travaux pour la rédaction d'un Livre blanc pour remplacer celui présenté en juin 2008 par Nicolas Sarkozy. Pour François Bayrou, il faut actualiser le dernier Livre blanc « sans remettre en question le contrat opérationnel défini ». « Mais, contrairement à ce qui a été fait en 2008, il conviendra de procéder dans l'ordre et de manière cohérente, en précisant d'abord l'adaptation du cadre stratégique en votant ensuite une loi de programmation militaire, en la mettant en ?uvre sans reniement et sans à-coups ». Nicolas Sarkozy souhaite également actualiser le Livre Blanc réalisé sous son quinquennat en raison des « bouleversements majeurs, qui ont un impact important sur la donne stratégique ». Un document doit être présenté au second semestre 2012.

En revanche, à gauche, les deux candidats ne veulent pas d'une simple réactualisation du Livre blanc mais d'un nouveau document définissant « les enjeux stratégiques » de la France, explique François Hollande, qui souhaite que soit entreprise « au plus tôt la rédaction d'un Livre blanc de la défense », suivie d'une Loi de programmation militaire avec deux objectifs : répondre aux menaces identifiées et dimensionner nos équipements aussi précisément que possible à ces enjeux ». La vision stratégique de Jean-Luc Mélenchon sera également « précisée dans un nouveau Livre blanc au terme d'un débat public et populaire ». Ce document « répondra aux deux questions déjà posées par Jaurès : comment porter au plus haut, pour la France, et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de la victoire ? ».

Enfin, Marine Le Pen, qui regrette le désarmement de la France alors que « le reste du monde réarme », n'appelle pas explicitement à la rédaction d'un Livre blanc. Mais elle souhaite « sauvegarder les objectifs de forces du Livre blanc de 2008 », un « seuil en dessous duquel la cohérence de l'ensemble serait menacée pour assurer les missions de protection, de prévention et de projection ». Elle préconise notamment une « refondation intellectuelle d'une véritable pensée stratégique ».


Le Budget

Confronté à une situation économique difficile en France, la défense n'échappera pas à de nouvelles économies comme le craignent les responsables militaires. La défense, variable d'ajustement ? Non, jurent en c?ur François Bayrou, François Hollande et Nicolas Sarkozy. « Je n'accepterai pas que la défense soit considérée comme la variable d'ajustement (...). L'effort qui sera demandé à l'armée sera le même qui sera imposé aux administrations publiques de notre pays, à l'exception de l'Education nationale », explique le président du Mouvement démocrate. Un discours proche de celui de François Hollande : « la défense nationale ne sera pas une variable d'ajustement. Il y aura des efforts à faire, la situation de notre économie et de nos finances publiques nous y contraint. Il y va de notre indépendance même. La défense y contribuera dans les mêmes proportions que les autres missions de l'Etat ». Pour Nicolas Sarkozy, « l'effort d'une nation pour sa défense doit être à la hauteur de ses ambitions ». Aussi « san détour, je peux l'affirmer, notamment car je l'ai prouvé en maintenant les ressources du ministère de la Défense dans le budget triennal 2011-2013 en dépit des difficultés causées par les crises successives : je ne ferai jamais du budget de la défense nationale une variable d'ajustement ».

Pas question pour Jean-Luc Mélenchon d'augmenter ni de baisser le budget de la défense, car selon lui, « une France mise au service de la paix ne peut être privée des moyens de se défendre ». Il n'envisage pas sa « réduction » car « elle paralyserait nos capacités opérationnelles ». Il préconise également un « moratoire sur la diminution des effectifs ». Enfin, Marine Le Pen entend pour « redresser une situation critique et malgré les difficultés économiques actuelles », revenir « progressivement, sur cinq ans, à l'objectif réel et effectif de consacrer à la défense 2 % du PIB (hors pensions) au lieu de moins de 1,6 % aujourd'hui ». Selon elle, « ce chiffre raisonnable permettra de corriger le décalage actuel avec les objectifs de la programmation du Livre blanc ». Ce qui permettrait, selon elle, de lancer notamment « la construction d'un second porte-avions ».


La dissuasion nucléaire

Il existe un consensus entre les différents candidats malgré leurs différences, à l'exception de Jean-Luc Mélenchon, qui souhaite abandonner la composante nucléaire aérienne qu'il juge « obsolète ». Pas question d'abandonner l'arme nucléaire, un outil de puissance pour la France.

François Bayrou : « La France entend demeurer une puissance nucléaire crédible, libre et indépendante, avec ses deux composantes de forces (air et mer, ndlr) ».

François Hollande : « la dissuasion est indissociable de notre sécurité et de notre statut de grande puissance. (...) Nous conserverons les deux composantes aérienne et sous-marine ».

Marine Le Pen : « La dissuasion nucléaire demeure le fondement de notre stratégie de défense. (...) La composante océanique en est l'épine dorsale avec nos SNLE (sous-marins lanceurs d'engins, ndlr) équipés du missile M51. La composante aérienne doit être maintenue pour le moment (...). Naturellement nous exprimons farouchement contre le processus de mutualisation de nos capacités nucléaires avec l'Angleterre qui constitue une erreur historique majeure ».

Jean-Luc Mélenchon : « La dissuasion nucléaire demeure l'élément essentiel de notre stratégie de protection. (...) Quoi qu'il en soit, j'en allégerai le coût en supprimant la composante aérienne, aujourd'hui obsolète ».

Nicolas Sarkozy : «J'ai dans ce domaine une conviction profondément ancrée : il n'est pas question de remettre en cause notre dissuasion parce que je tiens à ce que la France participe à la préservation de la paix et qu'elle soit crédible et écoutée dans le monde ».


L'Industrie de défense

François Bayrou n'évoque pas ce qu'il entend mener en matière de politique industrielle de défense.

François Hollande souhaite en revanche « construire une politique industrielle de défense » : « Je veux une industrie de défense forte, cohérente et contrôlée. (...) Je n'entends donc déléguer à quiconque cette responsabilité de tracer l'avenir de ces grands groupes industriels de défense et certainement pas à des intérêts privés ou financiers à qui le gouvernement sortant s'est trop souvent plié. (...) Les coopérations industrielles avec des partenaires européens seront encouragées, car elles sont gages de succès futurs ».

Marine Le Pen : « La défense emploie plus de 300.000 civils et militaires tandis que l'industrie de défense assure de son côté, directement ou indirectement, près de 150.000 emplois, de surcroît à fort contenu technologique. Un tel effort s'inscrira donc dans la planification stratégique de la ré-industrialisation qui est l'un des socles de notre projet économique. (...) Le développement des industries d'armement pourrait donc constituer un factreur essentiel de relance. Le sacrifice consenti de notre industrie des armes légères prouve l'absurdité de la politique de désindustrialisation. Non seulement nous ne produisons plus nos munitions mais celles que nous achetons sont de mauvaise qualité ».

Jean-Luc Mélenchon veut une « industrie de l'armement libérée de la finance ». « Garantir la souveraineté de la France suppose de disposer d'une industrie d'armement efficace. Nous l'avons aujourd'hui malgré les profondes restructurations qui, depuis les années 90, ont favorisé les logiques financières. Sur la base des structures existantes, je créerai un pôle public de l'armement. Il planifiera la production en fonction des besoins de la nouvelle stratégie.
L'Etat doit conserver ou acquérir une part importante dans les groupes impliqués. Les recours et participations donnant à des groupes liés à d'autres puissances, des pouvoirs de surveillance ou de contrôle sur nos décisions seront écartés. Dans cet esprit, je remettrai en cause l'accord franco-anglais de défense. Enfin, je réaliserai un audit au cas par cas des contrats de haute technologie. Très coûteux, ils répondent davantage aux intérêts financiers des industriels plutôt qu'à nos besoins ».

Nicolas Sarkozy : « L'excellence et le caractère de l'industrie française de défense sont précieux pour notre pays. Cette industrie, de l'aéronautique au terrestre en passant par le naval, l'espace, les missiles, les drones ou encore la dissuasion, est non seulement créatrice d'emploi et de richesse mais elle est également une garantie d'indépendance. (...) Je n'accepterai pas que les centaines de milliers de salariés soient les victimes d'un abandon qui consisterait à rester les bras ballants face à une concurrence déloyale. (...) Les marchés publics de l'Union européenne ne peuvent pas être ouverts à tous, si les autres pays appliquent une forme de protectionnisme plus ou moins revendiqué. Aux Etats-Unis, un « Buy American act » qui date de 1933 fait obligation de n'utiliser que des produits fabriqués aux Etats-Unis dans les marchés publics de fournitures et de constructions de l'Etat fédéral. L'Union européenne doit faire preuve de beaucoup moins de naïveté, surtout dans un domaine aussi sensible que la défense. Elle doit fermement conditionner l'accès à nos marchés publics à la réciprocité de la part des autres pays. Mon action ira dans ce sens et refusera le fatalisme d'une application dogmatique et naïve de la concurrence. Si l'Union européenne ne prend pas des mesures dans ce sens dans un délai de douze mois, la France prendra un Buy European Act pour ses propres marchés publics ».
 

L'OTAN

Pour le futur président, le premier grand rendez-vous international et diplomatique sera le sommet de l'OTAN, qui se tiendra en mai à Chicago. Que disent les candidats après le retour de la France dans le commandement militaire intégré, retour qui avait déclenché en 2009 une vague de critiques.

François Bayrou : « On sait que je n'ai pas approuvé le retour de notre pays dans le commandement militaire intégré, dont je considérais et considère toujours qu'il enlevait à la France une part symbolique, et donc essentielle, de son originale indépendance. Mais en la matière je l'avais dit explicitement à l'époque, les aller- retour à chaque alternance sont impossibles, sauf à porter atteinte à la crédibilité internationale de notre pays ».

François Hollande : « Je considère que notre engagement dans l'Alliance atlantique est aussi une garantie de notre sécurité et un instrument pour la gestion des crises de dimensions militaires aujourd'hui. Fallait-il pourtant revenir dans le commandement militaire intégré dans l'organisation ? Je considère que la France n'en a pas retiré de bénéfice probant. Il faudra donc évaluer cette décision ».

Marine Le Pen : « Nous nous engageons à institutionnaliser le partenariat stratégique et industriel avec la Russie, qui est la condition de la masse continentale européenne et d'une géopolitique européenne forte fondée sur un axe franco-germanique-russe ; l'inverse d'une Europe de la défense purement chimérique et d'ores et déjà mort-née du fait de notre retour dans l'OTAN ».

Jean-Luc Mélenchon : « L'OTAN n'est rien d'autre que le bras armé de l'intérêt des Etats-Unis. Sa mue en alliance globale doit être stoppée nette. La France doit s'engager à développer la sécurité collective dans le seul cadre de l'ONU. (...) Si j'y représente la France (au sommet OTAN, le 20 et 21 mai à Chicago, ndlr), j'annoncerai sa sortie du commandement militaire intégré, préalable à son retrait de l'Alliance ».

Nicolas Sarkozy : « Depuis la réintégration de la France dans la structure de commandement militaire intégré de l'OTAN en avril 2009, notre pays a renforcé son influence au sein de la famille occidentale et pèse davantage qu'avant dans les choix stratégiques de l'Alliance ».
 

L'Europe de la défense

L'Europe de la défense ? Une belle idée défendue par la plupart des hommes politiques français... qui restent isolés en Europe. Car la plupart des autres pays de l'Union européenne, y compris l'Allemagne, n'en veulent pas, ou sont ent tout cas très méfiants vis-à-vis de la France. Du coup, Paris a été contraint ces dernières années de mener une politique plutôt opportuniste, au cas par cas, à l'image de l'axe franco-britannique. Une réalité qui n'empêche pas encore aujourd'hui les candidats à vouloir relancer l'Europe de la défense. Peut-être pour mieux diluer l'effort de défense de la France.

François Bayrou : « La construction de la défense européenne est une ardente obligation. J'y donnerai mes soins en utilisant au mieux les nouveaux outils institutionnels communautaires, pour faire naître la voix européenne forte et crédible dont l'équilibre du monde a besoin. Ainsi serait consolidée notre base industrielle de défense, tant européenne que nationale ».

François Hollande : « L'Europe de la défense est notre horizon et notre ambition. L'alternance politique en France devra être l'occasion d'une vigoureuse relance de la construction européenne. Elle pourra reposer sur la définition des contours d'une vision commune et d'une mise en cohérence de nos politiques. Je favoriserai les convergences avec tous nos partenaires européens. Je donnerai une nouvelle dynamique aux instances que nous avons contribué à créer au sein de l'Union : le comité politique, l'Etat-majopr de l'UE, le centre de situation, l'Agence européenne de défense. J'?uvrerai pour consolider la base technologique et industrielle de l'Europe ».

Marine Le Pen : Pour une « Europe forte », la candidate du Front national mise sur « un axe franco-germano-russe ».

Jean-Luc Mélenchon : « La politique de défense que je propose est altermondialiste : elle encourage l'émergence d'un monde multipolaire, libéré de toute forme d'hégémonisme. (...) J'affirmerai une option préférentielle pour l'action avec les pays émergents. La condition initiale de cette politique est la récupération de notre souveraineté militaire. (...) L'Europe de la défense n'a jamais été pensée en dehors du cadre strictement atlantiste réaffirmé dans le Traité de Lisbonne.

Nicolas Sarkozy : « Qu'il s'agisse de l'OTN ou de l'Europe, je considère qu'il faut poursuivre et renforcer les actions entreprises ».
 

L'Afghanistan

Le retrait domine. Que ce soit François Bayrou, François Hollande et Jean-Luc Mélenchon. Marine Le Pen n'en parle pas. Enfin Nicolas Sarkozy, qui n'évoque pas le sujet, avait annoncé fin janvier un retrait total des troupes françaises fin 2013.

François Bayrou : Au sommet de Chicago « j'y rappelerai que la France respectera solidement ses engagements vis-a-vis de ses alliés, notamment en Afghanistan. J'écarterai le retrait précipité, en quelques semaines, autant que le maintien de troupes sur le terrain, toute action suspendue ».

François Hollande : « En 2012, nous conduirons le retrait de nos troupes combattantes d'Afghanistan ».

Marine Le Pen ne s'exprime pas sur l'Afghanistan. De façon générale, elle estime que la France doit disposer « à la fois une force de projection suffisamment nombreuses pour répondre au défi des Opex (opérations extérieures, ndlr) et une force de défense territoriale dimensionnée ».

Jean-Luc Mélenchon : S'il est élu, il décrétera au sommet OTAN de Chicago « le rapatriement complet de nos soldats d'Afghanistan ». D'une façon plus générale, le candidat du Parti de gauche estime que « les interventions en Afghanistan ou ne Libye ont montré les limites de l'organisation et des moyens de nos armées. Il est inacceptable d'envoyer en opération des soldats sous-équipés, de dépendre d'autres puissances pour le transport de troupes, le ravitaillement en vol ou l'observation. (...) En tout état de cause, l'acquisition d'une capacité de projection autonome d'une brigade interarmes est un objectif raisonnable. Il suppose d'augmenter les capacités en termes de renseignement et de soutien. Mais aussi de décider des moyens nécessaires de la projection, tant aériens que maritimes ».

Nicolas Sarkozy : « La France doit être capable de se défendre et de mener des opérations en dehors de son territoire national. De ce point de vue, le Livre blanc, la LPM (Loi de programmation militaire, ndlr) et sa mise en ?uvre me permettent d'affirmer que la France est effectivement capable de tenir cet objectif ».

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Commentaires 3
à écrit le 02/04/2012 à 16:31
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Ne parlons surtout pas de la politique de défense d'Europe Ecologie Les Verts. Car là, la petite musique est différente.

le 03/04/2012 à 11:36
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Bien noté. Pacifisme est un mot vide de sens pour le quatrième exportateur d'armes au monde.

le 03/04/2012 à 14:05
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si tu veux la paix, prépare la guerre.

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