Nucléaire : le centre controversé d’enfouissement des déchets à Bure validé par le Conseil constitutionnel

Si la décision rendue par les Sages valide la poursuite de projet d'enfouissement de déchets hautement radioactifs, celle-ci crée une jurisprudence inédite qui pourrait influencer les contentieux climatiques. La dimension intertemporelle de la protection de l'environnement y serait davantage prise en compte.
Mathieu Viviani
La décision du Conseil constitutionnel était autant attendue par les services de l'Etat, en charge du futur site de Bure, que par les associations environnementales qui le conteste.
La décision du Conseil constitutionnel était autant attendue par les services de l'Etat, en charge du futur site de Bure, que par les associations environnementales qui le conteste. (Crédits : Reuters)

Cette décision rendue ce vendredi 27 octobre par le Conseil constitutionnel fera date pour deux raisons. Elle valide déjà la poursuite du projet controversé de centre Cigéo d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse). Ce futur site faisait depuis plusieurs années l'objet d'une bataille féroce entre associations environnementales et services de l'Etat.

Les Sages de la rue de Montpensier à Paris estiment en effet que les dispositions de ce site « ne méconnaissent pas » le droit des générations futures « compte tenu des garanties » apportées. Une justification juridique inédite qui - c'est la deuxième raison - consacre la dimension intertemporelle de la protection de l'environnement, une première dans l'histoire du droit français.

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Conforme à la Charte de l'environnement française

Contesté depuis plus de 20 ans par des riverains, des associations et militants anti-nucléaires, le projet Cigéo prévoit d'enfouir à plus de 500 mètres de profondeur les déchets les plus radioactifs. Le Conseil constitutionnel a examiné, étape par étape, le processus prévu par la loi et les verrous posés pour assurer notamment la réversibilité durant au moins 100 ans des méthodes de ce stockage géologique.

Il en conclut que « compte tenu de ces garanties, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l'article 1er de la Charte de l'environnement (...) » et il « les déclare donc conformes à la Constitution ».

L'autorisation de mise en service, dont l'instruction vient de débuter et qui doit durer trois ans, sera limitée à une phase pilote « qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation, notamment par un programme d'essais in situ », souligne le Conseil constitutionnel.

« Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération », estime la haute instance. Quant à la fermeture définitive du site à plus long terme, seule une loi pourra l'autoriser.

Bataille juridique

La déclaration d'utilité publique du projet accordée par le gouvernement en 2022 avait été attaquée devant le Conseil d'État par 14 organisations locales et sept nationales comme Attac, France Nature Environnement, Greenpeace ou encore « Sortir du nucléaire », ainsi que des riverains.

Ce recours a été l'occasion de poser une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) pour vérifier si le mode de traitement des déchets prévu dans le sous-sol argileux de Bure respecte les principes constitutionnels, à savoir ceux posés par la Charte de l'environnement, annexée en 2005 à la Constitution française.

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Le projet a suscité de nombreux épisodes de protestation. Le 2 septembre dernier, une manifestation a encore eu lieu sous haute surveillance et a réuni plusieurs centaines de personnes, des riverains mais aussi des militants antinucléaires de différentes nationalités (Français, Allemands, Suisses, Brésiliens, Colombiens) venus dénoncer le « passage en force » de l'État.

La réversibilité du stockage comme enjeu central

En matière d'enfouissement des déchets, le principe imposé par les textes français est d'assurer la réversibilité de la méthode de stockage, pendant au minimum plusieurs décennies au cours desquelles il faut pouvoir changer de méthode ou récupérer les déchets.

Or, soutenaient les requérants, le délai considérable (jusqu'à des centaines de milliers d'années) durant lequel les déchets les plus toxiques doivent être conservés avant que les radiations ne retombent à des niveaux sûrs, excède largement cette durée. Il hypothèque aussi le droit des générations futures, selon leur argumentaire.

D'après les requérants, le projet Cigéo ne garantit pas « la réversibilité du stockage (...) au-delà d'une période de cent ans, faisant ainsi obstacle à ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l'atteinte irrémédiable à l'environnement, et en particulier à la ressource en eau, pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins ».

Une décision qui pourrait influencer plusieurs contentieux climatiques

Sans conséquence immédiate, l'acte de droit rendu par le Conseil constitutionnel servira comme base juridique pour de nombreux contentieux portés par des défenseurs de l'environnement.  Si la Charte de l'environnement estimait déjà que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », cette affirmation était jusqu'ici non-contraignante. La décision des Sages change la donne en créant une jurisprudence inédite.

Ces derniers mois, plusieurs cours constitutionnelles de pays situés en Amérique du Sud et en Allemagne ont gravé dans des décisions juridiques cette notion de « protection des générations futures » dans le cadre de contentieux. Cette question est aussi en cours d'examen à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

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En août dernier aux Etats-Unis, un juge de l'Etat du Montana (ouest du pays) a déclaré inconstitutionnelle une loi interdisant à l'administration locale de prendre en compte les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur le climat, lorsqu'elle accorde des permis à des entreprises d'énergies fossiles. Cette décision sans précédent pourrait influencer des procès en cours dans l'ensemble du pays.

« Pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, un tribunal a jugé sur le fond qu'un gouvernement a violé les droits constitutionnels d'enfants à travers des lois et des actions promouvant les énergies fossiles et ignorant le changement climatique », avait réagi dans un communiqué Julia Olson, directrice exécutive de Our Children's Trust, l'une des trois associations soutenant les plaignants dans cette affaire.

Comme chaque site nucléaire, Cigéo va faire l'objet d'un double examen technique par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'IRSN, l'Institut qui surveille le risque nucléaire, qui prendra environ trois ans. A l'issue de ce processus, une enquête publique aura lieu et l'autorisation finale sera délivrée. Pour l'heure, le site meusien de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), n'accueille qu'un laboratoire scientifique, aucun déchet radioactif n'y est entreposé.

Plusieurs centres de stockage en France

La décision du Conseil constitutionnel était très attendue en pleine relance de l'atome voulue par l'exécutif, pour produire davantage d'électricité et remplacer d'autres énergies, émettrices de gaz à effet de serre. La France compte trois centres de stockage en surface, deux dans l'Aube et un dans la Manche, qui permettent de stocker 90% des déchets radioactifs produits sur le territoire.

Les déchets nucléaires les plus radioactifs, ceux à haute intensité et à vie longue, pourraient eux être entreposés d'ici 2035-2040 dans le sous-sol argileux du site de Bure, aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne. Le site pourrait accueillir au moins 83.000 m3, à l'instar du dépôt finlandais d'Onkalo, conçu pour abriter le combustible usé issu des cinq réacteurs nationaux.

(Avec AFP)

Mathieu Viviani

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