Taxe carbone : sans harmonisation internationale, une mesure sans impact vert

Par Marie-Françoise Calmette, chercheur à l'école d'économie de Toulouse (TSE).

La taxe carbone sur les émissions de gaz à effet de serre annoncée par le Premier ministre, sera apparemment intégrée dans la loi de finances 2010. Les modalités de cette contribution climat-énergie, son niveau et les compensations envisagées, ne sont pas encore connues mais, quelles qu'elles soient, cette taxe sera inefficace voir nocive si elle est appliquée de manière unilatérale par la France, sans concertation avec nos partenaires étrangers.

Il y a, de façon évidente, nécessité à mettre en ?uvre des instruments de politique environnementale afin de limiter les émissions polluantes. Encore faut-il que ces instruments ne soient pas détournés de cet objectif. Or, dans le contexte actuel, le projet de taxe apparaît en réalité comme un prélèvement obligatoire supplémentaire, avec un effet redistributif qui dépendra de l'utilisation de cette nouvelle recette par le gouvernement.

Mais la taxe carbone, telle qu'elle est envisagée, n'aura pas ou peu d'impact sur la quantité des émissions de gaz à effet de serre. Dans le cadre du prochain colloque de l'Association française de sciences économiques (https://www.afse.fr/), trois contributions scientifiques présentées au sein d'une session spéciale consacrée à l'environnement et la mondialisation, le démontrent de manière méthodique.

Tout d'abord, les émissions de gaz à effet de serre ne s'arrêtent pas aux frontières. Diminuer les émissions dans un pays ne sert donc à rien si celles-ci augmentent chez les voisins. Or, un des effets de la taxe carbone, si son taux est significatif, sera forcément d'engendrer une baisse de compétitivité des entreprises nationales au détriment des concurrents étrangers, non soumis à une telle taxe. Ceux-ci sont alors capables de produire, et donc de polluer, davantage. La production polluante est simplement délocalisée. On parle de "fuites de carbone".

Jean-Philippe Nicolaï et ses collègues1 montrent qu'une solution pour éviter ce phénomène consisterait à mettre en ?uvre des ajustements aux frontières: subventions aux exportations ou taxes sur les importations. Ils expliquent cependant que si de telles mesures sont efficaces dans un cadre de concurrence parfaite, elles ne le sont plus lorsque la concurrence est imparfaite, ce qui est généralement le cas. Surtout, de telles mesures ne sont pas autorisées pour le moment, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce !

Le deuxième inconvénient de taxes carbone strictement nationales est que celles-ci risquent d'inciter à exploiter les ressources énergétiques fossiles au niveau mondial, non pas seulement en fonction de leur facilité d'accès, mais en tenant compte du différentiel entre ces taxes. C'est ce problème qu'abordent Julien Daubanes et André Grimaud. Ils soulignent que les marchés de permis à polluer ont été créés à l'échelle internationale justement pour éviter les comportements aberrants liés à des distorsions de concurrence.

L'instauration de taxes carbone nationales va forcément entraîner de telles distorsions dans l'utilisation des ressources, car chaque pays a des caractéristiques et donc un point de vue différents. En particulier, les pays producteurs de combustibles fossiles (charbon, pétrole...) voudront fixer des taxes plus faibles que les pays non producteurs. Les grands pays auront aussi intérêt à fixer des taxes plus faibles que les petits pays pour éviter de pénaliser leurs consommateurs, ainsi que le montre Guillaume Cheikbossian.

L'urgence n'est donc pas de réfléchir au "bon prix" de la tonne de CO2, en France, mais à la mise en oeuvre d'une coordination internationale de ces taxes et également, dès le départ, à une harmonisation de l'évolution de leurs taux au niveau mondial. Car ce qui compte avant tout dans la régulation des flux d'extraction d'une ressource non renouvelable, c'est la manière dont les entreprises qui l'exploitent anticipent l'évolution des prix et des taxes.

Malheureusement, la probabilité est forte que cette coordination se heurte aux intérêts divergents des gouvernements. Si la France fait cavalier seul, sa taxe carbone ne sera qu'un beau geste. A-t-elle les moyens politiques aujourd'hui d'entraîner ses partenaires commerciaux à sa suite ?

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Qui paiera la taxe pour les immenses incendies de forêts criminels ? Qui paiera la taxe pour les éruptions volcaniques ? Qui paiera la taxe pour les milliards de ruminants domestiques ou sauvages ? Qui paiera la taxe pour la fonte du pergmagforst ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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immense bazar ou la taxe en elle meme est dejà incoherente , financer des exportations et taxer les importations ? , c'est nul , il faudrait alors diminuer le commerce des marchandises a ce rythme là ? , plus serieusement nous voyons avec cette taxe ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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pourrait-on faire une comparaison entre ce mécanisme visant les particuliers et les quotas d'émission de CO2 mis en place depuis quelques années pour les industries émettant de gros tonnages telles que la chimie, la métallurgie et la production d'éle...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Remarquable article qui met les pendules idéologiques sur la question, à l'heure de la raison raisonnée. Bravo et merci pour cet éclairage scientifique argumenté.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Où on voit que, une fois de plus, on bricole n'importe comment pour faire, comme pour les 35h, quelque chose qui, finalement, sera néfaste pour l'économie, la croissance, et donc pour l'emploi. La France, comme pour les 35h, sera seule à le faire et ...

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