Le leader mondial des cosmétiques, L'Oréal, a longtemps vécu de sa réputation de premier de la classe, de métronome capable de produire inlassablement et presque sans effort une hausse à deux chiffres de ses bénéfices chaque année, l'objectif sans cesse reconduit par son charismatique PDG, Lindsay Owen-Jones. Aux yeux blasés et intransigeants des investisseurs, la firme de Clichy, centenaire l'an prochain et déjà quadra en Bourse, avait tout de la beauté classique un peu ennuyeuse, à la mécanique quasi parfaite et sans surprise. Une beauté un peu vieillissante même, un modèle en voie de se fissurer aux dires des plus pessimistes, menacé de déclin par le ralentissement de son marché historique, l'Europe, et les ambitions décuplées du géant américain Procter & Gamble.

A bientôt 60 ans, "OJ" a compris que L'Oréal avait besoin de se refaire une beauté, mais pas nécessairement d'un vrai lifting: il a choisi l'an dernier son dauphin chargé de mener à bien l'opération, Jean-Paul Agon, 49 ans, pur produit maison. Avant même l'assemblée du 25 avril qui doit approuver sa prise de fonctions, le nouvel ambassadeur de la marque a trouvé jeudi, au cours de la présentation des résultats annuels, les slogans justes mais inattendus pour signifier que décidément, oui, L'Oréal le vaut bien, cet intérêt des investisseurs et ce supplément de valorisation dont le groupe a si longtemps bénéficié par rapport à ses concurrents. Jean-Paul Agon a dû pointer les faiblesses et les défauts de L'Oréal, afin de mettre en valeur ses atouts.

Le potentiel de croissance du groupe serait restreint par sa domination écrasante? Le futur patron répond en substance que L'Oréal est bien leader mondial sur le papier mais que, concrètement, il n'est numéro un que dans six pays, en Europe (France, Belgique, Danemark, Norvège, Grèce, Portugal), et ne l'est pas dans de nombreux pays clés, l'Allemagne, dominée par le groupe Beiesrdorf et sa Nivea, les Etats-Unis, où règne toujours en maître Estée Lauder, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne, le Brésil et tant d'autres, sans compter la multitude de nations où le champion français revendique moins de 10% de parts de marché....

Joli paradoxe que de devoir présenter L'Oréal à visage découvert, dépouillée du masque de perfection dont le peignaient ses dirigeants chaque année, pour mieux en faire apprécier les attraits. L'Oréal, en somme, n'est pas celui que vous croyiez. L'âge de la maturité sera pour lui celui de l'épanouissement et non du flétrissement. Il est vrai que la maison a quelque expertise en matière de lutte anti-âge. Misant sur l'essor du marché des cosmétiques pour hommes et pour seniors, le groupe a bien l'intention de s'offrir une seconde jeunesse. Le coup de jeune a déjà produit ses effets: en Bourse, le cours a retrouvé ses plus hauts niveaux depuis trois ans...