Nucléaire : « Pas d'éléments rédhibitoires » pour stocker plus de déchets liés aux 14 nouveaux EPR, selon l'Andra

La construction de six nouveaux EPR entraînerait une hausse maximum de 16% du volume de déchets radioactifs les plus dangereux, selon les prévisions de l'Agence nationale chargée de la gestion des déchets radioactifs (Andra). Si l'organisme n'a pas encore mené d'étude évaluant l'impact précis de la construction de huit EPR supplémentaires, elle affirme ne pas avoir identifié de « problèmes majeurs ». Ses travaux prospectifs montrent, en revanche, que les choix politiques en matière de retraitement des combustibles usés auront plus d'impact sur l'évolution du volume des déchets à stocker que la construction de nouveaux réacteurs.
Juliette Raynal
(Crédits : Regis Duvignau)

La France est partie pour construire six nouveaux réacteurs de type EPR 2. Dans quelques mois, Emmanuel Macron devrait même officialiser le projet de construction de huit réacteurs supplémentaires, comme il l'a laissé entendre hier à Toulouse, lors d'un point d'étape sur le plan France 2030. Mais quelles conséquences aura cette relance de l'atome civil sur le stockage des déchets radioactifs ? Autrement dit, la France aura-t-elle les capacités de stocker les déchets radioactifs liés aux futurs EPR 2, notamment ceux les plus dangereux qui doivent être enfouis en couches géologiques  profondes ?

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Sébastien Crombez, le président de la sûreté de l'Agence nationale chargée de la gestion des déchets radioactifs (Andra), s'est montré rassurant. « Nous avons réalisé une étude pour les six [futurs EPR 2, ndlr], pas pour les huit [supplémentaires, ndlr] », a-t-il répondu. « Mais nous n'avons pas identifié de problèmes majeurs », a-t-il ajouté, lors d'une conférence de presse ce mardi, en faisant référence à la possible construction de huit réacteurs supplémentaires. « Il n'y a pas d'éléments rédhibitoires », a-t-il encore assuré.

Des déchets déjà connus

Si l'Andra estime qu'il n'y a pas d'obstacles majeurs avant même d'avoir réalisé une étude approfondie sur l'impact de huit EPR supplémentaires, en plus des six déjà inscrits dans la nouvelle stratégie nationale pour l'énergie et le climat actuellement en consultation, c'est parce qu'elle part du principe que les déchets radioactifs et les combustibles usés issus de ces futurs EPR 2 seront extrêmement proches de ceux déjà étudiés dans son inventaire, lequel intègre les futurs déchets radioactifs et combustibles usés de l'EPR de Flamanville, dont la mis en service est prévue mi-2024. « Les dispositions de sûreté que l'on prend restent valables car ce sont des objets qui sont techniquement très proches », a affirmé Sébastien Crombez.

Par ailleurs, d'un point de vue sûreté, « le fait d'augmenter la quantité de radioactivité dans Cigéo, en ajoutant soit des combustibles usés, soit des déchets, ne change pas les ordres de grandeur des impacts car nous avons des marges importantes », a-t-il précisé. En revanche, les « emprises », elles, changeraient, sans pour autant susciter d'inquiétudes particulières compte tenu des propriétés d'argile présentent sur une « large zone ».

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Un dispositif « adaptable » et « progressif »

Pour rappel, Cigéo est l'acronyme utilisé pour désigner le projet de centre de stockage en couches géologiques profondes destiné à accueillir les déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue (MA-VL), et surtout ceux de haute activité (HA), qui ne constituent que 0,2% du volume total des déchets radioactifs en France... mais 96% de leur radioactivité.

L'Andra met, par ailleurs, en avant le caractère à la fois « adaptable » de la conception de Cigéo et « progressif » de son exploitation. Selon le calendrier actuel, la construction de cet immense complexe, à cheval sur les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, doit débuter en 2030. Les premiers stockages pour certains déchets sont, eux, prévus en 2040 dans le cadre d'une phase industrielle pilote. Mais les déchets radioactifs à haute activité, c'est-à-dire les plus dangereux, ne devraient commencer à être stockés qu'en 2080. « Ce qui laisse le temps pour intégrer des évolutions », estime Sébastien Crombez. « Le fait qu'il y ait le projet de nouveaux réacteurs ne change pas tout l'intérêt de lancer rapidement une solution de gestion de ces déchets », a-t-il encore ajouté.

Dans le détail, l'étude prospective présentée par Cigéo, ce mardi 12 décembre, montre que la construction de six EPR 2 générerait au maximum une hausse de 16% des déchets radioactifs de haute activité (soit un volume de 1.872 mètres cubes), par rapport à un scénario n'incluant pas le développement de nouveaux réacteurs.

Le choix déterminant de la politique de retraitement des combustibles usés

« On se focalise beaucoup sur quelle va être l'augmentation de l'inventaire liée à six et huit EPR, mais la majeure partie des différences en termes de volumes à stocker est liée à des choix de politique énergétique en matière de retraitement [des combustibles usés, ndlr] », a pointé le président de la sûreté.

En effet, dans un autre exercice de prospective, l'Andra a étudié plusieurs scénarios qui n'intègrent pas la construction de nouveaux réacteurs, mais qui étudient les différentes options qui pourraient être prises à l'horizon 2040 en matière de recyclage des combustibles usés.

Dans le cas où la France adopterait une politique de multi-recyclage, qui consiste à réutiliser plusieurs fois les combustibles ayant déjà été irradiés dans les réacteurs du parc nucléaire français, le volume des déchets radioactifs à haute activité atteindrait 11.800 mètres cubes. Dans un scénario où la France se contenterait de conserver sa politique actuelle de mono-recyclage (où les combustibles usés ne peuvent être réutilisés qu'une seule fois sous forme de combustibles Mox), ce volume grimperait à 15.000 mètres cubes. Dans le cas d'un arrêt total du retraitement des combustibles usés, les déchets radioactifs à haute activité et les combustibles usés qui seraient donc requalifiés en déchets pourraient représenter un volume de 20.100 mètres cubes.

Abandon du projet Astrid

Le scénario le moins disant en matière de recyclage pourrait donc représenter une hausse de plus de 70% de déchets radioactifs à enfouir en couches géologiques par rapport au scénario le mieux disant. Si la stratégie énergie climat de la France ne prévoit pas d'arrêter le retraitement des combustibles usés, la filière industrielle permettant de basculer vers une logique de multi-recyclage n'existe pas encore.

Les réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides (RNR) sont, en effet, les réacteurs les plus adaptés à ce multi-recyclage. Or, le projet de recherche Astrid, qui consistait à construire un premier prototype de réacteur de quatrième génération, basé sur la technologie à neutrons rapides refroidis au sodium, a été abandonné il y a quatre ans par le CEA.

Néanmoins, les travaux sur les réacteurs de quatrième génération ne sont pas totalement inexistants en France. Dans le cadre de l'appel à projets « Réacteurs innovants », initié au sein du plan France 2030, une poignée de startups planchent sur le sujet. C'est le cas notamment des jeunes pousses Hexana et Stellaria, nées au sein du CEA, qui développent respectivement un petit réacteur à neutrons rapides refroidis au sodium et un réacteur à sels fondus. Une technologie sur laquelle s'active également la jeune pousse francilienne Naarea. Enfin, l'italien Newcleo, qui a récemment créé une filiale à Lyon, développe un réacteur à neutrons rapides refroidis au plomb.

Pas de quoi convaincre totalement le sénateur Stéphane Piednoir (Maine-et-Loire - Les Républicains) co-auteur d'un rapport, publié en 2021, analysant les conséquences négatives de l'abandon du projet Astrid pour la filière nucléaire. « Ces startups font avancer la science à leur niveau et je ne critique pas du tout leur travail, mais ce n'est pas du tout la même strate de ce que représentait Astrid, qui était un projet de taille industrielle », réagissait-il il y a quelques semaines dans notre newsletter spécialisée Contre-Courant.

Juliette Raynal

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