C'est une des marottes des observateurs politiques français : pour réformer le pays, rien ne serait plus souhaitable qu'une « grande coalition » entre les deux grands partis du pays. Suit alors inévitablement une référence à l'Allemagne. Ce mythe de l'union nationale n'est pas une spécificité française, il est également très présent au niveau européen.
En Italie comme en Grèce, c'est la solution qui a été imposée en 2011 par l'Europe pour tenter de réaliser les fameuses « réformes douloureuses, mais nécessaires » pour rassurer les marchés. Reste néanmoins à savoir si cette solution « miracle » en est réellement une.
L'efficacité économique en question : l'Italie
Sur le plan de l'efficacité économique, le bilan de ces « grandes coalitions » est assez mitigé. En Italie, le gouvernement Monti a réduit le déficit public, mais n'a pas réellement réalisé les grandes réformes structurelles qu'attendait le marché, malgré la large majorité que lui assurait son gouvernement technique. Le pays est entré en récession et la reprise reste chimérique. Quant au gouvernement Letta, politiquement faible, il n'a pratiquement pas mené de vraies réformes, compte tenu, il est vrai, du « poison » que représentait pour sa majorité l'affaire Berlusconi.
L'efficacité économique en question : la Grèce
En Grèce, Lukas Papademos n'a guère réalisé les réformes promises et le gouvernement Samaras, tout en prenant de violentes mesures d'austérité, ne satisfait pas entièrement aux vœux de la Troïka, notamment en ce qui concerne le programme de privatisation. Du reste, malgré deux ans de gouvernements d'union nationale, la Grèce ne pourra satisfaire aux critères du mémorandum l'an prochain et il faudra prévoir un troisième plan d'aide à Athènes avant la mi-2014.
L'efficacité économique en question : l'Allemagne
Mais même dans les pays qui se portent mieux, les « grandes coalitions » n'ont guère fait la preuve de leur efficacité. En Allemagne, les grandes réformes de l'ère Schröder ont été votées par une majorité de centre-gauche. La grande coalition de 2005-2009 n'a fait qu'achever les réformes prévues par l'Agenda 2010 qui auraient été sans doute poursuivies par d'autres alliances politiques.
Son bilan réformateur reste par ailleurs assez maigre et aux lendemains du krach de Lehman Brothers, on se souvient combien cette grande coalition a été lente à réagir.
L'efficacité économique en question : l'Autriche et les Pays-Bas
Dans d'autres pays, comme l'Autriche, la persistance d'une grande coalition n'a guère été en mesure de traiter le problème principal du pays, la fragilité de son système bancaire, dénoncée encore par Fitch vendredi dernier. Et si la grande coalition néerlandaise a été capable de prendre des mesures d'austérité et de réformes du secteur immobilier, elle n'a pas su sortir le pays du marasme économique où il s'enfonce actuellement.
Le bilan politique des grandes coalitions : l'Autriche
Si le bilan économique des grandes coalitions est mitigé, leur bilan politique est désastreux. Les évènements de ces derniers jours l'ont du reste clairement rappelé. En Autriche, pays qui a connu depuis 1945 36 ans de gouvernement de grande coalition, le principal parti d'extrême-droite, la FPÖ, a fait dimanche une nouvelle percée, progressant de 3,1 points par rapport à 2008.
Le bilan politique des grandes coalitions : l'Allemagne
En Allemagne, la « grande coalition » de 2005-2009 avait également subi une sévère défaite en 2009. La SPD avait perdu 11,2 points et même la CDU, malgré la popularité d'Angela Merkel, n'avait, voici quatre ans, pas pu éviter un recul de près de deux points de son score électoral. Les autres partis, notamment les partis populistes de gauche (Die Linke) et de droite (les Libéraux) avaient réalisé les meilleurs scores de leur histoire.
On comprend donc que, quoique rendue inévitable par les résultats du 22 septembre, la nouvelle grande coalition ne fait guère rêver les deux principaux partis allemands, notamment la SPD qui rechigne à conclure cette alliance. Les négociations semblent du reste être très tendues.
Le bilan politique des grandes coalitions : l'Italie et la Grèce
En Grèce ou en Italie, les effets politiques néfastes des grandes coalitions sont éclatants. En Italie, les élections du mois de février ont sanctionné l'échec de Mario Monti et fait émerger le mouvement de Beppe Grillo qui s'est présenté comme une alternative à la « grande coalition. » Il en est sorti un blocage qui pèse encore sur la situation actuelle de l'Italie.
En Grèce, l'alliance de la gauche radicale Syriza et les néo-nazis d'Aube Dorée ont été les principaux vainqueurs des élections de juin 2012. Dans les sondages actuellement, la « grande coalition » grecque dépasse à peine le quart des intentions de vote… A l'inverse, on remarque que les pays qui ont pratiqué l'austérité dans le cadre d'une coalition ou d'un gouvernement monocolore, comme en Espagne et au Portugal, ont nettement moins la tentation des extrémismes.
Au Portugal, le PS, pourtant auteur des premiers plans d'austérité, profite de la sanction du gouvernement de droite. L'extrême-gauche a subi dimanche lors des élections municipales une vive déception…
Un solution miracle qui n'en est pas une
Bref, ces grandes coalitions ne semblent guère être des gages de réformes pour les pays européens. Bien au contraire, elles renforcent le risque politique et l'acte démocratique principal, l'élection, devient un danger majeur qu'il faut à tout prix éviter, comme la situation italienne le prouve actuellement. Il y a donc un risque pour la démocratie.
Malgré les sondages actuels qui prouvent que les Allemands souhaitent majoritairement une grande coalition, les faits sont têtus : en Allemagne, comme en Autriche, en Italie ou en Grèce, les électeurs ont sanctionné sévèrement ces expériences. Bref, la « grande coalition » est loin d'être la solution miracle rêvée par les distingués politiques français et par les dirigeants européens.