Nos critiques cinéma de la semaine

« Le Successeur », de Xavier Legrand, « Bye bye Tibériade », de Lina Soualem, « L'Empire », de Bruno Dumont : découvrez nos critiques des sorties cinéma de la semaine.
Marc-André Grondin incarne Ellias, créateur d’une maison de haute couture.
Marc-André Grondin incarne Ellias, créateur d’une maison de haute couture. (Crédits : © Haut et Court)

Les secrets d'une succession tragique

Note : 3/4

Sur une musique électro-rock énergisante de SebastiAn, un défilé de mode saute au visage des premiers plans. Une horde d'amazones forme une spectaculaire spirale qui dévore l'écran. Cette élégante monstruosité sert d'ouverture à un conte tout autre : une fable âpre et éprouvante sur la violence patriarcale, un récit archi-noir dont le suspense, assurément vertigineux, se déploie dans la banlieue montréalaise... Il s'agit du deuxième long-métrage de Xavier Legrand après son remarqué Jusqu'à la garde, la chronique d'un divorce problématique virant au thriller psychologique.

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« Le patriarcat écrase les femmes et les enfants : c'est le sujet de Jusqu'à la garde, mais ça écrase aussi les hommes », prévient Xavier Legrand au sujet de ce nouvel opus, librement adapté d'un roman d'Alexandre Postel (L'Ascendant, 2015). L'histoire est celle d'Ellias, couturier devenu célèbre à Paris, un prodige que l'on sent tendu, un poil égoïste, en tout cas isolé par son ambition dévorante. Il doit enterrer son père mort subitement dans le pays où il a grandi mais dont il a perdu l'accent. Dans la maison qu'il est venu vider, il découvre avec stupeur la face cachée de ce père qu'il supportait mal et ne voyait plus depuis des années. Des inconnus touchés par la mort de leur voisin tentent, sans succès, de lui exprimer leur compassion et de l'aider.

Car notre « orphelin prodigue » est têtu. Il veut examiner seul la caverne où son père vivait quasi reclus. Il ne se doute pas qu'il devra y braver un tourbillon d'émotions et les pires effrois... Impossible d'en dire plus de peur de gâcher la « surprise », sinon à signaler que la stupeur est assez effroyable pour que la caméra flirte malicieusement avec l'épouvante tout en disséminant, çà et là, des traits d'humour noir qui se désactivent chemin faisant, littéralement dévorés par l'ampleur insoutenable du drame œdipien se nouant sous nos yeux.

Marc-André Grondin se donne entièrement pour incarner l'épouvantable succession portée par Ellias, personnage hautement tragique comme l'explique Xavier Legrand : « Je me suis beaucoup inspiré de figures tragiques comme celles d'Œdipe, d'Oreste, d'Icare ou de Hamlet. Leur point commun : ils se lancent chacun à leur manière dans une tentative de guérison qui les conduit, sans appel, au désastre, tant le poids du patriarche est écrasant. »

Voyant Ellias se débattre, on ne peut s'empêcher de lui souhaiter de dominer ses émotions et de se réconcilier avec son passé. Mais la peur et le ressentiment ne sont pas très bons conseillers et c'est une voie plus méandreuse que lui fait emprunter Legrand... et à nous avec. « J'aime l'idée d'amener le spectateur sur de fausses pistes », admet le cinéaste, qui joue ici son va-tout sur une situation inattendue qui change tout, faisant basculer l'action du film ainsi que la perception qu'on en a. Car si Ellias est projeté dans une situation qui nous inspire une compassion certaine, ses réactions ne le révèlent pas non plus si sympathique que ça. Singularité qui, en soi, participe à la férocité du scénario. « On dit beaucoup que le spectateur doit être en empathie avec le héros. Je pense qu'il est tout aussi réjouissant de suivre des protagonistes dits "antipathiques". Ce n'est pas parce qu'on le comprend qu'on valide ses actions ou excuse ses gestes. Le cinéma est encore l'un des rares endroits où on peut explorer toutes les possibilités de l'humanité sans couvrir l'individu d'opprobre, le condamner au pilori ou à la peine capitale. »

Je me suis beaucoup inspiré de figures tragiques comme celles d'Œdipe, d'Oreste, d'Icare ou de Hamlet

Xavier Legrand, réalisateur

Et la mode dans tout ça ? Comme le personnage du père que l'on ne rencontre jamais directement, elle est tenue à bonne distance, en bord de cadre. Mais sa présence forte, symbolique, stimule l'ensemble. Alors qu'il s'enlise dans le marécage secret des infamies de son père, Ellias reste en contact permanent avec ses collaborateurs à Paris, dont la seule obsession est de valider un cliché de mode sur lequel le créateur roi pose entouré de plusieurs mannequins interchangeables, disposées comme de vulgaires accessoires. Cette image trompeuse et la vérité cynique de son façonnage, celle d'une prétendue urgence qui se donne la plus haute importance en plus des meilleures intentions, sont loin d'être anodines. Ellias évolue dans un monde de réussite et de puissance qui, souligne Legrand, « ne tolère aucune fausse note, aucune éclaboussure ». Mais où les ambiguïtés et les pièges ne manquent pas. Ellias a beau vouloir éviter de verser dans l'hypersexualisation des femmes qu'il habille, il ne reste pas moins le prince d'un empire où les femmes sont magnifiées mais irrémédiablement ramenées à l'état d'objet, de poupée... (Alexis Campion)

Le Successeur, de Xavier Legrand, avec Marc-André Grondin, Yves Jacques. 1 h 52. Sortie mercredi.

Hiam Abbass au côté de sa fille Lina Soualem

L'actrice et réalisatrice palestinienne Hiam Abbass (à gauche) au côté de sa fille Lina Soualem, qui réalise ici son premier documentaire. (Crédits : FRIDA MARZOUK/BEALL PRODUCTIONS)

Nostalgie familiale

Note : 3/4

Fille de l'actrice et réalisatrice palestinienne Hiam Abbass et de l'acteur Zinedine Soualem, Lina Soualem signe avec Bye bye Tibériade son premier film, un documentaire intime, familial, aux résonances universelles. En son centre se trouve donc la mère de l'autrice, Hiam Abbass, qui mène une carrière internationale (on l'a vue chez Spielberg et Villeneuve, entre autres) depuis son départ de Palestine pour vivre ses rêves professionnels et s'émanciper d'une communauté trop pesante. Tout avait commencé pour sa propre mère en 1948 avec la migration forcée du peuple palestinien et la création de l'État d'Israël. Le lac de Tibériade prend alors les allures d'un éden familial définitivement perdu et objet d'une profonde nostalgie. Avec, en guise d'illustrations, les très nombreuses et très belles photographies prises par Hiam Abbass tout au long de ces années. On passe alors de la Palestine à la France, de la Syrie à l'Angleterre, au gré des départs, des retours, des mariages et des réunions de famille. La réalisatrice, partie prenante de ce travail de mémoire, interroge ainsi les siens à travers la figure matriarcale d'une grand-mère aussi étouffante qu'attachante. Le film trouve son rythme de cette façon, entre la grande Histoire et le destin intime de trois générations, entre les tragédies collectives et les déchirements familiaux. (Aurélien Cabrol)

Bye bye Tibériade, de Lina Soualem. 1 h 22 minutes. Sortie mercredi.

« Star Wars » chez les ch'tis

Note : 2/4

De film en film, Bruno Dumont scrute l'inextricable mystère des forces du bien et du mal par le biais de ses congénères ch'tis... Entre condescendance et affection, il les dépeint comme de braves abrutis, zoome sur leurs silences équivoques, leur admirable pugnacité. Ici, il en fait carrément des extraterrestres. Un Guerre des étoiles dans les pâturages du Boulonnais, avec ce folklore haut en couleur et dérision dont l'auteur de la série P'tit Quinquin a le secret ? On demande à voir. Drôle, extravagant, L'Empire combine naturalisme pince-sans-rire et surnaturel échevelé. Ses personnages, tous risibles, nous préparent la bataille finale, apocalyptique bien sûr.

Des chevaliers en bleu de travail équipés de sabre laser et d'autres créatures pas nettes comme cette naturiste aguicheuse (Lyna Khoudri) ou ce Belzebuth en Arlequin de l'espace (Fabrice Luchini) intriguent... Ils se disputent un gros bébé rieur, le prince des ténèbres ! Loin des sentiers battus, l'impérieuse nécessité de leur discorde intergalactique échappe faute de scénario plus creusé. Peu importe, les situations incongrues, burlesques, clownesques voire spectaculaires à bord de vaisseaux spatiaux étonnants font leur effet, si vain et ovniesque soit-il. (Alexis Campion)

L'Empire, de Bruno Dumont, avec Lyna Khoudri, Camille Cottin, Fabrice Luchini. 1 h 51. Sortie mercredi.

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