Être femme et chef d'entreprise en Tunisie, ce n'est pas si facile !

Considérée comme un modèle pour les pays arabes en termes de droits des femmes, la Tunisie possède encore peu de dirigeantes dans le secteur privé. Une thématique explorée vendredi 30 septembre à Tunis, lors de la Première Université d'automne des femmes tunisiennes et françaises, par le biais de nombreux témoignages. Exemples…
Lors de la Première université d'automne des femmes tunisiennes et françaises vendredi à Tunis, une table ronde a été organisée sur le thème de l'entrepreneuriat au féminin.

Elles seraient actuellement 10 000, selon la Chambre nationale des chefs d'entreprise. 10 000 patronnes tunisiennes dans les secteurs formel et informel. En 2010, une étude de la même institution en évoquait 18 000. Une baisse qui s'explique certainement par la crise économique que traverse la jeune démocratie avec 15,6% de chômage - et jusqu'à  22,8% pour les femmes -, mais aussi par les difficultés que rencontrent les entrepreneures tunisiennes. Financements, crédibilité et connexions : ces barrières ont été évoquées vendredi 30 septembre à Tunis, lors de la Première Université d'automne des femmes tunisiennes et françaises.

"Il est très difficile de trouver des financements en Tunisie. Pour me lancer, j'ai dû mettre en jeu la maison familiale", explique Amel Cherif Abbes, qui dirige aujourd'hui une agence de transport maritime florissante. Cette mère et grand-mère le reconnaît : elle a eu la chance d'avoir un père et des frères compréhensifs. Aujourd'hui encore, les femmes d'affaires qui s'en sortent le mieux sont celles qui sont issues d'une grande famille, permettant à la fois d'avoir les connexions et l'argent. C'est le cas notamment de Wided Bouchamaoui, présidente de l'UTICA, le syndicat patronal tunisien, co-lauréate du prix Nobel de la paix 2015... et d'un Women's Award de La Tribune, quelques mois avant, en décembre 2014. Lorsque cette femme d'affaire s'est lancée, elle a pu s'appuyer sur la société de son père. "Pour accéder aux crédits, les banques demandent des garanties, mais quand on démarre, tout le monde n'en a pas !", s'agace Amel Cherif Abbes.

Sarah Toumi : "La femme libre, qui ose, fait peur..."

Sarah Toumi en sait quelque chose. Lorsqu'à 24 ans, la jeune femme lance son entreprise "Acacias for All" à Bir Salah, petit village de la région de Sfax, celle-ci se fait littéralement "refouler" par les banques. "Ici, on considère qu'une femme chef d'entreprise a une certaine allure, un certain âge. Pour moi, c'était dur d'apparaître crédible", explique la jeune femme qui note que les choses ont un peu changé lorsqu'elle s'est mariée et a eu un enfant. "Cela a assis ma légitimité, j'ai eu un vrai statut, je suis devenue une vraie femme, avant je n'étais qu'une jeune fille. Nous sommes dans une société traditionnelle et la femme libre, qui ose, fait peur. "

Autre difficulté pour Sarah Toumi: le caractère novateur de son projet qui vise à planter des arbres afin de lutter contre la désertification et proposer des emplois. "C'est un des problèmes en Tunisie : les expériences innovantes ne sont pas acceptées. Par exemple, on interdit le mobile banking", regrette Essma Ben Hamida, qui dirige l'institution de microfinance Enda inter-arabe. Sarah Toumi a fini par faire ses preuves : le magazine américain Forbes la cite dans le classement mondial 2016 des trente meilleurs entrepreneurs de moins de 30 ans. À 28 ans, elle emploie aujourd'hui 24 personnes. Mais là encore, ce n'est pas facile : "Les hommes prennent des initiatives et ne veulent pas rendre des comptes. C'est un vrai challenge pour moi. À l'inverse, les femmes manquent de confiance en elles. On leur propose des formations de développement personnel et on essaye de rééquilibrer petit à petit."

 Essma Ben Hamida et les vertus émancipatrices de la microfinance

À Enda inter-arabe, Essma Ben Hamida reconnaît également un déséquilibre, mais dans le sens inverse cette fois. Sa société de microfinance a déjà offert des crédits à 650 000 Tunisiens, dont les deux tiers sont des femmes. "Quand on fait confiance aux hommes, on n'est pas sûr que l'argent revienne à la famille. Aider une femme, c'est lui permettre d'augmenter ses revenus, de soutenir sa famille et de maintenir ses enfants à l'école." Elle raconte ainsi l'histoire de Samia, une jeune ouvrière de la région de Mornag (au sud de Tunis) dont l'usine a fermé. Un prêt de 200 dinars (80,76 €) lui permet dans un premier temps de louer un pré et d'y installer une génisse. Samia louera ensuite un second pré, puis ouvrira une buvette dans une grande usine et achètera des distributeurs. Elle a aujourd'hui cinq employés.

Enda inter-arabe travaille également à l'accompagnement dans la création de start-up : 10 000 ont ainsi vu le jour, dont 3 700 dirigées par des femmes. Une étude récente montre que ces dernières ont 4% de plus de chance de survie que celles menées par des hommes.

La belle histoire de Radhia Kamoun Megdiche, PDG de "Gourmandises"

Une réussite que Radhia Kamoun Megdiche, directrice générale de "Gourmandises", une chaîne de boutique de gâteaux employant 360 personnes, explique : "La famille est une première entreprise. La femme y apporte raison, rigueur et persévérance. Il faut ces qualités pour diriger une société."  Des qualités que son frère reconnaît parfaitement puisqu'il lui a laissé, sans aucun regret, le poste de PDG. Originaires de Sfax, tous deux ont repris la petite affaire de leur mère, à sa mort en 1988. "On s'est retrouvé face à trois ouvrières, un petit atelier et un crédit à payer", explique-t-elle. Titulaire d'une maîtrise en marketing, ne connaissant rien à la pâtisserie, elle choisit de s'entourer de spécialistes : "La clé, c'est de ne faire que ce que tu sais faire. Je fais le marketing, parce que je sais faire. Je trouve des spécialistes pour faire les gâteaux." Radhia Kahoun Megdiche a prouvé son talent en faisant fleurir la petite affaire de sa mère. La chaîne gourmandises possède aujourd'hui 16 boutiques en Tunisie.

Huit femmes ministres dans le gouvernement Chahed

Présent à l'ouverture de cette première université d'automne, Youssef Chahed, le Premier ministre tunisien, a souligné "les longs combats menés par la Tunisie afin que la femme puisse acquérir plus de droits et de libertés et accomplir au mieux son rôle dans la société d'aujourd'hui."

Rappelant qu'il avait tenu à féminiser son nouveau gouvernement - qui a pris ses fonctions le 27 août - en nommant huit ministres femmes,Youssef Chahed a indiqué qu'un de ses objectifs était de "réactiver davantage les textes juridiques pertinents de manière à instaurer l'égalité entre les deux sexes."

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