« Coder, c’est peut-être le souhait d’une nouvelle rêverie... » (Nathalie Azoulai, écrivaine)

ENTRETIEN - « Python » marque l’intrusion de l’écrivaine en terre doublement étrangère : le monde des codeurs informatiques et celui des garçons...
Nathalie Azoulai.
Nathalie Azoulai. (Crédits : © HÉLÈNE BAMBERGER)

« Les histoires normales ne m'intéressent plus pour l'instant, les sentiments, la famille, l'amour, l'art, tout me tombe des mains. » Depuis qu'un jour, chez des amis, l'attention de Nathalie Azoulai a été attirée par le fils de la famille, parfaitement indifférent à tout ce qui l'entoure, absent au monde, les yeux rivés sur son écran d'ordinateur, en train de coder, l'écrivaine ne peut plus penser qu'à cela, si éloigné pourtant de son univers de femme et autrice d'une cinquantaine d'années.

Le résultat de cette obsession, ce sera donc Python (du nom d'un langage de programmation), un roman qui n'en est pas vraiment un, d'une grande intelligence, d'une grande drôlerie et étonnamment sensuel.

Lire aussiLivre : « La Femme grenouille », de Niillas Holmberg, un Tristan et Iseut en Laponie

LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment est né Python ? De quel désir procède-t-il ?

NATHALIE AZOULAI - D'un désir, depuis des années, d'insérer les questions de technologie à l'intérieur d'un livre. Et d'une image initiale, la vision d'un jeune homme en train de coder. J'ai compris qu'on ne pouvait pas passer à côté de ça et qu'en même temps j'allais entrer dans un labyrinthe. Que la logique d'appréhension du code m'échappait totalement et que c'était ce qui déterminait aussi mon désir d'écriture. Par ailleurs, Python est tout de même un récit d'apprentissage. En fait, cette « pratique » de jeunes hommes devant des machines - car si des jeunes filles ou femmes codent aussi, elles demeurent largement minoritaires - m'a amenée à m'intéresser à la question de savoir ce que c'est que d'être un garçon. Et à avoir assez vite le sentiment ou bien l'intuition que la capacité à jouer est inhérente à la masculinité. À jouer sérieusement.

Au nombre des conflits dialectiques que noue et dénoue votre livre, il y a en effet cette question de la place des garçons, vus ici comme une terre étrangère.

Oui, et c'est d'abord biographique. Mes frères étaient trop grands par rapport à moi pour que je les voie grandir. Je n'ai pas eu de fils... Alors c'est vrai, en un sens, Python rime avec garçon. Il y a chez eux une absorption par l'action qui n'est pas, me semble-t-il, celle des filles. Bien sûr, l'ultra-concentration des codeurs dessine une figure de l'enfermement. Mais pour moi, c'est aussi le regret d'une concentration que je n'ai plus. Je n'ai plus cette capacité-là. Je me laisse distraire, y compris lorsque j'écris. Je me permets de regarder le ciel. Coder, c'est peut-être, au fond, le souhait d'une nouvelle rêverie...

Un geek, ça ne communique pas beaucoup. Le roman permet de compenser cette absence

Comme dans votre précédent roman, La Fille parfaite, ce qui est aussi en jeu c'est la confrontation entre les cultures scientifique et littéraire. À tel point qu'en ce sens Python peut aussi être lu comme le second volet d'un diptyque.

Oui, c'est une suite dont j'aurais changé la focale. Ce qui m'intéresse là, c'est la concurrence des formes et des langages ; en l'occurrence, confronter la culture littéraire qui est la mienne à d'autres qu'elle. C'est pourquoi, par exemple, j'écoute beaucoup de podcasts scientifiques. Il est vrai aussi que j'ai dans ma famille ou parmi mes amis nombre de scientifiques.

Ce sont finalement des psychés certes éloignées, mais qui peuvent se rejoindre.

La question de l'âge est aussi très présente dans le livre. Le vôtre, celui des codeurs. Vos références culturelles qui divergent aussi. Vous écrivez : « Python pour moi, c'est d'abord un mot, un symbole, du cinéma, le sac et les chaussures de Tippi Hedren dans Les Oiseaux, la veste de Nicolas Cage dans Sailor et Lula, la peau de serpent de Marlon Brando, un truc glamour et transgressif, excentrique, racé. »

C'est central, en effet. Je suis générationnellement à distance des avancées technologiques, porteuse par ailleurs d'une culture qui tend à se raréfier. C'est pourquoi j'ai voulu aller vers cette sorte de récit picaresque d'apprentissage à l'envers. En espérant que cela puisse produire comme un effet comique. [On le confirme.]

C'est par ailleurs votre première autofiction. Du moins, revendiquée comme telle.

J'avais des doutes sur la forme romanesque. Alors, pourquoi pas ce « récit de soi » trafiqué qu'est l'autofiction ? Ça me permet de brouiller les lignes, à la façon dont une Sigrid Nunez ou une Deborah Levy, dont j'admire le travail, peuvent le faire. Initialement, j'avais pensé à un récit autour de Larry Page, le fondateur de Google. Mais très vite j'y ai renoncé, ça me paraissait impossible. L'autofiction, elle, me permettait de raconter le plus sincèrement possible cette confrontation.

Mais quels que soient vos doutes, vous êtes tout de même restée du côté du roman et non, comme cela aurait pu être le cas, du document, du journalisme littéraire.

Parce que je n'arrive pas à faire autrement ! J'ai toujours le désir de la scène, des personnages. Je ne voudrais pas que ça « manque de littérature ». Avec le romanesque, la langue se délie, on ne reste pas au ras du réel. A fortiori pour le sujet qui était le mien. Un geek, ça ne communique pas beaucoup. Le roman permet de compenser cette absence.

Comme, bientôt, l'intelligence artificielle « compensera » le roman ?

Dans le projet de Python, la question de l'intelligence artificielle n'est pas si centrale. J'ai en quelque sorte été rattrapée par l'époque. Pour le livre, j'ai la sensation que l'intelligence artificielle pourra peut-être quelque chose pour la - mauvaise - littérature de genre et les romans de gare. Sorti de là... Le corpus est encore très pauvre. L'IA travaille avec du connu, la littérature avec de l'inconnu.

PYTHON
Nathalie Azoulai, P.O.L, 240 pages, 20 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 04/03/2024 à 9:49
Signaler
C'est bien plus sûrement le nouveau travail à la chaine. Arrêtez mesdames de chercher sans cesse des excuses aux hommes, qu'ils se débrouillent et bien souvent ne le peuvent pas justement s'en expliquer. "Discours de la servitude volontaire" Etienne ...

à écrit le 25/02/2024 à 14:14
Signaler
La programmation informatique étaient largement féminisée quand elle se faisait en interne dans les grands groupes, puis sont arrivés les prestataires de services payant généralement les femmes 20% de moins au titre du "risque grossesse"...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.