« Je suis toujours en train de chercher des chemins, des micro- et des macro-aventures, pour que la vie ne soit pas désespérante » (Victor Pouchet, écrivain)

Dans ce nouveau roman-poème, l’écrivain Victor Pouchet déploie un très irrésistible sens de l’aventure ordinaire.
Anna Cabana
Victor Pouchet chez lui, à Paris, le 7 mars.
Victor Pouchet chez lui, à Paris, le 7 mars. (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Ce qui est dangereux avec la poésie - pour ceux qui en lisent comme pour ceux qui en écrivent -, c'est qu'elle ne pardonne pas : elle est sans concession avec les fausses notes, sans compromis avec les petites impostures, sans accommodement avec les demi-talents : elle produit des sons justes, et d'autres qui ne le sont pas, et puis voilà, ne cherchez pas, il n'y a rien entre les deux.

Victor Pouchet est du côté des mots qui tombent bien, mieux qu'un costume, simplement bien, mais vraiment bien; à chaque instant il met le doigt, et la plume, sur l'à-propos du rythme, celui qui dénoue l'émotion. Retenez le nom de ce jeune homme - 38 ans - qui versifie comme on refuse de grandir, comme on marche, comme on sourit aux étoiles, comme on aime, comme on fait la vaisselle, comme on attend, comme on se désespère, comme on prend le RER, comme on regarde en face la tristesse, et aussi la joie. On en avait eu un aperçu lorsque, parrainé par son ami Hervé Le Tellier, il fit irruption sur la scène - fort peu fréquentée - du « roman-poème » inventé par son maître le poète Georges Perros: ce fut La Grande Aventure (du confinement). Le tome 2 qu'il nous livre aujourd'hui - chez Gallimard, cette fois, sur les traces de Perros... - est une micro-aventure : l'odyssée de la banalité d'un été à Paris conçue à la manière d'un roman picaresque. Cent onze poèmes, aussi dérisoires qu'essentiels. « Dès qu'il fait gris / même très peu / qu'importe l'heure / j'allume toutes / les lumières / et je fabrique / à peu de frais / des contre-feux / qui éliminent / le désespoir / très simplement. »

Lire aussiLivre : Nicolas Mathieu, en souvenir de nos vies secrètes

On entend son goût pour la chanson; on comprend qu'il n'est pas du genre à choisir entre un refrain de rap et Alain Souchon; on devine que tout se télescope. « C'est vrai que j'écris ces poèmes en pensant qu'ils pourraient être chantés par d'autres. Je veux que ma poésie soit aussi ouverte qu'une chanson. Je suis un peu fâché par la façon dont on a enfermé la poésie dans un truc réservé à une élite de lecteurs. » Lui a fait le choix de la désincarcération. Son « je » ne vous écrase ni ne vous encage. Au contraire, on s'y sent fichtrement libre. A contrario des poètes-maudits-si-chéris, le désespoir de Pouchet n'est pas subjuguant ; sa tristesse joue à la marelle - et vous invite à en faire autant.

Car l'enfance ne le lâche pas. Elle le tient par la main tandis qu'il vous dit, un peu perdu dans son sweat Lacoste bleu électrique : « Le modèle de la chanson me plaît très fort. » Tout est dans le « très »Cet adverbe-doudou qui repasse sur les sentiments avec des feutres arc-en-ciel, Pouchet l'emmène partout, surtout là où il n'a pas sa place, histoire qu'il taquine la syntaxe; ce n'est même pas une coquetterie, plutôt un manteau de protection contre la froidure du monde des adultes. Chez Pouchet l'enfance a tous les droits, à l'oral, donc, mais aussi à l'écrit. Le deuxième poème de la troisième séquence finit en plaçant tout aussi improprement le même adverbe-doudou : « Nous nous sommes très aimés. » On ne compte plus ses « pour de vrai », et en fait on a tort, on se ravise, il faut les compter, parce que ça porte bonheur : sept fois s'il vous plaît - et ça nous plaît beaucoup. « L'enfance est vraiment le territoire de l'écriture depuis mes premiers livres et encore aujourd'hui », il dit. L'enfance qui ne passe pas, bien sûr. « J'ai souvent 4 ans et demi, l'âge méta- physique, le moment où on a le vertige de l'infini, où on est un très petit vieillard, très inquiet et très absolu. J'ai très souvent 10-11 ans, l'âge de la fascination pour la tractopelle, avant la corruption de l'adolescence », précise-t-il.

Et Dieu dans tout ça ? Il pose la question dans l'un de ses poèmes; on la lui retourne. « Cela m'occupe... beaucoup. J'ai beaucoup de mal à assurer une réponse. L'idée d'un monde des Lumières rationnel ne me suffit pas. Quelque chose se passe aussi dans l'invisible. » Il aime bien ce mot, « l'invisible » ; il le répète. « Qu'est-ce qui fait que deux personnes se mettent à s'aimer ? Ça me travaille. Comment vivre avec les autres ? C'est dur... Écrire un livre, pour moi, c'est une façon de solliciter les fraternités d'âme, c'est jeter une bouteille à la mer dans l'espoir de trouver une famille d'amis. C'est la raison pour laquelle j'adresse mes poèmes : à la femme que j'aime, à mon neveu Martin, à ma grand-mère, à des amis réels ou imaginaires... J'en appelle à la puissance grammaticale du "je" et du "tu". Quelqu'un nous parle à l'oreille, je suis ce "tu" et ce "je". Adresser un poème, c'est adresser un morceau d'âme... » Démonstration : « Martin, si j'essayais de te / donner de grandes instructions /en prime de la main collante / pour continuer à faire bien / ce que tu veux sur ton chemin / je te dirais que c'est très simple : / enfonce-toi dans la forêt / ne crains pas les bêtes sauvages / ne regarde pas derrière toi / et serre très bien tes lacets / sois très volontairement ailleurs / et si tu vois un beau chevreuil / suis-le bien sûr en l'appelant / dans une langue très étrangère / invente-toi noms pour de faux / qui deviendront plus vrais que vrais / porte un masque de carnaval / les jours où c'est pas carnaval / prends des photos ultra-précises / de ce qui n'est pas vraiment toi / et glisse-toi dans leurs détails / aime aussi fort ton grille-pain / que la plus douce des déesses / sois les héros de tous tes contes / pour n'en être aucun à la fin / accepte de ne rien comprendre / choisis toujours la longue route / ne va te baigner que très seul / et tout au bout de la presqu'île [...] »

La poésie a besoin de chips pour survivre. Mais s'il n'y avait que des chips, elle serait indigeste

Victor Pouchet

Les mots de Pouchet sautillent ; ils cherchent cherchent cherchent ce qui est refusé à leur auteur : la légèreté. « C'est mon obsession parce que je pèse 8 000 tonnes », reconnaît-il. Il en a fait le titre de ce nouveau livre, sa clé de sol. L'Option légère est destinée aux gens très très graves. Adverbe-doudou, protégez-nous ! Victor Pouchet ne saurait perdre la moindre seconde d'un surgissement de légèreté. « Je suis toujours en train de chercher des chemins, des micro- et des macro-aventures, pour que la vie ne soit pas désespérantePour échapper à l'apnée, voire à la noyade », confie-t-il. Ses poèmes accueillent le grand écart de la vie : les M&M's au goûter et l'inquiétude existentielle, en passant par les parenthèses dans lesquelles faire entrer les amis, comme il dit. « À ceux qui se demandent si on peut mettre des chips dans la poésie, je réponds qu'il faut qu'il y ait tout. La poésie a besoin de chips pour survivre. Mais s'il n'y avait que des chips, elle serait indigeste. » Sa poésie est contemporaine sans être postmo- derne. Pas d'effets spéciaux trop abscons, le second degré caresse le premier.

« Crains qu'un jour un train ne t'émeuve plus », écrivait Apollinaire. Pouchet se le tient pour dit. Il est à l'affût. « Avec mon téléphone, j'enregistre les gens dans la rue, les conversations à la table d'à côté, dans le train, dès que j'entends quelque chose qui m'arrête, raconte notre voleur d'émotions. Il y a des histoires qui peuvent apparaître partout... » S'il écrit des poèmes, c'est pour « transformer l'existence en une aventure dont on saurait les mots par cœur » - ce sont ses vers. Pour « ranger » le monde - encore ses vers. Est-ce à dire qu'il a le sentiment de vivre dans le chaos ? « Un grand chaos... ! Et tout à coup le poème vient mettre de l'ordre là-dedans. Ça procure un véritable apaisement de l'âme. » À cet instant, Victor Pouchet est comme ceux qu'il « envie » dans les hexamètres ci-contre : son « regard a la même couleur que ce qu'il dit ». Il a raison : c'est enviable.

Le 28 mars à 20 heures à la Maison de la poésie, Victor Pouchet donne un spectacle- lecture-projection de L'Option légère.

Extrait

J'envie le grincement des vieux volets qu'on ouvre dans la chambre à côté car le soleil les frappe avant moi et j'envie ceux qui savent aimer désirer leurs désirs
ceux qui dorment la nuit entière et savent faire de vrais saltos arrière sans élan et ceux pour qui la vie matérielle n'est jamais un obstacle ceux qui savent tenir des outils dans leurs mains réparer et repeindre ouvrir grand le capot et que ça redémarre ceux qui ne se recouvrent pas derrière des discours ceux dont le regard a la même couleur que ce qu'ils disent et j'envie ceux qui sont toujours ailleurs mais ne sont pas absents j'envie les grands danseurs et les champions de boxe j'envie les poissons qui ne remontent jamais en surface et ceux qui se laissent humblement prendre dans les filets j'envie intensément tous les enfants qui jouent avec le grand sérieux de ces enfants qui jouent j'envie les autres qui n'envient jamais les autres.

L'Option LégèreVictor Pouchet, Gallimard, 224 pages, 20 euros.

Anna Cabana

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.