Bonus : un dieu d'or et d'argent

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Les quadras se souviendront sans doute s'être trémoussés, au cours de leurs premières boums, sur le tube d'Abba, "Money, money, money", sorti en 1976 dans un album au titre prophétique : "Crazy World". On a pu en trouver un lointain écho dans un article du Financial Times intitulé « Osborne [le chancelier de l'Échiquier] cherche le soutien de l'Union européenne sur les bonus ». Diable ! Qu'Albion décide de se tourner vers l'Europe sur ce sujet avait tout l'air d'un scoop, surtout lorsque l'on se souvient des pressions de la City pour limiter le durcissement des règles prudentielles (Bâle III). Que cachait donc cette europhilie aussi soudaine qu'inhabituelle ?

Il se trouve que le baronet Osborne, conservateur bon teint qui n'avait que 5 ans en 1976, mais sans doute une grande conscience sociale, s'était lancé en 2009 ? avant les élections qui l'ont conduit à son poste actuel ? dans une croisade contre les "bonus indécents" et, passant à l'acte, entendait obliger les banquiers à divulguer les primes supérieures à 1 million de livres (1,2 million d'euros). Malheureusement, du discours électoral à l'exercice du pouvoir, il y a souvent un hiatus, et pas seulement outre-Manche. Des conseillers avisés signalèrent à Mr Osborne que la publication de ces chiffres dans un pays qui connaît les plus sévères coupes budgétaires de son histoire récente pourrait choquer même les électeurs les plus flegmatiques.

Soucieux d'enfoncer le clou, les banquiers firent même observer sans rire que la transparence pourrait être contre-productive, les opérateurs découvrant qu'ils sont moins bien payés que leurs collègues ne manquant pas de réclamer une rallonge... Les 13,5 millions de Britanniques qui vivent sous le seuil de pauvreté (22 % de la population) apprécieront. Mr Osborne ne pouvant se dédire trop ouvertement, botter en touche en prétextant une nécessaire coordination européenne lui permettait de gagner du temps, de quoi passer la saison des bonus 2010.

Cependant, le train européen continuait de cheminer et, non sans surprise, le Comité européen des superviseurs bancaires (CESB) vient d'édicter les nouvelles règles en matière de bonus qui, sans être d'une sévérité extrême, posent malgré tout quelques principes assez forts. Le CESB, qui n'est pas franchement un groupuscule marxiste, rappelle qu'il est « généralement admis que les rémunérations excessives ont encouragé des prises de risques qui excédaient les capacités d'absorption des institutions et du système financier dans son ensemble », ce que les banquiers tentent de faire oublier.

Au-delà d'exigences accrues de transparence et de gouvernance, le CESB insiste sur un point essentiel : le bonus doit être fixé après prise en compte du coût réel des risques pris (un peu comme un assureur module la prime en fonction de l'âge et des antécédents du conducteur). Et ce risque doit être mesuré non seulement ex ante, mais aussi ex post, une fois connu le devenir des hypothèses anticipées.

Les 86 pages du rapport sont remplies de propositions rigoureuses, explicites, et assurément plus efficaces que les "y a qu'à" ou les conseils de footballeurs ? seule profession dont les revenus sont comparables à ceux des traders. Il se heurte toutefois à plusieurs limites :

1. Il ne vaut que s'il est effectivement appliqué, et par tous les établissements.

2. Les tentatives de contournement devront être surveillées.

3. Il est extrêmement complexe, et repose sur des outils de mesure du risque encore très imparfaits et, enfin,

4. Il est encore trop généreux.

Sans surprise, ce sont les banquiers britanniques qui ont le plus violemment protesté. On pourra, pour Noël, leur offrir "l'Enfer" de Dante, où ils liront (chant XIX) cette belle apostrophe : "Vous vous êtes fait un dieu d'or et d'argent, en quoi différez-vous de l'idolâtre, sinon qu'il en prie un, et vous en priez cent ?"

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Commentaire 1
à écrit le 14/12/2010 à 10:18
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Hélas, comme disait Voltaire "L'esprit est tout le contraire de l'argent ; moins on en a, plus on est satisfait."

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