Risques climatiques : les assureurs mettent la pression pour faire bouger les pouvoirs publics

Alors que la facture des sinistres climatiques a singulièrement grimpé au second semestre 2023, les assureurs s’alarment de la dérive des coûts et préparent les esprits à une hausse des tarifs, y compris de la « surprime » Cat Nat. Les pouvoirs publics auront une décision à prendre sur la « surprime » dans la foulée de la remise, fin janvier, du rapport sur l’assurabilité des risques climatiques.
La CCR  a estimé à 550 millions d'euros le coût des inondations pris en charge par le régime de catastrophe naturelle dans les Hauts-de-France, dont la moitié à sa charge.
La CCR a estimé à 550 millions d'euros le coût des inondations pris en charge par le régime de catastrophe naturelle dans les Hauts-de-France, dont la moitié à sa charge. (Crédits : Hans Lucas/ Reuters)

L'assurance n'est pas qu'une affaire de chiffres. Elle devient un sujet de société, et donc un sujet politique. « Quand nous faisons le bilan des inondations dans le Nord-Pas-de-Calais, nous constatons que, comme c'est encore trop souvent le cas, les conséquences auraient pu être atténuées si des mesures de prévention avaient été déployées plus largement. Si nous n'allons pas vers un débat de responsabilités avec l'ensemble des acteurs privés et publics, nationaux et locaux, sur les conséquences pour notre système d'assurance, du choc climatique, nous risquons une rupture d'égalité et une dérive vers un modèle à l'américaine où, sur le territoire national, chacun ne sera plus certain de pouvoir assurer ses biens ou ses activités »s'inquiète auprès de La Tribune Philippe Michel Labrosse, directeur général Abeille Assurances.

Alors que les conclusions de la mission « Langreney » sur l'assurabilité des risques climatiques, lancée au printemps dernier à l'initiative des ministères de l'Économie et de la Transition écologique, sont reportées d'un mois à la fin janvier, les assureurs font monter la pression. Pour eux, le constat est sans appel : les résultats techniques ne cessent de se dégrader dans l'assurance dommages et les réserves de la Caisse centrale de réassurance (CCR), en charge de la réassurance du régime public privé d'indemnisation des catastrophes naturelles, fondent à vue d'œil.

Assurance plus chère

« Il n'est pas certain que les réserves de la CCR soient suffisantes dans les deux ans... comme il n'est pas certain qu'elles ne soient pas suffisantes », avance un bon connaisseur du dossier pour souligner la totale incertitude des prévisions mais aussi que l'institution de réassurance est sur le fil.

A défaut de réserves, c'est l'État qui doit directement mettre la main à la poche, comme ce fût déjà le cas une fois auparavant, lors des tempêtes Lothar et Martin de 1999 (et encore pour un montant très limité d'environ 200 millions d'euros).

Certes, derrière un discours alarmiste, les assureurs préparent les esprits à des hausses substantielles des tarifs d'assurance dommages pour 2024, « au moins au niveau de l'inflation », dixit un assureur, après un an de modération tarifaire imposé par Bercy. Et la CCR plaide avec force pour une augmentation de la « surprime » Cat Nat, payée notamment sur les contrats multirisques habitation, de 12% actuellement à 19 %, et ce « le plus tôt possible ».

Un pays bien assuré

Le message des assureurs aux pouvoirs publics est clair : face à la montée des risques d'intensité et de fréquence, l'assurance sera à l'avenir plus chère et moins couvrante. Il est donc urgent de trouver des solutions pour amortir le plus possible cette échéance, des solutions qui doivent passer, soulignent les professionnels, par des partenariats publics privés.

Le débat est d'autant plus sensible que la France est un peu une exception en Europe en termes de couverture d'assurance : les Français ont pris l'habitude d'être remarquablement bien assurés (par rapport à nos voisins). C'est ce qui explique que 98 % des habitations soient assurés alors que l'assurance est facultative pour les propriétaires.

Lire aussiMaisons fissurées : les assureurs tentent de trouver des parades face à l'explosion des sinistres

Chacun sait que le tarif est une mesure incitative efficace pour changer les comportements. Dans le domaine des risques climatiques, beaucoup de choses restent à faire, d'autant que le régime d'indemnisation Cat Nat, mutualisé sur l'ensemble des assurés (habitation, automobile, biens professionnels, à un tarif unique, est très efficace mais, par nature, déresponsabilisant. Autrement dit, l'heureux propriétaire d'une maison en bord de mer sait qu'il peut compter sur la solidarité nationale, notamment celle du locataire d'un appartement en centre-ville. « Les modulations de tarifs sont encore assez faibles », estime un assureur de la place.

Conscients mais peu concernés

« Ce qui ressort de notre étude est que les Français ont une perception très claire du risque climatique mais une relative incapacité à trouver les moyens pour comprendre ce risque et à s'en prémunir », indique Giovanna Santi, responsable de l'écosystème « Ma prévention » chez Allianz France, lors de la présentation d'une étude sur les Français face au risque climatique. Si les risques climatiques sont la deuxième préoccupation des Français (80% des sondés), après l'inflation (et devant l'insécurité), seul un quart des sondés indiquent s'être renseignés sur le niveau d'exposition de leur logement.

« C'est une situation compliquée pour un assureur », résume Pierre Vaysse, membre du comité exécutif d'Allianz France, « plus les gens sont inquiets, moins ils ont une connaissance des risques ». Et si les assureurs ne peuvent jouer le rôle de responsabilisation sur les tarifs, c'est aux pouvoirs publics, l'État mais aussi les collectivités locales de le faire.

Valoriser ou forcer

« Le régime Cat Nat permet d'assurer une couverture à tous. Mais il va falloir payer plus pour le maintenir à flot. Ce ne sera pas suffisant. Il faut aussi valoriser ou forcer - ce sera un débat dans l'avenir - les comportements vertueux », estime Pierre Vaysse.

Cet appel à une meilleure prise de responsabilité de l'État s'adresse aussi, et surtout, aux collectivités locales, à ceux qui délivrent toujours des permis de construire dans les zones à risque. « Peut être faut-il envisager des mesures plus incitatives, voire coercitives, pour diminuer l'exposition globale au risque climatique, sinon le coût de l'assurance risque de devenir, dans un futur pas si lointain, insupportable pour un grand nombre de Français », ajoute l'assureur.

En clair, cela veut dire plus de normes, plus de contrôles et plus de moyens financiers pour les communes, qui ne sont pas le plus souvent outillées pour gérer un plan de prévention des risques. « Pourtant, les chiffres de la CCR le prouvent, les plans de prévention ont un effet sur le coût des sinistres », rappelle un expert.

Pour l'heure, la responsabilité des collectivités locales est devenue inexistante. La franchise qui pouvait augmenter lorsque la commune n'avait pas établi de plan Cat Nat a disparu avec la réforme du régime, qui entre en application le 1er janvier. De nouvelles normes, comme les normes pour absorber les effets « RGA » (retrait gonflement des argiles) dans le cadre de la loi Elan, sont certes mises en place. Mais il existe, selon un assureur, une certaine « frilosité » des pouvoirs publics à s'engager dans cette réflexion avec les collectivités locales.

Une planche de salut, la prévention

« Beaucoup de maires sont désemparés. On leur demande de mettre en place des plans de prévention, ce qu'ils ne peuvent pas objectivement, faute de moyens financiers et techniques. Il y a donc un vrai travail de fond, d'accompagnement par l'État et par l'ensemble des acteurs engagés dans un travail collectif », reconnaît-on du côté de Bercy, en admettant ne pas avoir de solution à court terme.

La bonne nouvelle, celle qui met tout le monde d'accord, est le rôle clé que peut jouer la prévention. Face à l'immensité de la tâche, les assureurs envisagent même un partenariat public privé sur la prévention, à l'instar des initiatives prises en matière de sécurité routière où les assureurs prélèvent 0,5% sur la RC (responsabilité civile) des assurances auto pour financer des actions de sensibilisation.

« Il y a un sujet de constitution d'un écosystème qui prend en compte toute la chaîne de valeur, c'est-à-dire toutes les expertises, pour construire une approche holistique qui permette au public de comprendre ce qui se passe et de voir ce qui peut être fait », espère Giovanna Santi.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 06/12/2023 à 18:39
Signaler
Le photo ici-dessus est une belle exemple du niveau de l'expertise du protection litoral. Et une bonne exemple du niveau des politiciens responsables, qui preferent plutot un nouveau LGV Bordeaux-Toulouse.

le 07/12/2023 à 5:44
Signaler
Où l'absurde LGV Paris Nice pour faire plaisir au maire de Nice et au président de la région Deux pro Macron bien loin de l'irresponsabilité de voir un million de touristes supplémentaires une communication donnée par nos deux édiles alors que la rég...

à écrit le 06/12/2023 à 18:35
Signaler
Enfin ils nous mettent surtout une pression financière !

à écrit le 06/12/2023 à 18:22
Signaler
les seuls qui commencent a s affoler ce sont les assureurs qui voient les chiffres grimper et oui le dérèglement climatique par l intensité des événements sont les prémices a une inquiétude , qui va être indemnisé et a quelle sauce .et ça va aller vi...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.