La vérité sur l'euro (3/3) : les conséquences du retour au franc

Quelles seraient les conséquences de l'abandon de l'euro par la France? Troisième volet d'une série sur l'euro en France, par Eric Dor, directeur des études économiques, IESEG School of Management, Université catholique de Lille.

Le retour au franc qui se déprécierait par rapport à l'euro, resté monnaie de l'Allemagne et d'autres pays européens, permettrait-il à la France de doper ses exportations et réduire ses importations ?

Cette affirmation est erronée car elle suppose que, comme dans un lointain passé, une dépréciation de la monnaie nationale provoquerait une forte augmentation des exportations du pays car les produits nationaux deviendraient moins chers pour les étrangers, et une diminution de ses importations car les consommateurs nationaux remplaceraient les biens étrangers devenus chers par des biens domestiques. Or, ce n'est plus du tout comme cela que cela se passerait. La structure du commerce international a fortement changé depuis la période qui a précédé l'euro. Beaucoup de biens consommés par les français ne sont tout simplement plus produits en France, ce qui rendrait impossible de remplacer des produits nationaux par des produits français. Les consommateurs français seraient obligés de continuer à acheter beaucoup de produits en provenance de l'étranger, mais en les payant plus chers.

De surcroît un retour de la France au franc aurait une forte probabilité de provoquer une explosion de la zone euro. Tous les pays retourneraient donc à leur monnaie nationale. Beaucoup de ces nouvelles monnaies nationales se déprécieraient également, comme le nouveau franc, par rapport au nouveau mark. Il est même très plausible que les nouvelles monnaies des pays du sud de l'Europe se déprécient encore plus que le franc. Cela impliquerait que les nouvelles monnaies de l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie se déprécieraient par rapport au franc. Au lieu de gagner en compétitivité, la France se retrouverait moins compétitive qu'avant par rapport à l'Espagne et d'autres pays européens.

Il est donc fort possible que l'abandon de l'euro par la France se traduirait par une aggravation du déficit de balance extérieure, plutôt que par une amélioration.

La France pourrait-elle décider de ne plus respecter certaines règles de l'union monétaire, mais garder quand même l'euro ?

Certains candidats proposent de s'affranchir unilatéralement des règles de l'union monétaire, comme le respect du pacte de stabilité et de croissance qui pose des limites aux déficits publics et aux dettes publiques, en proportion du produit intérieur brut, et l'interdiction pour les banques centrales nationales de l'Eurosystème de prêter directement à leurs gouvernements.

Le pari serait que les partenaires européens, en raison de la taille de la France, n'oseraient pas vraiment la pénaliser ou la forcer à abandonner l'euro. Ce pari est extrêmement irréaliste.

D'abord, que se passerait-t-il si la France, qui a déjà obtenu des délais supplémentaires pour diminue son déficit public excessif, annonçait clairement qu'elle ne tiendra plus compte de ses obligations qui découle du pacte de stabilité, et qu'elle laissera filer son déficit public ? On connaît les implications que cela aurait en termes de pénalités financières, telles qu'elles résultent de la législation européenne. Dans le même temps, les agences de notation dégraderaient certainement la note de la dette publique de la France, ce qui provoquerait une forte augmentation des taux d'intérêts exigés par les investisseurs sur les obligations publiques émises par la France. Cela augmenterait fortement les charges d'intérêt, qui sont une partie des dépenses publiques.

Mais la pénalité pour la France viendrait surtout du fonctionnement de la zone euro. En effet, les banques françaises ne peuvent emprunter des liquidités à la Banque de France qu'à condition d'y déposer des actifs en collatéral, surtout des titres de la dette publique française. Mais les actifs déposés en collatéral doivent respecter des règles d'éligibilité, qui impliquent essentiellement qu'elles doivent avoir un rating minimum, de catégorie « investment grade ». La décote appliquée sur la valeur du collatéral par la BCE, et donc la Banque de France, est aussi inversement proportionnelle au rating donné par les agences de notation. La possibilité d'emprunt des banques françaises auprès de la banque de France se réduirait donc. A la limite, si la dégradation de la note de la France est très importante, on pourrait se retrouver dans le cas de la Grèce où les obligations publiques ne sont plus éligibles au dépôt en collatéral par les banques grecques pour obtenir du financement de la Banque de Grèce. Les banques françaises en seraient réduites à dépendre des ELA de la Banque de France, à des taux punitifs et soumis à l'autorisation de la BCE, comme en Grèce.

Bien sûr les promoteurs d'une telle politique proposent que la Banque de France n'obéisse plus à la BCE et continue à prêter en euros aux banques françaises en acceptant les obligations publiques françaises en collatéral, quel que soit leur rating. Ces promoteurs proposent également que pour échapper aux taux d'intérêt punitifs qu'exigeraient les investisseurs des marchés financiers pour acheter des obligations publiques françaises sur le marché primaire, la Banque de France prête directement des euros au gouvernement français, même si c'est interdit par le traité. Ils parient sur une absence de réaction de la BCE, à cause du poids de la France.

Mais c'est totalement irréaliste penser que l'Allemagne et les autres pays accepteraient cela. Il faut se rendre compte que lorsque la banque centrale nationale d'un pays de l'UEM émet des euros à l'occasion de ses opérations de prêts aux banques, ou de ses achats d'obligations publiques ou privées dans le cadre de la politique exceptionnelle d'assouplissement quantitatif QE, ces euros ont cours légal dans tous les pays de la zone euro. C'est pour cela que chaque banque centrale nationale doit se conformer aux règles communes du traité et aux décisions de la BCE, ou elles sont représentées. L'Allemagne et les autres pays ne pourraient accepter que la Banque de France inonde le marché d'euros, sans aucune contrainte ou respect des règles communes, et que ces euros puissent ensuite être dépensés chez eux et provoquer des pressions inflationnistes ou des déséquilibres de balance des paiements chez eux.

Quelles seraient alors les mesures de rétorsion de la BCE, sous l'impulsion des gouverneurs des banques centrales nationales de tous les autres pays membres, qui siègent à son conseil ? Le système bancaire français pourrait être coupé du système de paiements transfrontalier TARGET2. Il en résulterait que les paiements entre la France et les autres pays membres de la zone euro seraient impossibles, qu'ils soient dus à des transactions commerciales ou financières.

Quelle seraient les conséquences macroéconomiques d'autoriser la Banque de France à prêter directement à l'état français et d'utiliser systématiquement cette possibilité ?

Certains candidats veulent que la France négocie, avec les autres pays membres de la zone euro, une réforme radicale de celle-ci, qui supprimerait l'article du traité qui interdit à la BCE et aux Banques Centrales Nationales de l'Eurosystème de prêter directement aux différents gouvernements nationaux. Cela permettrait à la Banque de France de prêter directement au gouvernement français, essentiellement en achetant elle-même, à l'émission, donc sur le marché primaire, les obligations émises en euros par l'état. C'est aussi le souhait de ceux qui veulent retourner d'emblée à une monnaie nationale française. La Banque de France serait autorisée, et même incitée, à acheter elle-même, sur le marché primaire, les titres de dettes émis par l'état français.

Comme cela a déjà été expliqué, il est vrai que l'interdiction de principe de tout financement monétaire des états dans la zone euro est une erreur car l'absence de garantie de prêteur en dernier recours aux pays de la zone euro permet aux marchés de spéculer contre les dettes publiques en euros. Il faudrait autoriser le principe du financement monétaire, mais ne l'utiliser que très rarement et modérément. Ici on parle de propositions politiques qui prônent un financement systématique du gouvernement par la Banque de France, que ce soit encore en euros si on reste dans l'UEM ou bien en francs. Des candidats proposent de contourner les marchés financiers de cette façon.

Tous ceux qui critiquent cette proposition ont l'habitude de mettre en garde contre l'inflation excessive que cela entraînerait.

Ce raisonnement est en tout cas correct en économie fermée, donc sans importations, lorsque la quantité de biens et services qu'on peut acheter est contrainte par la production nationale. En pareil cas, des prêts illimités de la banque centrale au gouvernement permettent à celui-ci, par ses dépenses, paiements de salaires et subventions, de distribuer de manière illimitée des revenus monétaires à la population, sans qu'il y ait eu une contrepartie productive nationale. Les bénéficiaires de ces revenus additionnels veulent les dépenser, au moins en partie. Il y a ainsi une augmentation de la demande de biens et services domestiques sans qu'il y ait eu une augmentation similaire de la production domestique. Cela provoque une augmentation des prix des biens et services domestiques, donc de l'inflation.

Toutefois la France est une économie ouverte, où les ménages et entreprises peuvent acheter des biens et services importés. En économie ouverte, s'il y a un financement monétaire du déficit public, et donc injection « artificielle » de revenus monétaires sans qu'il y ait eu augmentation de la production domestique en contrepartie, les dépenses excédentaires provoquées par ce processus vont se porter automatiquement sur des biens et services importés. Au départ, plutôt qu'à un surcroît d'inflation, c'est donc à une augmentation du déficit de la balance commerciale et du compte courant qu'on va assister.

Ultérieurement cependant, l'augmentation persistante du déficit de la balance courante est susceptible d'induire une dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la plupart des autres devises, et donc une augmentation des prix des biens et services importés, autrement dit de l'inflation. De toute manière, le gonflement structurel du déficit de la balance courante impliquerait mécaniquement une augmentation de l'endettement des agents privés français envers le reste du monde.

Est-il vrai qu'en application de la lex monetae la France pourrait légalement retourner au franc et convertir les dettes et créances publiques et privées accumulées en euros, en francs ?

Nous avons très tôt expliqué que la lex monetae est effectivement une norme de droit international sur laquelle[1] pourrait se baser un pays qui souhaiterait abandonner l'euro. Mais nos articles ont montré en même temps à quel point la question est complexe et qu'en pratique tout doit être examiné au cas par cas.

Le droit d'un État souverain à réguler le statut et le cours de son unité monétaire est normalement régi par la « lex monetae » en droit international. Le principe de la « lex monetae » stipule précisément que tout ce qui concerne l'unité monétaire d'un pays relève de l'ordre juridique de l'État qui l'a émise. Ce principe est universellement admis et a été confirmé explicitement par la Cour Permanente de Justice Internationale. Lorsqu'un État substitue une nouvelle unité monétaire à son unité monétaire précédente, ce remplacement doit être reconnu par les autres États et leurs cours de justice. Et même, un contrat régi par la loi d'un État, mais exprimé dans la devise d'un autre État, est soumis à la « lex monetae » de cette autre nation en ce qui concerne les aspects liés à l'unité monétaire.

C'est le principe de la lex monetae qui a permis aux différents pays de l'Union Monétaire Européenne de convertir de plein droit en euros, le 1er janvier 1999, les créances et dettes accumulées dans leurs anciennes monnaies nationales, sans que cela soit contesté juridiquement dans les autres parties du monde. Un créancier américain a dû accepter qu'une obligation française émise en francs lui serait remboursée en euros.

Mais il n'y a pas de symétrie parfaite avec le mouvement inverse, car si la France abandonnait l'euro unilatéralement, celui-ci pourrait continuer à exister comme monnaie des autres pays de l'union monétaire.

Si la France retournait à une monnaie domestique, le franc par exemple, et abandonnait l'euro, celui-ci continuerait à avoir une valeur comme monnaie des autres pays de l'Union Monétaire Européenne, ou au moins d'une partie de ceux-ci si certains autres accompagnent la France. Cela complique le processus, surtout quand on prévoit que la nouvelle monnaie nationale, le franc, se déprécier rapidement par rapport à l'euro. Et une question essentielle se pose : les contrats anciennement libellés en euro et les dettes émises en euros peuvent-ils être convertis automatiquement en nouvelle monnaie, le franc réintroduit, ou bien continuent-ils à prévaloir en euros, puisque celui-ci continue à exister ? Et même à supposer que le départ de la France cause une implosion totale de l'euro et que tous les pays de l'UEM retournent à une monnaie nationale, on pourrait supposer qu'un détenteur américain d'une obligation française en euro puisse préférer que cette créance soit convertie en mark réintroduit qu'en franc réintroduit. Il y aurait en effet plusieurs monnaies successeurs de l'euro ! Qu'en serait-il juridiquement ?

Lorsque la France est passée du franc à l'euro, il était clair que les dettes et créances existantes en francs étaient régies par la lex monetae française. Mais si la France passe de l'euro au franc, les dettes et créances existantes en euros sont-elles régies par la lex monetae française ou par la lex monetae de l'Union Européenne ou de la zone euro ? C'est un point de droit international très délicat car le passage à l'euro a justement été un acte d'abandon de souveraineté monétaire en faveur d'une structure supranationale, l'Union Européenne.

Dans l'hypothèse où la France se retirait de l'UEM et réintroduisait sa propre monnaie, les citoyens ou institutions de la France ayant précédemment contracté des dettes libellées en euros essayeront d'obtenir le droit de les rembourser et payer les intérêts dans leur nouvelle monnaie nationale. Les créanciers risquent de contester ce droit devant des cours de justice françaises ou de pays étrangers. Les cours de justice, qu'elles soient celles de la France ou celles d'autres pays, vont déterminer que les paiements peuvent être convertis en francs ou au contraire rester en euros, selon que les parties auront noué une relation contractuelle en référence à la « lex monetae » française , ou bien à la « lex monetae » d'un autre Etat membre de la zone euro ou à celle de l'UE ou de la zone euro. Comme les contrats ne comportent généralement pas de clause indiquant la « lex monetae » à laquelle les parties se réfèrent, les cours de justice françaises ou étrangères tenteront de déterminer à quelle « lex monetae » les parties avaient l'intention de se référer au moment de l'élaboration du contrat. De manière générale, les cours de justice de la France et celles des autres pays supposeraient que l'intention des parties était de se référer à la « lex monetae » de la France dans les cas suivants :

-Une obligation souveraine qui avait été émise en euros par la France à destination des investisseurs domestiques français, sans cotation sur des marchés étrangers et payable en France

-Un prêt en euros qui avait été accordé par une banque d'un autre pays de la zone euro ou hors de la zone euro, à un débiteur de France, et qui stipulait que les remboursements et paiements d'intérêt étaient à verser sur un compte d'une filiale du prêteur en France

-Un prêt en euros qui avait été accordé par une banque en France à un débiteur en France

-Une dette issue d'un contrat qui avait été libellé en euros et est régi par le droit français, ou qui stipulait que les paiements étaient à effectuer en France

La justice reconnaîtrait donc que les dettes et paiements liés à ces contrats, initialement exprimés en euros, soient convertis en francs. Pour un retrait ayant fait l'objet d'un amendement au traité ou de tout autre accord avec les autres pays membres, ce droit serait reconnu aussi bien par les cours de justice étrangères que celles de France. En cas de retrait unilatéral, en infraction avec le traité européen, on peut toutefois penser qu'il n'y a que la justice de France qui reconnaîtrait le droit de convertir les dettes et paiements en nouvelle monnaie nationale dans les cas évoqués ci-dessus.

Des dettes et paiements toujours en euros

Quoi qu'il en soit, cette analyse montre qu'il y a de nombreux cas ou les dettes et paiements resteraient libellés en euros, et par exemple :

-Une obligation souveraine qui avait été émise en euros par la France, à destination des investisseurs internationaux, cotée sur des places étrangères ou payable à l'étranger

-Un prêt en euros qui avait été accordé par une banque d'un autre pays de la zone euro ou hors de la zone euro, à un débiteur en France, et dont le service doit être payé sur un compte dans le pays de la banque prêteuse

-Pour les obligations publiques émises par la France, on observe que la question de la conversion en francs est d'une complexité qui excède la simple question du droit national sous lequel elles ont été émises, contrairement à certains propos simplistes qui sont souvent tenus.

En cas d'abandon de l'euro par la France et de retour au franc, est ce que la dette publique de la France serait dégradée par les agences de notation ?

Une grande confusion caractérise beaucoup de commentaires à cet égard. Il est totalement erroné de prétendre que parce qu'une conversion en francs de certaines obligations publiques émises en euros serait légale, en application du principe de la lex monetae, il en résulterait qu'une dégradation de la note de la dette publique française par les agences de notation serait infondée.

Lorsqu'une agence de notation dégrade la note d'un pays qui laisse filer son déficit et dont la dette emprunte une trajectoire explosive, le gouvernement concerné avait légalement le droit de mener une telle politique, mais la note est dégradée parce que la probabilité que les créanciers récupèrent la totalité de leur mise a diminué, puisque le risque de défaut a augmenté. Les décisions des agences de notation sur la qualité des titres de dette sont indépendantes de la légalité de l'action des emprunteurs.

En cas de conversion forcée, en francs, d'obligations publiques qui avaient été émises en euros par la France, les agences de notation examineraient quelles seraient les implications sur le risque de perte des investisseurs sur le capital investi et sur les coupons à recevoir. Comme il y aurait une forte probabilité de dépréciation du franc par rapport à l'euro, et donc que le prix du franc en euros diminue rapidement pour se situer en dessous du taux de conversion initial, les agences de notation seraient obligées de constater une augmentation du risque de perte pour les investisseurs. Il y aurait une forte probabilité que la valeur en euros des coupons et du capital payés en euros aux détenteurs des obligations soit inférieure à ce qui avait été annoncé au départ lors de leur émission. Les agences de notation seraient donc obligées de dégrader la note de la dette publique de la France.

Est-ce qu'un abandon de l'euro par la France et la conversion forcée en francs des obligations publiques émises en euros entraînerait le déclenchement du paiement des CDS sur ces obligations ?

 Il y a également eu une grande confusion dans les commentaires à ce propos. Il est totalement erroné de penser que, si il était légal pour la France de convertir des obligations publiques émise euro, cette conversion ne déclencherait pas le paiement des indemnités sur les CDS. Le déclenchement des CDS suite à un changement de l'unité monétaire d'une obligation par son émetteur est totalement indépendant de la légalité de cette conversion. Ce déclenchement dépend des règles de l'ISDA en la matière et celles-ci sont publiées. Il est donc légal de déclencher le paiement des CDS même si la conversion est légale.

Il est bien clair que le comité de détermination de l'ISDA déciderait qu'il y a bien un « événement de crédit » qui déclencherait le paiement des indemnités aux détenteurs de CDS sur les obligations publiques françaises. C'est en effet précisé explicitement par les règles de l'ISDA sur cette question.

Quelles seraient les conséquences d'un retour au franc sur les taux d'intérêt payés par les secteurs public et privé en France ?

Il est évident que l'incertitude causée par l'abandon de l'euro, les litiges juridiques liés à cette situation, et les perspectives de dépréciation du franc, augmenteraient très fort les taux d'intérêt exigés par les investisseurs sur les dettes des secteurs publics et privés en France. Les débiteurs français seraient considérés comme risqués pendant une longue période, ce qui inciterait les investisseurs à exiger une prime de risque à la mesure de cette incertitude.

Une répression financière obligeant certains investisseurs nationaux à acheter des obligations publiques, et un financement monétaire du gouvernement, seraient sans effet sur le financement du secteur privé qui serait de toute manière exposé à des taux d'intérêt élevés.

Il est important que comme la France a un déficit de balance extérieure courante, elle doit mécaniquement emprunter chaque année au reste du monde. Un financement monétaire intensif de l'état par la banque de France ne pourrait pas régler ce problème car celle-ci ne pourrait émettre que des francs, et pas des devises étrangères nécessaires au paiement des importations de biens et services. D'une manière ou d'une autre la nation dans son ensemble, secteur public et privé agrégés, continueraient à dépendre d'un financement extérieur. Les prêteurs étrangers exigeront des taux élevés si le franc est considéré comme une monnaie ayant tendance à se déprécier par rapport aux autres, et si l'économie française est fragilisée par le choc d'un frexit.

Pour la France et les autres pays de la zone euro, est-il vrai que les réformes structurelles prônées par la Commission Européenne, la BCE et d'autres organismes internationaux, pourraient doper la croissance et l'emploi ?

Les réformes structurelles prônées par les principales organisations internationales consistent à libéraliser les marchés pour augmenter la concurrence, enlever les barrières à l'entrée pour les professions réglementées, privatiser les entreprises publiques, déréglementer le marché du travail, déréguler les activités. L'objectif affiché est d'augmenter la productivité et améliorer l'allocation des ressources. Au total, la production réelle globale est censée augmenter suite à ces réformes. Bien sûr certains citoyens qui perdent leur protection peuvent se retrouver avec un salaire réduit, mais les promoteurs des réformes structurelles répondent que puisque le gâteau global a augmenté, il est possible de mettre en place des politiques redistributives pour qu'alors tout le monde se retrouve dans une situation au moins aussi bonne qu'avant les réformes.

Toutefois, la réalité montre qu'en pratique c'est loin d'être le cas. Les analyses synthétiques de l'immense littérature scientifique empirique sur le sujet montrent [2] que les réformes structurelles ont un impact insignifiant sur la croissance.

L'expérience des pays émergents, comme l'ont montré des recherches scientifiques à l'université Harvard[3], indique que les meilleures performances ont été obtenues par des pays qui ont libéralisé de manière sélective plutôt que totale.

C'est d'ailleurs la même chose du point de vue du libre-échange. Les meilleures performances ont été obtenues par ceux qui l'appliquent de manière sélective. La Chine a bénéficié énormément de son adhésion à l'OMC en 2001. Toutefois, elle a restreint l'accès à ses propres marchés, surtout dans les services comme la finance, et exige systématiquement que les entreprises occidentales transfèrent leur technologie en échange de contrats commerciaux. La zone euro aurait une certaine légitimité économique à se protéger du dumping social.

Comme le remarque Dani Rodrik de l'université Harvard aux Etats Unis, l'obstination des technocrates à refuser de reconnaître l'existence de dumping social dans certaines situations de commerce international et la nécessité de les corriger, laisse toute latitude aux politiciens populistes d'aborder ces questions et d'attaquer sans discernement l'ensemble du libre-échange, même lorsque celui-ci apporte des bénéfices réels[4].

Des investigations réalisées à University College Dublin ont également montré que la reprise économique[5] de l'Irlande, après la crise financière récente et la mise du pays sous assistance financière internationale, est due à des causes totalement étrangères à la politique d'austérité que le gouvernement a été obligé d'appliquer sur ordre de ses créanciers.

Tous ces résultats scientifiques doivent conduire les autorités politiques européennes et nationales à privilégier une approche pragmatisme et libérée de tout dogmatisme idéologique sur ces questions.

Conclusion

Même avec une appréciation sans complaisance du fonctionnement de l'union monétaire européenne, et une reconnaissance des défauts de construction de la zone euro, on peut conclure objectivement qu'un abandon unilatéral de l'euro par la France serait inopportun et nuisible à ses intérêts. Il est évident que la zone euro doit être réformée, mais il n'y a de démarche crédible que par la persuasion des partenaires européens et la négociation. Il y a certainement lieu de réformer encore le pacte de stabilité pour relâcher la contrainte globale d'austérité dans la zone euro, par exemple en enlevant les investissements porteurs de croissance, comme ceux dans l'éducation, des dépenses prises en compte pour le calcul des déficits excessifs. Les déséquilibres de balance commerciale intra européen peuvent être corrigés partiellement par une politique d'investissements publics en infrastructures dans les pays qui ont des marges de manœuvre budgétaire comme l'Allemagne ou les Pays Bas, et une stimulation des rémunérations dans les pays en excédent. La question du financement des gouvernements par les banques centrales nationales doit être réexaminée avec nuance et prudence. L'union bancaire doit être continuée avec mise en commun de la garantie des dépôts. Tôt ou tard la mise en commun d'une partie de la dette publique doit être organisée. Ceci dit la France doit améliorer ses problèmes structurels d'offre qui persisteraient même si elle changeait de monnaie. Et les défis majeurs pour l'économie française sont extérieurs à la problématique de l'euro, comme la concurrence de pays à salaire extrêmement bas, la robotisation, le dumping social et environnemental. Ces problèmes requièrent une réponse collective européenne pour être efficace.

[1] Eric Dor , 2011 , Quitter la zone euro: y a-t-il un mode d'emploi?, IESEG working paper 2011-ECO-04.

Dor Eric, 2011, Leaving the euro zone: a user's guide , IESEG working paper 2011-ECO-06.

[2] Babecký, Jan and Nauro F. Campos (2011), Does reform work? an econometric survey of the reform-growth puzzle, Journal of Comparative Economics, 39:2, pp. 140-158.

Babecky, Jan and Tomas Havranek (2014), Structural reforms and growth in transition: a meta-analysis, Economics of Transition, 22:1, pp. 13-42.

[3] Dani Rodrik, 2016, The elusive promises of structural reform, s,

[4] Rodrik, Dani. The globalization paradox: democracy and the future of the world economy. WW Norton & Company, 2011

[5] Adrian Agan, 2016, Why Austerity And Structural Reforms Have Had Little To Do With Ireland's Economic Recovery, Social Europe

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Commentaires 2
à écrit le 28/04/2017 à 9:29
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Conférence de Vincent BROUSSEAU, ancien économiste à la Banque centrale européenne à Bordeaux le vendredi 15 mars 2017 : "La France doit quitter la zone euro avant le probable Itexit" https://www.youtube.com/watch?v=kP6IxvjnBNI

le 02/05/2017 à 0:45
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Oui, l'Italie autre "homme malade" de la zone euro, mais grâce à l'austérité et il faut bien que quelques fois l'austérité donne des résultats, a maintenant un excédent de la balance commerciale et de ce fait sort moins difficilement de l'Euro que...

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