Musique : Renaud Capuçon fait son ciné-club

Le violoniste célèbre Georges Delerue et les compositeurs français du cinéma dans un album aux accents nostalgiques.
Alexis Campion
Renaud Capuçon.
Renaud Capuçon. (Crédits : BRUNO BEBERT/BESTIMAGE)

« Ce disque, ce n'est pas un concept mais un plaisir, j'en assume complètement la dimension nostalgique. » C'est dit. Pour Les Choses de la vie - Cinéma II, Renaud Capuçon ne fait pas dans la dentelle. Il poursuit bonnement l'exploration un tantinet désuète de Cinéma (2018), disque d'or avec ses airs imparables extraits de films archiconnus (Le Mépris, Le Parrain, Bagdad Café, etc.).

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Avec un grand orchestre (Les Siècles, sous la direction de Duncan Ward) et des arrangements romantiques (signés Cyrille Lehn), Capuçon fait chanter son violon sur ce qu'il appelle « l'école française de musique de film ». « Élégante à tomber, dit-il, nourrie par Debussy, Ravel et Fauré. » Un coup, pour ce dernier disque sur le label Erato ? « Non, je ne suis pas dans la démagogie. Pour faire un coup, j'appellerais un chanteur de variété. Cela dit, si Grand Corps Malade disait oui, j'avoue, je n'hésiterais pas une seconde. »

Dans Les Choses de la vie, il place sept œuvres de Georges Delerue, dont le frémissant Concerto de l'adieu de Diên Biên Phu (Pierre Shoendoerffer, 1992), le thème du Dernier Métro (François Truffaut, 1980), avec ses accords graves, ou la complainte hors du
temps de La Passante du Sans-Souci (Jacques Rouffio, 1982). Rien de rajeunissant. Certains, pas les plus jeunes, reconnaîtront le menuet gentillet du générique de Radioscopie sur France Inter dans les années 1970.

Disparu en 2014, Jacques Chancel, créateur et présentateur de cette émission culturelle historique (avec Le Grand Échiquier à la télévision), fut à la fin de sa vie un ami proche de Capuçon. « Notre différence d'âge me stimulait, rappelle ce dernier, on avait une complicité incroyable et on voulait écrire un livre ensemble. Il me parlait souvent de Pierre Shoendoerffer, son pote au Vietnam... Ce n'est qu'une fois qu'il est parti que j'ai ouvert les yeux sur l'importance de l'œuvre de Delerue. Sans lui, je serais passé à côté. »

C'est « à l'oreille », précise-t-il, que le violoniste s'est guidé pour sélectionner les airs qu'il reprendrait, signés aussi Jarre, Legrand, Sarde, Roubaix, Yared, Desplat, Petit, Rombi... « Alors que, sur le premier volet, c'est surtout le souvenir du film qui comptait. » De la délicate Love Story de Francis Lai à la sage transcription de Rabbi Jacob par Vladimir Cosma, ce nouvel assortiment de souvenirs de cinéma se révèle riche en tubes et contrastes à défaut de surprises ou d'images fraîches. « Avec les tubes, on retrouve la candeur et l'innocence de la musique qui se joue pour la première fois, est-ce trop ? interroge Capuçon. J'aime que cette musique soit simple, pure, qu'elle puisse tendre la main au public trop timide pour aller me voir jouer Schoenberg ou Brahms à la Philharmonie. » Cette défi ance le touche : « Bêtement renoncer d'aller au musée parce que je me dis que je ne vais pas comprendre, ça peut m'arriver. »

J'aime que cette musique soit simple, qu'elle puisse tendre la main au public

Avec le ciné-souvenir, moins intimidant, il partage ses coups de cœur pour « des thèmes opulents, chantants, agréables », dans lesquels il reconnaît parfois Mahler ou Mendelssohn... Au risque de paraître anti-contemporain ? Il sourit : « C'est sûr, on n'entend pas des trucs trop grinçants et, je vous l'accorde, ce serait excitant de consacrer un disque à Bernard Herrmann... Une autre fois. »

D'ici là, le sirop d'archet de ses Choses de la vie, si épais soit-il, lui fait des vacances. Si Renaud Capuçon vit traversé par tant d'autres musiques à l'année, il pense aussi à la transmission. Avec l'altiste prodige Paul Zientara, il ne se lasse pas de fouiller Mozart. À la Philharmonie, il vient d'éblouir avec l'O ertorium d'une contemporaine russe, Sofïa Goubaïdoulina, et reviendra en duo avec le jeune Alexandre Kantorow... Au printemps, il créera un concerto commandé à Thierry Escaïch. « La responsabilité de créer une œuvre est une occasion unique de s'inscrire dans un moment d'histoire, quand nous, interprètes, sommes voués à l'éphémère et à l'oubli. Avec Dusapin, Rhim, Mantovani, à chaque fois, j'ai trouvé une fraîcheur grisante, on peut enfin poser des questions au compositeur qui, parfois, s'accorde à l'instinct de l'interprète. »

Grandir au cœur de ce monde musical qu'il sert avec la droiture d'un soldat, Renaud Capuçon l'a toujours voulu. Il n'a que 20 ans, en 1996, quand il lance les Rencontres artistiques de Bel-Air, près de Chambéry, avec déjà des pointures comme Martha Arguerich. En 2013, il crée le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, qu'il dirige toujours, en plus désormais des festivals de Gstaad et d'Évian.

Depuis trois ans, c'est à Lausanne que se joue sa révolution musicale. Nommé chef titulaire de l'orchestre de chambre local, il y troque son archet pour la baguette, droit dans les yeux avec une quarantaine de musiciens, et le souffle de Schubert, Beethoven... «  »

Alexis Campion

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