2019 : Le grand bond démocratique chinois

#30ansLaTribune - La Tribune fête ses 30 ans. A cette occasion, sa rédaction imagine les 30 événements qui feront l'actualité jusqu'en 2045. Le 11 mars 2019 : La rumeur qui a affolé la blogosphère depuis 2 heures du matin est devenue une certitude : la chine met fin au parti unique. Ironie de l’histoire, cette décision est proclamée l’année où elle célèbre le 70e anniversaire de l’accession au pouvoir du parti communiste.
Robert Jules
"Les investisseurs étrangers voient dans cette libéralisation du politique un signe positif pour l’économie."

Une - Le bon démocratique chinois

C'est à un véritable coup de théâtre auquel l'opinion a assisté en fin de matinée. Réélu président de la République populaire de Chine à la fin de l'année dernière, pour faire un second mandat, le président Xi Jinping a annoncé, lors du discours d'ouverture de la session annuelle de l'assemblée populaire, retransmis en direct à la télévision, la fin du parti unique. « Il est nécessaire que le peuple soit mieux représenté. Notre croissance économique (6 % l'an en moyenne, ces trois dernières années. NDLR) nous a permis de développer des richesses au bénéfice de tous. Aujourd'hui, chaque Chinois bénéficie pratiquement des mêmes avantages que le citoyen des pays riches. Il est donc normal que chacun de nous, peuple chinois, puisse bénéficier du droit à exprimer ce qu'il pense être bon pour l'intérêt du pays et de tous. Il doit donc pouvoir bénéficier du droit à choisir qui le représente, ou, s'il désire être au service de tous, pouvoir se présenter à des responsabilités et se faire élire, à condition qu'il respecte ce qui reste le socle de notre constitution : l'unité du pays », a expliqué Xi Jinping. Dans un célèbre article du 15 novembre 2012, le nouveau Prince rouge avait préparé le terrain : « L'aspiration du peuple à une belle vie est notre objectif de lutte. »

L'événement a été salué à sa juste mesure par l'ensemble des chancelleries de la planète. La présidente des Etats-Unis, Hillary Clinton, a souhaité que cette évolution « permettra de débloquer les négociations sur la situation tendue en mer de Chine ». A Paris, Nicolas Sarkozy, a félicité son homologue « pour le courage et la lucidité dont il a fait preuve pour mener son pays vers la démocratie ».

Enthousiasme modéré en Chine

Même si c'est une surprise, l'annonce en ce printemps de l'année du Cochon n'a pas suscité une grande effervescence. Seule la place Tian'Anmen a été envahie par nombre d'étudiants en liesse, iPhone à la main. « C'est une bonne nouvelle, mais il faut attendre de voir réellement comment cela va se passer », dit l'un d'entre eux, qui veut plutôt évoquer le souvenir des manifestations en faveur de la démocratie en 1989, réprimées dans le sang. « On a perdu 30 ans et beaucoup de vies », ajoute-t-il.

« Le parti communiste chinois a une structure d'un autre âge. Soit il se réformait, soit il implosait », commente Pierre Covanec, professeur de sciences politiques à l'université de Pékin, et fin connaisseur des rouages du pouvoir rouge. « Contrairement à une idée reçue en Occident, les débats au sein du parti communiste ont été animés ces dernières années, et tous les points de vue s'exprimaient. Le seul problème est qu'ils avaient lieu derrière des portes fermées et que seuls certains membres du parti avaient leur mot à dire. Ce paternalisme était de plus en plus mal vécu », avance-t-il.

Des privilèges mal vécus

Les privilèges de quelque 90 millions de membres du parti dans un pays de 1,3 milliard d'individus étaient de plus en en plus mal vécus. L'émergence d'une classe moyenne et aisée est apparue, grâce à la politique de rééquilibrage de l'économie. Dépendant moins des exportations et d'une main-d'oeuvre bon marché, la montée en gamme de l'appareil productif chinois, la qualité du Made in China et de ses services à l'international couplés à la mise en place d'un Etat social - par exemple la CMU et un système de retraite - qui a favorisé la demande des ménages, les Chinois aspirent à plus de liberté politique. Et est à porter au bilan de la présidence de Xi Jinping.

Reste à savoir comment ce dernier va enclencher cette révolution démocratique. Parmi les scénarios sur lesquels a planché la commission politique du parti, il en est un qui s'inspire... du système politique américain. Dans le document de travail qui a servi à la prise de décision, et qu'a réussi à se procurer La Tribune, l'élection du président se fera en effet par le vote de grands électeurs, provenant de l'élection de représentants en province. La Chine compte 33 provinces - si l'on inclut des statuts particuliers dont bénéficient certaines municipalités, régions administratives et autonomes - et Taïwan, qui, avec une telle évolution, pourrait demander à devenir la 34e province.

Eviter l'éclatement du pays

Selon l'un des experts membre de cette commission, « le parti est obsédé par l'idée d'un éclatement du pays. Ses responsables veulent éviter deux scénarios : d'une part, ce qui s'est passé en URSS avec le processus de la « Perestroika » de Gorbatchev, et, d'autre part, un mouvement de contestation qui a conduit à la répression de Tien An Men, et a profondément marqué le pays. Il faut donc un cadre qui puisse accompagner une telle évolution. Or, en Chine, il y a déjà une autonomie des provinces, tant dans la gestion administrative qu'économique. Chaque province a ses spécificités et ses propres problèmes à gérer. Au regard de la taille du pays, le citoyen est d'abord concerné par ce qui se passe localement, et l'élection de grands électeurs à l'échelle de chaque province garantira cette articulation locale et nationale. »

Quant aux velléités sécessionnistes dans certaines régions comme le Tibet, ou la Mongolie, le document spécifie que les partis devront justifier d'une implantation dans chaque province du pays.

Réorganiser la société civile

Le parallèle avec les Etats-Unis ne s'arrête pas là. « En réalité, avance Li Juang, politologue, et commentateur très suivi dans la blogosphère, il est probable que le parti communiste se scinde en deux grandes formations qui reflètent les deux tendances déjà existantes au sein de ses instances : les conservateurs et les libéraux. »

Cette querelle de Anciens et des Modernes version chinoise ne risque-t-il pas de scléroser la vie politique ? « Il est évident que nombre de bureaucrates du parti, notamment les cadres intermédiaires vont s'empresser de se lancer dans une carrière politique dans une de ces deux formations pour pouvoir maintenir leur situation privilégiée », ajoute Li Juang.

Quant à la société civile, elle doit s'organiser. Des Etats-Unis, où il est réfugié, l'avocat Chen Guangheng, le célèbre dissident, a lancé un appel à la constitution d'un parti qui se focaliserait sur la défense des droits des citoyens. Il évoque notamment les associations de défense des droits de l'Homme, mais aussi celles défendant l'environnement, la liberté religieuse ou encore la liberté sexuelle.

Les investisseurs ont en tous les cas accueilli la nouvelle avec satisfaction. Les marchés de Shanghai et de Hong Kong ont vu leurs indices bondir de plus de 20 %, les investisseurs étrangers pressentant dans cette libéralisation du politique un signe positif pour l'économie.

Robert Jules

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