L'audition ce mercredi à l'Assemblée nationale de Jean-Bernard Lévy, le PDG d'EDF, était très attendue. D'abord pour avoir de la visibilité sur la situation énergétique de la France à la veille d'un hiver qui s'annonce compliqué en raison de l'arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires. Ensuite, pour écouter un grand patron au soir de sa carrière, en théorie plus libre de s'exprimer qu'à l'accoutumée, même si les violentes critiques exprimées récemment par le chef de l'Etat à son égard avaient de quoi le pousser à la jouer profil bas. La semaine dernière en effet, Emmanuel Macron a publiquement pointé la responsabilité de Jean-Bernard Levy dans les déboires actuels du nucléaire français.
Priorité oblige : les députés l'ont d'entrée interrogé sur l'approvisionnement en électricité des ménages et des entreprises cet hiver. Le PDG d'EDF s'est voulu rassurant. A écouter Jean-Bernard Lévy, la production d'électricité devrait s'avérer suffisante. « L'objectif est d'avoir à peu près la même production d'électricité que l'hiver précédent, où les choses s'étaient bien passées. Chaque Français avait eu l'électricité dont il avait besoin », a expliqué celui qui s'apprête à quitter ses fonctions qu'il occupe depuis 2015 dès que l'Etat aura tranché sur le choix de son successeur.
La solution à la crise énergétique réside notamment dans le bon fonctionnement du parc nucléaire français, actuellement plombé par la faible disponibilité des réacteurs. Jean-Bernard Lévy et les cadres dirigeants d'EDF présents à ses côtés au Palais Bourbon se sont montrés rassurants. A ce jour, 30 réacteurs se trouvent en état de marche (dont 27 déjà connectés au réseau électrique, 3 autres disponibles à tout moment) et 25 à l'arrêt. Parmi ces 25 réacteurs sur pause, certains arrêts forcés étaient prévus pour des travaux de maintenance dits de « grand carénage ».
25 réacteurs sur pause doivent être relancés d'ici à février
Problème : cette inspection décennale prend beaucoup plus de temps depuis le durcissement réglementaire consécutif à l'accident de Fukushima en 2011. Or, dans le même temps, EDF est confronté à un manque de main-d'œuvre « à cause de départs massifs en retraite et donc de pertes de compétences et d'expérience » qui rendent la maintenance « beaucoup plus longue » d'après Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe EDF en charge du nucléaire.
A ces travaux prévus de longue date, s'est greffée une difficulté inattendue : dix réacteurs sont frappés par un phénomène de corrosion qui fragilise leur tuyauterie. Cinq autres subissent des investigations pour ce même soupçon de corrosion. Jean-Bernard Lévy vante néanmoins une nouvelle technique de réparation des microfissures par des ondes, ce qui évite une intervention directe sur les tuyaux et un blocage prolongé du site.
A court-terme, Cédric Lewandowski affirme que dans les prochaines semaines les 25 réacteurs à l'arrêt vont reprendre du service. Selon le calendrier arrêté par EDF, cinq réacteurs vont redémarrer en septembre, cinq en octobre, sept en novembre, trois en décembre, trois en janvier et deux en février. Il n'y aura pas « d'interruptions permanentes (au sens d'"intempestives") cet hiver », a insisté Jean-Bernard Lévy.
« Ces circonstances exceptionnelles exigent des actions de toute urgence mais aussi une perspective de long-terme », a-t-il poursuivi. L'artisan de la relance du nucléaire français a reconnu qu'il fallait prendre au sérieux les difficultés industrielles que connaît EDF à assurer un entretien rapide et efficace de ses centrales.
Le dirigeant a déploré à plusieurs reprises le manque de compétences non seulement chez EDF mais aussi -et surtout- chez ses sous-traitants, dans des métiers techniques de soudeur, de chaudronnier ou encore de tuyauteur. Et surtout les tergiversations politiques autour du nucléaire au cours de la décennie 2010. « Après Fukushima, beaucoup ont parlé d'un hiver nucléaire. Nous n'avons gagné en visibilité (sur l'avenir de la filière) que très récemment », a-t-il regretté tout en saluant le virage engagé in fine par le président de la République.
La nécessité d'un « plan Marshall » du nucléaire
« Le discours de Belfort (fait par Emmanuel Macron) en février 2022 a clairement posé le cadre du développement du nucléaire à moyen et long-terme. Nous sommes en mesure de poursuivre la montée en charge de la filière, avec l'université des métiers du nucléaire, le plan Excel fin 2019. Nous avons lancé une école de soudage dans le Cotentin », a reconnu Jean-Bernard Lévy, défenseur infatigable de l'électronucléaire. Cet été, l'exécutif a acté la renationalisation totale d'EDF pour avoir les mains libres dans la gestion du programme nucléaire.
S'il se félicite du projet de relance du nucléaire dévoilé par Emmanuel Macron en février, après avoir critiqué la volte-face de l'Elysée qui a longtemps exigé une baisse de régime du nucléaire, Jean-Bernard Lévy exhorte maintenant le gouvernement et les pouvoirs à aller plus loin que des simples « débats ». C'est-à-dire lancer concrètement les six EPR de deuxième génération promis par le président de la République au terme de son premier mandat.
« Nous avons besoin des textes, des autorisations pour lancer les chantiers. Nous avons besoin d'un "plan Marshall" pour relancer la construction d'EPR. Le terme me paraît justifié pour avoir des moyens » à la hauteur de l'ambition de l'Elysée, a réclamé le PDG d'EDF dans son adresse finale aux parlementaires. Une manière de les inciter à voter des lois facilitant l'établissement de nouveaux réacteurs sur tout le territoire.
Hier mardi, face à cette même Commission des affaires économiques de l'Assemblée, la ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher a précisément évoqué un projet de loi « début 2023 probablement (...) qui introduira des dispositions pour gagner du temps de procédure sur le lancement des chantiers » nucléaires.
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