La navette spatiale : un beau rêve déçu

Par Jacques Villain, historien, membre de l'Académie de l'air et de l'espace.
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Le 8 juillet, la navette s'est donc envolée, pour la dernière fois, vers l'espace. C'était le 135e vol de cet engin dont la vie opérationnelle a commencé le 12 avril 1981. Si la navette fut une machine révolutionnaire par rapport aux lanceurs classiques, et sans laquelle la Station spatiale internationale n'aurait pu être construite, elle restera comme le moyen de transport spatial le plus cher de l'histoire et responsable de la mort de 14 astronautes, sans avoir tenu les objectifs pour lesquels elle avait été décidée et définie. Retour en 1972.

La Nasa, alors auréolée de son triomphe lunaire, propose au président Nixon de réaliser une station orbitale, d'envoyer des hommes sur Mars et de réaliser un lanceur spatial universel, autrement dit une navette. À l'euphorie d'Apollo qui motive cette marche en avant vient très rapidement faire face la réalité budgétaire : seule la navette va subsister. La Nasa annonce en janvier 1972 au président que le concept de navette qu'elle propose devrait permettre de mettre sur orbite une charge utile de près de 30 tonnes pour un coût récurrent de 10,5 millions de dollars, soit environ 40 millions d'aujourd'hui, donc très largement inférieur au coût de lancement des lanceurs classiques. Ce qui ne peut que séduire le décideur. Ce faible coût tient au fait que les éléments principaux de la navette sont récupérés après chaque vol. L'espace bon marché est donc pour demain. Une condition cependant : ce coût est prévu pour environ 50 lancements par an mais, à cette époque, qui doute que la conquête spatiale ne soit pas sur une trajectoire ascendante ? D'ailleurs, la Nasa et le Pentagone s'associent à cette navette. Elle est donc le camion à tout lancer, satellites scientifiques, militaires et commerciaux et, puisqu'il y a un équipage à bord, on la définit, comme pour tout lanceur habité, avec un très haut niveau de fiabilité. C'est à la fois une fusée, un avion et un satellite. Mais c'est là que les premières désillusions arrivent.

Le marché des lancements de satellites commerciaux en pleine expansion au début des années 1980 voit un concurrent arriver auquel les Américains ne croient pas : Ariane. En deux ou trois ans, le lanceur européen supplante la navette dont on se rend compte - mais un peu tard - qu'elle n'est pas adaptée à la mise sur orbite géostationnaire de satellites de télécommunications. En janvier 1986, arrive le premier drame : l'explosion de Challenger dont la Nasa, et non la machine, porte la lourde responsabilité. Sept astronautes périssent. Reagan décide alors de la retirer du marché commercial. Deuxième erreur stratégique. Le nombre de lancements diminuant, le prix de lancement augmente. Au début des années 1990, elle ne sert plus qu'aux vols habités. Quant à l'Usaf (United States Air Force), elle quitte le navire pour revenir aux lanceurs classiques. La destruction accidentelle de Columbia en février 2003, qui est l'autre drame de la navette, fait perdre confiance en ce moyen d'accès à l'espace au point que le président Bush décide son abandon pour 2010, abandon devenu effectif en juillet 2011.

À la fin de sa vie, la navette peut donc se vanter d'être le moyen de transport spatial le plus cher. Ce programme a coûté près de 200 milliards de dollars sur quarante-deux ans. Sur cette période, 135 vols ont été effectués au lieu des 580 prévus pour les douze premières années. Le nombre de vols annuels n'a jamais dépassé 9 pour 52 prévus. Le coût d'un lancement est de l'ordre de 1 milliard et demi de dollars pour un objectif de 40 millions (près de 38 fois plus).

Désormais, la Nasa se retrouve sans lanceur pour accéder à l'ISS. Jusque vers la fin de la présente décennie, elle devra faire appel au lanceur russe Soyouz, décidé à l'époque de Staline, et payer plus de 60 millions de dollars pour voir l'un de ses astronautes partir vers la Station spatiale internationale. Gigantesque pied de nez de l'histoire !

Si la navette a écrit de glorieuses pages de la conquête spatiale et notamment celle de sa rencontre avec la station russe Mir en 1997, celles de l'envoi de sondes spatiales, celles de l'amélioration du travail de l'homme dans l'espace et bien d'autres, on ne peut oublier ses défauts au point que l'on n'est pas près de revoir une navette reprendre le chemin des étoiles. Son remplaçant marquera le retour aux lanceurs classiques mais arrivera juste avant l'abandon de la Station spatiale internationale.

Mais, au-delà de l'abandon de la navette, c'est le vol habité américain qui est en panne. Le président Obama a rayé la Lune de ses objectifs sans en décider de nouveaux. Alors, une question se pose. Est-ce la fin des ambitions de l'homme dans l'espace qui se profile ou simplement l'instauration d'une pause en attendant qu'un nouvel esprit de conquête se dessine ?

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