Expansion sans frein d'Airbnb, nos régions aussi sont touchées !

L'économie collaborative peut être une véritable chance pour toutes nos régions et tous nos territoires. Mais pour cela, il faut responsabiliser l'ensemble des acteurs. Par Bernard Faraud, propriétaire et exploitant de deux implantations hôtelières et para hôtelières à Ajaccio et à Bastia

Si les conséquences de l'économie dite « collaborative » sur le tissu économique et humain des grandes villes sont connues, l'impact des Airbnb, Booking, Abritel et consorts au sein de nos régions est beaucoup moins médiatisé. Mais il est tout aussi dangereux. Prenons l'exemple de la Corse, dont le célèbre maquis est apprécié des touristes et randonneurs. Un autre maquis gagne du terrain sur l'île de beauté, celui des locations sauvages d'hébergements touristiques. En Corse comme ailleurs, ces offres « non commerciales » sont désormais plus nombreuses que celles proposées par l'hôtellerie traditionnelle. Dans une région où le tourisme représente 35% du PIB, près de sept hébergements touristiques sur dix relèvent de cette économie parallèle. Parallèle, et même largement souterraine : plus de 90% de ces locations sauvages échapperaient aux radars !

 Clients, élus locaux, professionnels du secteur : tous victimes

 Face à cette situation, les maires et élus locaux sont désemparés : ils assistent, impuissants, au développement du phénomène « volets clos », qui se referment parfois sur des rues et des quartiers entiers. C'est bien simple, les maires ne savent plus qui réside réellement au sein de leur commune. Pire, ils constatent parfois des situations ubuesques, comme ces logements « loi Pinel », que leurs propriétaires se sont engagés à louer en résidence principale à un loyer plafonné et qui se retrouvent proposés en location non commerciale sur les plateformes collaboratives. Sans parler de ces HLM que l'on peut louer à la nuitée en quelques clics. Une partie importante du parc immobilier, destinée à l'habitation principale, est détournée de sa fonction. Cela entraine une inflation des prix et l'impossibilité pour la population d'accéder à un logement. Cette désertification humaine entraine, à son tour, une désertification économique, l'activité touristique officielle se retrouvant fragilisée. De nombreux emplois sont aujourd'hui menacés.

 Un vide juridique

Ce développement exponentiel est encouragé par le vide réglementaire, normatif et juridique qui entoure ces offres d'hébergement. Contrairement aux professionnels de l'hôtellerie, ces offres non commerciales ne sont soumises à aucune norme de sécurité - comme l'obligation des dispositifs de prévention et de lutte contre les incendies -, à aucune règle d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, à aucune obligation sociale - protégeant leurs éventuels employés de ménage, par exemple -, ni à aucune obligation fiscale réelle. Non seulement ces vides juridiques et réglementaires mettent en danger les clients et employés de ces offres sauvages, mais ils encouragent une concurrence déloyale.

 Le secteur touristique légal, première victime

Les premières victimes de cette concurrence non équitable sont les acteurs du secteur officiel et légal de l'hébergement touristique et de la restauration. En Corse, ces entreprises, souvent familiales, respectent ces obligations. Elles investissent pour s'adapter. Elles y sont même incitées par la BPI (Banque publique d'investissement) par le biais d'un crédit d'impôt ou d'aides bancaires. Mais devant l'incertitude juridique, la baisse de fréquentation et l'emprise des agences en ligne non réglementées, le secteur bancaire commence à devenir frileux. Connaitrons-nous la même situation que les taxis, dont l'Etat envisage de racheter les licences ? Arrêtons de marcher sur la tête ! Les professionnels attendent aujourd'hui des mesures fortes pour rétablir l'équité concurrentielle.

Loi sur le numérique : des mesures fortes doivent être prises

 Le projet de loi « pour une République numérique », actuellement en discussion au Parlement, ne prend pas en considération les spécificités des régions comme la Corse. En l'état, l'obligation déclarative, c'est-à-dire l'obligation pour les loueurs de déclarer une activité relevant de cette économie non professionnelle, ne s'appliquerait qu'aux communes dont la population dépasse des seuils allant de 50 000 à 200 000 habitants. Autant dire que l'immense majorité des communes françaises seraient exclues de cette mesure. En Corse, seule Ajaccio dépasse le seuil de 50 000 habitants, et aucune ville celui des 200 000. La plupart de nos bassins touristiques ne dépassent pas les 5 000 habitants. Dans beaucoup d'entre eux, il y a aujourd'hui plus d'offres d'hébergement non commerciales que d'électeurs !

 Collecter la taxe de séjour

Enfin, les professionnels de l'hôtellerie attendent de ce projet de loi qu'il mette fin à la concurrence déloyale qui se joue aussi autour de la taxe de séjour. J'ose l'affirmer : les plateformes et agences en ligne ne respectent presque jamais le recouvrement de cette taxe. Certaines indiquent même qu'elle ne leur est pas applicable ! Mais les établissements officiels d'Ajaccio, par exemple, la collectent bien depuis le 1er avril, au détriment du pouvoir d'achat de leurs clients. Et ce n'est pas le projet de loi sur le numérique, tel qu'il se présente en l'état, qui rétablira l'équité. Pour l'heure, le texte laisse toute latitude aux maires pour identifier et réglementer cette économie non professionnelle. Autrement dit, il autorise le maire d'une commune à choisir d'enregistrer les hébergements proposés par les habitants, ou à choisir de ne pas le faire. Alors que les maires corses sont immergés dans la vie de leur commune et qu'ils bénéficient de moyens limités, chacun imagine bien la difficulté qu'ils auront à imposer la déclaration obligatoire à leurs électeurs.

 L'obligation de déclaration préalable pour tous

Pour que l'équité entre acteurs professionnels et non professionnels ne soit pas un vain mot, pour mettre fin à ce « deux poids deux mesures », la règle doit s'appliquer obligatoirement sur tout le territoire, indépendamment du nombre d'habitants par commune. Il faut généraliser l'obligation de déclaration préalable pour les loueurs non professionnels et faciliter cet enregistrement partout. Seule cette disposition permettra d'éviter la rupture d'égalité entre habitants de différentes communes, communes parfois séparées de quelques mètres seulement. Et que dire de la transgression quasi permanente de l'obligation d'affichage du coût complet de la prestation d'hébergement (taxes, linge, ménage, etc.) ? Elle permet à ces plateformes d'afficher des annonces faussement compétitives et encourage les hébergeurs professionnels à brader leurs offres. Ce n'est plus tenable.

 L'économie collaborative peut être une véritable chance pour toutes nos régions et tous nos territoires. Pour cela, il faut responsabiliser l'ensemble des acteurs - intermédiaires et plateformes, loueurs et pouvoirs publics - face aux problématiques sociétales posées par cette économie. Les maîtres-mots de la loi sur le numérique devraient être équité et confiance : seule l'équité entre les acteurs professionnels et non professionnels, d'une part, et entre les territoires urbains et ruraux, d'autre part, permettra de bâtir une confiance durable avec les clients et touristes.

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Commentaires 7
à écrit le 07/07/2016 à 19:24
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Il y a des recettes fiscales a récupérer pour les communes sur les résidences secondaires !

à écrit le 07/07/2016 à 16:22
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Encore un hotelier qui tente de faire pression sur les politiques, en plein examen du projet de loi. Avec tableau apocalyptique et pas l'ombre d'un contre-argument. Mais le tableau est trop à son avantage pour être crédible. On sait que ce sont d'abo...

le 07/07/2016 à 19:37
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Quand votre profession fera l'objet du même type de concurrence, vous changerez peut-être d'avis...

le 10/07/2016 à 16:12
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Moi j'ai surtout envie de vous dire que c'est un vrai problème ! On peu voir l'intérêt immédiat ! Ou voir que cette boîte ne paie pas ses impôts en France ! Baisse les logement d'habitation disponible, augmente les loyers ! Détruit des commerces de...

à écrit le 07/07/2016 à 10:41
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Si les prix des professionnels restaient raisonnables durant la haute saison, on n'en serait pas là; une honte le prix de la chambre d'hôtel en ce moment à Paris intra-muros !

le 07/07/2016 à 13:01
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@Tony: le prix des hotels notamment à Paris est tout simplement ridicule. Cela dit, il faudrait que les gens qui louent s'incrivent comme petite entreprise et paient des taxes et impôts comme tout le monde :-)

à écrit le 07/07/2016 à 9:48
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C'est pourtant facile de savoir par le fics ou est la résidence principale des propriétaires pour engager une surtaxe en plus de la taxe de séjour a ce logement, (encore plus facile si gestion par une agence) mais les maires se plaindront tout le tem...

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