Boeing est à nouveau dans les cordes. Quatre mois seulement après la remise en service du B737 MAX, qui faisait suite à 22 mois d'interdiction de vol pour cause de sécurité, le problème électrique constaté il y a une quinzaine de jours sur certains exemplaires et la suspension d'une centaine d'avions qui s'en est suivie, jette à nouveau le trouble sur l'avenir de cet appareil. Avec le risque que ce nouvel incident casse le dynamisme commercial observé ces derniers mois avec les commandes passées par des mastodontes du transport aérien comme Ryanair, Alaska Airlines, United Airlines ou encore Southwest. Car, selon nos informations, avant ce nouvel incident, d'autres commandes étaient attendues au cours des prochains mois. Une chose est sûre. Airbus a plutôt intérêt à ce que le nouveau coup d'arrêt du MAX n'ait pas de conséquence sur le redécollage commercial de l'avion moyen-courrier américain.
L'enjeu de la nouvelle génération d'avions
Paradoxalement en effet, les difficultés du MAX ne sont pas forcément une bonne nouvelle pour l'avionneur européen. Leader incontesté du marché moyen-courrier, Airbus a beaucoup plus à gagner d'une remise en selle de l'avion américain que l'inverse. Un échec du redécollage du MAX aurait des conséquences fâcheuses pour le constructeur européen. Il risquerait en effet de pousser Boeing à lancer beaucoup plus tôt que prévu un successeur de son appareil moyen-courrier, lequel arriverait donc sur le marché avant le successeur de l'A320 Neo, dont la mise en service est aujourd'hui prévue à l'horizon 2035, au moment où seront matures les technologies de rupture permettant de faire un saut en terme de réduction d'émissions de CO2.
En lançant un successeur du MAX vers 2023, Boeing pourrait donc mettre en service un avion neuf à la fin de la décennie 2020, avec 5 ou 6 ans d'avance sur le futur moyen-courrier d'Airbus. Certes, dans cette hypothèse, l'avion américain n'aurait aucune chance d'atteindre une rupture technologique similaire à celle espérée par son rival européen en 2035. Pour autant, une arrivée anticipée sur le marché "changerait la donne", confie une personnalité reconnue de l'industrie aéronautique.
Car, il apporterait quand même une amélioration de la performance non négligeable par rapport au 737 MAX actuel, un dérivé d'un avion conçu dans les années 1960 (même s'il a été repensé dans les années 1990 avec la version NG du 737). Accompagné par une bonne communication, il pourrait très bien rencontrer un certain succès et perturber le calendrier d'Airbus, estiment certains observateurs. "Il ne faut pas exclure un avion "PR" (ou press relation)", raille en effet une source industrielle française. Si, dans ce scénario, Airbus devait donc suivre Boeing et accélérer son calendrier, ce serait un coup très dur pour la décarbonation de l'aéronautique.
Boeing pourrait sortir du piège du MOM
Le lancement anticipé d'un successeur du 737 MAX aurait un autre inconvénient pour Airbus. Cela permettrait à Boeing d'éviter de tenter de lancer une offensive très risquée, comme il l'envisage aujourd'hui : celle de lancer un avion long-courrier de moyenne capacité (220-260 sièges) pour rivaliser avec l'A321 LR et XLR d'Airbus, un dérivé long-courrier du moyen-courrier A320, prévu en 2023. Or, selon certains observateurs, une telle offensive de Boeing n'est pas sans risque. Censé entrer en service vers 2029, soit bien après l'A321XLR, un tel avion risquerait par conséquent d'arriver après la bataille.
Devoir renoncer à ce projet pour lancer le successeur du MAX permettrait donc à Boeing non seulement de perturber les plans de lancement du futur moyen-courrier d'Airbus mais aussi d'éviter d'envoyer au casse-pipe un nouvel avion long-courrier.
Pas de guerre des prix du côté d'Airbus
On n'est pas là évidemment. Boeing a lui aussi un intérêt à voir son MAX non seulement revoler mais aussi rencontrer un certain succès commercial. Le stock d'avions construits, mais pas encore livrés, avoisine plus de 20 milliards de dollars de cash. Boeing a donc besoin que l'appareil revole pour faire entrer de l'argent dans ses caisses, au moment où ses comptes sont fortement ancrés dans le rouge. Deux ans seront nécessaires pour écouler un tel stock (plus de 400 avions). Reste à savoir comment réagiront les compagnies au deuxième incident rencontré par le MAX. Une chose est sûre. Quand l'avion reprendra les airs, Airbus gardera son agressivité au vestiaire, quitte à laisser filer des commandes. Selon nos informations, c'est sa stratégie, plusieurs fois partagées ces dernières mois à des investisseurs. En effet, jusqu'ici, depuis le redémarrage du MAX fin décembre, Airbus n'a pas joué sur les prix pour tenter d'arracher les contrats conquis par Boeing. Les chances de convaincre des clients historiques de Boeing comme Southwest, Alaska Airlines, United ou Ryanair, étaient faibles pour ne pas dire nulles. Et le constructeur européen n'a pas l'intention de changer sa position pour les campagnes suivantes. Bref, Airbus ne compte pas enfoncer davantage Boeing en lançant son A320 NEO dans une guerre tarifaire avec le B737 MAX.
"Airbus a 60% du marché des avions moyen-courriers. Il n'a pas intérêt à ce que la part de marché de Boeing soit telle qu'il soit obligé de lancer un nouvel avion", explique un acteur de l'industrie aéronautique.
Officiellement la raison est ailleurs :
"La famille A320 continue de bénéficier d'un positionnement fort sur le marché, et notre priorité est d'en maintenir la qualité et la valeur pour nos clients en préservant la valeur de notre carnet de commandes qui reste élevé", explique le constructeur européen, confirmant, de fait, qu'il n'a pas l'intention de baisser les tarifs.
D'autant plus qu'une fois que les prix ont été revus à la baisse, il est, comme dans tous les secteurs d'activité, très difficile de les faire remonter par la suite.
Dans cette équation, CFM International, filiale de Safran et de General Electric (GE), qui fournit les moteurs du B737 MAX, a lui aussi intérêt à une résurrection du B737 MAX. Même s'il est sûr d'être sélectionné par Boeing pour motoriser un nouvel avion, ni Safran ni GE n'ont envie en effet d'investir 1 milliard d'euros dans un nouveau moteur alors que se profile un investissement massif pour l'avion d'Airbus en 2035.
Autre élément dans la réflexion d'Airbus de ne pas mettre à genoux Boeing : ne pas accélérer l'arrivée de la concurrence chinoise. Alors le constructeur chinois Comac tire la langue pour faire certifier son C919, un avion de la catégorie du B737 et de l'A320, plusieurs experts occidentaux craignent que la Chine préfère passer directement à l'avion du futur plutôt que faire la course sur les avions classiques qu'elle ne rattrapera jamais.
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