Austérité versus croissance ? Un mauvais débat...

"L'erreur de calcul" à l'origine de l'austérité cache-t-elle une erreur d'analyse plus profonde sur la crise européenne? Avant de s'interroger sur quelle politique adopter face à la crise - rigueur ou croissance, il s'agit déjà d'en identifier la source. Pour l'économiste Michel Santi, les excès de crédits privés, consentis par un système financier boulimique, auraient eu plus d'impact que la dette des Etats sur les fluctuations économiques.
Michel Santi DR

Tout le monde est désormais au courant de l'erreur de calcul des économistes Reinhart et Rogoff, ardents promoteurs de la rigueur comptable et pourfendeurs des déficits publics dépassant 90% du P.I.B. Au-delà du tragi-comique, cette erreur « excel » décrédibilise et fragilise les tenants de l'austérité, lesquels s'accrochaient à cette étude pour insuffler un semblant de rationalité à leur obsession d'équilibrer les comptes publics.

Par delà les mauvaises augures ils mettaient régulièrement en garde, arguant l'idée selon laquelle tous les empires déchus se sont écroulés sous le poids de leurs endettements. Enfin, ils entendaient ainsi dépasser les économistes keynésiens et hétérodoxes (dont je fais fièrement partie) et qui ne cessent de répéter depuis des années que les dettes publiques doivent au contraire être domestiquées dans le cadre d'une récession. Qu'elle soit considérée comme insignifiante ou fondamentale, l'erreur de Reinhart and Rogoff comme les débats enflammés qu'elle suscite détourne les attentions tout en éludant la vraie question. Chronologiquement, c'est en effet sous le poids des endettements privés (dont bien-sûr le secteur financier se taille la part du lion) que nos économies ont plié.

L'endettement privé est la vraie cause de la crise européenne

La relation de cause à effets entre crise financière d'une part et dettes privées d'autre part est ainsi nettement plus forte et évidente que la corrélation hypothétique (et absolument pas prouvable) entre masse monétaire, déficits publics et crise économique. Les excès de crédits consentis par un système financier débridé (comme en Espagne et en Irlande) sont ainsi bien plus responsables de l'implosion européenne que l'endettement démesuré du gouvernement grec. En fait, les dettes privées sont un indicateur nettement plus fiable que les déficits publics dans l'exercice de prévision des crises financières.

Les dettes du secteur privé US n'ont-elles pas atteint un record absolu à 310% du P.I.B. de ce pays en 2008, alors qu'elles n'étaient qu'à 240% du P.I.B. en 1929 ? Au même moment, les déficits publics américains n'étaient que de 40% du P.I.B. (à l'orée de la Grande Dépression) et tout juste de 85% en 2011... Les dettes publiques de la périphérie européenne elles-mêmes étaient à des niveaux insignifiants lors de la débâcle de 2008 : moins de 40% de son P.I.B. pour l'Espagne, de l'ordre de 20% pour l'Irlande, et de seulement 45% pour la France! En fait, l'Espagne et l'Irlande - stigmatisées dès 2010 pour l'ampleur de leurs déficits publics - étaient de bien meilleurs élèves que l'Allemagne car elles respectaient bien plus scrupuleusement le Pacte de Stabilité avant l'implosion de leurs dettes souveraines. N'avaient-elles pas ramené leurs ratios depuis 60 et de 42% ? Elles sont pourtant aujourd'hui le contre-exemple absolu, pour n'avoir pas su ou pu contenir leurs endettements privés.

Le système bancaire est face à une authentique crise de solvabilité

Il est aujourd'hui aisé de prédire que les déboires européens seront condamnés à perdurer et à s'enliser du haut des 1'500 milliards d'euros de créances pourries et insolvables toujours inscrites au bilan des banques de l'Union. Comme il est impératif de prendre conscience que le secteur privé (notamment financier) européen ne traverse pas une simple et bête crise de liquidités. Non : il est face à une authentique crise de solvabilité !

Dans de telles conditions, la seule et unique manière de remédier à ce mal et de redresser les économies sinistrées de l'Union consiste à contraindre les actionnaires des banques comme les porteurs d'obligations d'Etat de ces nations à encaisser des pertes. Pour ce faire, le préalable incontournable est de scinder les banques importantes car il est indiscutable que des établissements financiers mastodontiques nuisent gravement à l'économie réelle. Comme un système bancaire gigantesque se révèle quasi systématiquement être un signe d'une économie malsaine, les profits des banques devraient en permanence être contenus par leur Etat de tutelle à 1% de son P.I.B..

L'hypertrophie du système bancaire, une chaîne de Ponzi qui menace l'économie réelle

Le ratio et l'importance du monde bancaire versus le reste des secteurs d'activité est donc le symptôme par excellence d'une économie à la dérive et au bord de l'implosion financière. Par ailleurs, la boulimie du système financier se réalise toujours et immanquablement aux dépens de l'économie traditionnelle et sur le dos des salariés. Pire même puisque - ne serait-ce que sur le plan empirique - il est aisé de constater que, s'il est vrai que ce sont les bilans des entreprises qui absorbent les dettes, c'est toujours et systématiquement leurs salariés et leurs travailleurs qui en subissent les conséquences via une réduction de leurs revenus.

En fait, les risques et autres paris contractés par les entreprises se traduisent parfois en un gonflement de leurs profits, hélas toujours au détriment des salaires et du pouvoir d'achat de leurs employés. La seule issue permettant d'assainir nos économies consiste donc en une réduction drastique de la quotité du système bancaire et financier au sein de nos P.I.B.. Ce n'est peut-être pas une démarche volontaire de leur part, mais le fait est que l'hypertrophie des banques dégénère toujours en un système de Ponzi, et donc en instabilité et en danger de mort pour la « vraie » économie.

Ni austérité, ni expansionnisme monétaire n'auront d'effet sans assainissement du secteur bancaire

Les débats enflammés pour ou contre l'austérité passent ainsi à côté de l'essentiel, car les dettes publiques des nations européennes périphériques n'ont pas procédé du néant. C'est effectivement les banques et le système financier au sens large qui étaient soulagés quand, au même moment, il était exigé que le citoyen se serre la ceinture. D'une certaine manière, l'austérité et la politique expansionniste sont simplement les deux facettes d'une même pièce qui, l'une comme l'autre, ne fonctionneront pas tant que perdurera une situation où les profits sont appelés à être privatisés pendant que les pertes, elles, sont éternellement socialisées.

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre fondateur de l'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l'auteur de l'ouvrage "Splendeurs et misères du libéralisme"

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Commentaires 29
à écrit le 03/05/2013 à 11:21
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"sauf que 90 % des créances pourries détenues par les banques sont des ... dettes d'état !!!! " En effet, les banques ont prété a tour de bras a des taux asssasin et cela a des pays qu'elles savaient incapable de rembourser... Seulement, ces pays fa...

à écrit le 03/05/2013 à 10:57
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Fameuse loi 73 où l'Etat délégue sa souveraineté au profit d'entreprises privés, annulant ainsi la concurrence entre nation pour favoriser la globalisation!

le 04/05/2013 à 13:52
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L'état n'a pas à créer de la monnaie pour subvenir à ses besoins, spoliant au passage les utilisateurs de cette monnaie. La loi de 73 était donc une excellente loi.

le 05/05/2013 à 8:57
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Faux Totalement Faux, Chaque Etat doit être en mesure par indépendance nationale de Créer de la monnaie sans passer par des Emprunts, Seulement l'argent doit être injecté dans des secteurs protégés de la concurrence internationale ' droits de douanes...

le 06/05/2013 à 4:13
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L'Etat n'a pas a faire tourner la planche a billet. Cela ne cree que de l'inflation, deprecie l'epargne, et equivaut a arnaquer les utilisateurs et detenteurs de cette monnaie.

à écrit le 03/05/2013 à 10:16
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Voila la véritable explication : profits privés, dettes publiques... Tant que personne n'acceptera de tirer un trait sur ses créances, la pyramide de Ponzi continuera de grimper. Personne n'assume ses pertes, c'est la nature humaine.

à écrit le 03/05/2013 à 10:12
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Ah, enfin M Santi, voilà une reflexion plus approfondie que votre precedent sur la soit disant panique. Je ne puis qu'ajouter que l'erreur de calcul des économistes Reinhart et Rogoff n'enlève rien à leur raisonnement et cette erreur ne permet pas co...

le 03/05/2013 à 11:28
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Sauf que rien ne prouve qu'un niveau de dettes élevé implique une croissance faible. Même Reinhart et Rogoff le reconnaissent (c'est un des axes de leur défenses, d'ailleurs : non, on a jamais dit que c'était la dette qui causait la crise, on a juste...

à écrit le 03/05/2013 à 10:03
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M. Santi, l'ami marxiste qui nous vient de Suisse ne cite que les employés et autres salariés comme victimes de la crise. Et surtout pas un mot pour les actionnaires, patrons, grands et petits... Quant à parler d'austérité dans des économies toutes e...

le 03/05/2013 à 11:35
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Versons en coeur une larme attristée sur les patrons, petits ceux là, de PME mais permettez que 'lon relève une légère nuance entre les grands patrons munis d'un parachute en or massif, les actionnaires et les salariés. Ces derniers ne sont pas décis...

le 04/05/2013 à 13:50
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On peut bien sur différencier entre la masse des petits, et les quelques gros patrons. Sauf que l'on fait tout un plat des "grands" patrons qui sont 50 en France, alors qu'il y a des centaines de milliers de petits patrons. C'est toujours cette jalou...

à écrit le 03/05/2013 à 9:56
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Enfin un économiste qui parle des dettes du secteur privé, merci. Vous parlez dans l'article essentiellement du danger de la dette du système bancaire. Pourriez vous nous parler du taux d'endettement des ménages en fonction des pays et de leur impact...

à écrit le 03/05/2013 à 9:53
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40 ans de politique française de relance de la croissance dé-crédibilise toute voix qui soutient cette pratique. La Tribune ferait bien de cesser de cautionner ces voix remettant en cause le bien fondé de l'équilibre budgétaire.

le 03/05/2013 à 13:39
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Le jour ou il y aura des medias non keynesiens ca se saura.... Heureusement maintenant il y a des blogs qui font le vrai travail, et bientot ces "journalistes" sponsorises par l'Etat disparaitront car on se rendra compte qu ils ne servent a rien. Alo...

le 03/05/2013 à 15:01
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C'est vrai quoi ! Il faudrait censurer les médias et les gens qui ne pensent pas comme vous ! Quelle honte ! Ils persistent à véhiculer leur idéologie alors qu'on ne devrait entendre que la votre...

à écrit le 03/05/2013 à 9:33
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La question de la dette privee a ete occultee a bon compte c'est indeniable. Le pb est d'autant plus important est quelle pese en priorite sur les ménages qui auront a souffrir de l'austerite. Dans certains pays ces pays sont appeles zombies car bien...

le 03/05/2013 à 10:02
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C'est évident que la dette privée est à l'origine des problème, mais l'attention a été détournée vers la dette publique pour bien sûr faire payer celui qui est désormais le seul "préteur en dernier ressort", le citoyen contribuable. Pour sauver les ...

le 03/05/2013 à 14:30
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Il est aussi possible que la dette publique soit un pb en plus de la dette privee, l'un n'excluant pas l'autre.Ceci renverrait chacun a ses limites!

à écrit le 03/05/2013 à 9:21
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Et on comprend pourquoi la baisse des taux de la BCE n'ira pas à l'économies réelle (même si elle a l'avantage au moins de maintenir l'Euro a un niveau pas trop haut).

à écrit le 03/05/2013 à 9:20
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sauf que 90 % des créances pourries détenues par les banques sont des ... dettes d'état !!!! C'est le chat qui se mort la queue, et l'aveuglement de Mr Santi, marxiste patenté, pour qui la faute est tjrsdu au privé, et l'état est un dieu omniscien...

le 03/05/2013 à 9:55
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@John Galt ...Des dettes d'Etat parce que depuis 1973, Pompidou, donc la Banque Rotschild, a octroyé le pouvoir exclusif aux banques le financement de l'Etat. ..Moyennant intérêt, bien sûr. Les banques on prêté un argent qu'elle n'avait pas, mais on...

le 03/05/2013 à 9:55
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@John Galt ...Des dettes d'Etat parce que depuis 1973, Pompidou, donc la Banque Rotschild, a octroyé le pouvoir exclusif aux banques le financement de l'Etat. ..Moyennant intérêt, bien sûr. Les banques on prêté un argent qu'elle n'avait pas, mais on...

le 03/05/2013 à 10:21
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@JB38 : les banques n'ont pas obligé l'état à vivre à crédit ...

le 03/05/2013 à 14:04
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@ Thargor : Ouh là faut reprendre les choses à la base : si vous n'avez pas de dettes (crédit), vous n'avez pas d'économie... Et les états ont tout autant le droit de s'endetter que les autres et je dirais même sans doute plus !

le 03/05/2013 à 15:26
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@Lyrric: A MA CONNAISSANCE (certes limité), un état emprunte pour subvenir a des frais de fonctionnement. Il n'y pas de retour sur investissement car il n'y a pas d'investissement au sens : retour sur argent. Les principales entré d'argent sont les ...

le 03/05/2013 à 16:50
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@ JB38 : vous n'en avez pas marre de ressortir tjrs le même argument qui oscille entre l'ignorance crasse des chiffres et l'anti sémitisme ????? Alors je reprends tout depuis le début : la loi de 1973 fait suite à la fin du système de Bretton woods e...

à écrit le 03/05/2013 à 8:36
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faudrait arreter de prendre les gens pour des c... avec cette histoire d'econometre qui fait une erreur sous... excel ! ( meme si excel peut servir en premier approche les stats, graphiques, et autres, sortent en general d'autres logiciels)

le 03/05/2013 à 9:57
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Surtout qu'ils oublient volontairement de rappeler que plus la dette augmente moins la croissance est forte (ce que la correction de la feuille Excel n'a pas remis en cause). D'ailleurs je qualifie cette erreur d'erreur pieuse essayant d'empêcher les...

le 03/05/2013 à 15:01
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Une erreur "excel", bien bête celui qui gobera une telle histoire, les études réalisées par ces soit disant économistes sont politiquement dirigées pour continuer à nous enfoncer. Il suffit de lire quelques économistes censés, Joseph Stiglitz pour n'...

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