« Je prends le temps d’être pressé » (Manu Payet)

ENTRETIEN - Il est à l’affiche avec son spectacle « Emmanuel 2 », un one-man-show dans lequel l’humour flirte avec l’intime. Rencontre avec un conteur hors pair.
À Paris, mercredi.
À Paris, mercredi. (Crédits : CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Il est comme ça, Manu. Il préfère ses petites habitudes à l'inconnu. On le retrouve dans sa cantine, L'Évasion*, où il a son rond de serviette. « Assieds-toi là, doudou, c'est ici qu'on mange la meilleure blanquette ! » Il regarde avec gourmandise le verre de blanc que Laurent, le patron, vient de lui apporter tout naturellement. Naturel comme Emmanuel, jouisseur de la vie en quête d'absolu. Un conteur hors norme avec cette particularité de saisir chaque petit moment de bonheur. S'il révèle déjà beaucoup de son intimité dans son spectacle Emmanuel 2**, il y a toujours une anecdote à découvrir chez Manu Payet.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Il paraît que vous avez toujours trois rendez-vous en même temps car vous ne savez pas dire non. Vous êtes sûr que votre psy ou votre femme ne vous attendent pas ?

MANU PAYET - J'ai fait gaffe, cette fois-ci. Et puis comme vous avez adoré mon spectacle Emmanuel 2, ce tête-à-tête sera forcément intéressant !

Vous dévoilez beaucoup de vous sur scène, toujours avec pudeur et humour. Jusqu'à raconter en toute finesse votre opération des testicules à l'âge de 6 ans...

C'est le docteur Rabouille à la Réunion qui après une palpation a annoncé à ma mère qu'ils n'étaient pas descendus de façon naturelle et que je devais me faire opérer... Elle a pris ça très au sérieux et nous sommes venus en métropole pour l'intervention. Je ne sais pas pourquoi c'est tombé sur moi. Peut-être parce que je suis un enfant prématuré. Ma mère m'a mis au monde à sept mois de grossesse et je pesais seulement 1,7 kilo. J'ai passé mes deux premiers mois de vie en couveuse...

Comme tous les enfants qui se sont battus à la naissance, vous devez avoir inconsciemment cet instinct de survie...

Probablement. Un jour, ma psy m'a dit : « C'est pour ça que vous aimez autant les hôtels. » Je ne comprenais pas. « Parce que vous vous y sentez en sécurité, comme dans un cocon. » Elle devait faire allusion à une couveuse...

Le changement vous fait-il peur ?

Disons que je me rassure dans mes petites habitudes. Comme retourner dans la même chambre d'hôtel, partir en vacances au même endroit, déjeuner à la même table... L'aventure, ce n'est vraiment pas fait pour moi !

On ne verra donc jamais Manu Payet dans Rendez-vous en terre inconnue ?

J'en suis incapable, et pourtant on me l'a proposé plusieurs fois. J'ai grandi à la Réunion sous les arbres exotiques, à côté des champs de canne à sucre... Mon aventure à moi, c'est le béton ! J'aime les villes, le bruit des klaxons... Ma femme est née à Paris et elle serait la première à accepter d'aller dans la jungle avec les boas. Je ne comprends même pas comment elle peut en avoir envie. Elle est complètement dingo !

Vous avez été élevé à la dure, avez reçu beaucoup de paires de claques. En tant que père, cette éducation vous choque-t-elle ?

Plus les années passent, plus je deviens indulgent avec les choses auxquelles je pensais ne jamais pouvoir trouver d'excuses. Mes parents m'ont eu à 20 ans. Ils n'étaient finalement que des enfants. Et comme ils ne savaient pas ce qui leur arrivait, ils me filaient des tartes, par inquiétude de ne pas faire assez bien. Ils flippaient de tout jusqu'à me demander de mettre une capote quand j'allais à la piscine par peur que je chope le sida... ça a été comme ça toute mon enfance.

Il y a quand même du positif dans cette éducation très stricte ?

Sans le travail de mon père et l'éducation de ma mère, je ne serais certainement pas là en train de vous parler sans accent, avec cette espèce d'aisance et le goût des bonnes choses. J'aurais pu faire comme tous mes copains de classe, partir surfer après l'école et me satisfaire de la douceur de vivre de mon île. Mais mon quotidien à moi, c'était d'aller dans les cinémas et regarder les films de Pierre Richard. Ma mère n'a jamais compris pourquoi je riais autant devant ses films. Dans la famille, il n'y avait que mon père qui avait de l'humour. Un humour barricadé par sa femme...

Votre papa n'est plus là aujourd'hui. Quel regard porterait-il sur votre carrière ?

Il attendrait surtout que je passe à autre chose, que je me déleste de certains boulets que je traîne depuis toujours, d'un ego qui m'empêche de faire et qui engendre les frustrations, les rancœurs... Plus on se débarrasse des choses qui pèsent, plus on fait de la place pour accueillir. Et c'est quand on accueille qu'il se passe des choses. Je suis en phase de progression. La paternité m'a transformé.

D'après vos copains, vous êtes celui qu'on peut appeler au milieu de la nuit, celui qui ne sait jamais dire non, et surtout pas à l'appel du « p'tit dernier pour la route » ! Vous faites tout dans l'excès ?

C'est vrai que j'ai du mal à savoir dire stop quand je me sens bien quelque part. Je suis toujours dans la nostalgie du moment présent car j'ai l'impression de ne pas l'avoir suffisamment exploité. Ne pas me projeter dans le futur me permet de l'accueillir de manière beaucoup plus positive. Je prends le temps d'être pressé. Et quand je réalise qu'il serait mieux de rentrer, ça me renvoie à cette angoisse que je traîne depuis l'enfance, l'idée d'obéir à quelque chose ou à quelqu'un. Alors ça me frustre encore plus et je recommande le dernier des derniers verres.

« Ne pas me projeter dans le futur me permet de l'accueillir de manière beaucoup plus positive »

Vous ne faites rien de ce que l'on vous demande ?

Je suis toujours sorti du cadre pour voir la vie de manière différente. Cette désobéissance presque maladive m'a valu trois ans d'internat à Durban, en Afrique du Sud. Mes parents n'en pouvaient plus. Là-bas, la fantaisie n'avait pas place, sinon c'était plusieurs coups de bâton en guise de punition. Heureusement, quand Nelson Mandela est arrivé au pouvoir en 1994, année de mon bac, il a banni les punitions corporelles. Un jour, j'en ai eu marre de bouffer des plats immondes à la cantine, surtout pour le prix de la scolarité. Stop à la patate bouillie servie dans une assiette en plastique ! J'ai alors réuni quelques potes pour aller nous plaindre auprès du proviseur... Conclusion : j'ai été élu meilleur ambassadeur de l'école depuis 1877 ! Il y a même mon nom en lettres dorées affiché sur un mur du pensionnat !

C'est comment, le dimanche chez Manu Payet ?

Je m'enferme dans la cuisine et je prépare à manger pour mes amis et ma famille. Ma spécialité, le rougail saucisse.

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* 7, place Saint-Augustin, Paris (8e).
** Emmanuel 2, à l'Olympia à Paris, le 9 décembre (complet). Du 21 novembre au 28 décembre 2024 au Théâtre de la Madeleine, à Paris. Puis en tournée dans toute la France.

SES COUPS DE CŒUR

Toujours à droite à gauche à courir après le temps, Manu caresse l'espoir de découvrir très vite la dernière BD de Luz, Testosterror. Côté ciné, c'est Romain Duris dans Le Règne animal qui l'a fait chavirer... et il ne résiste pas aux mélodies du chanteur Hervé pour dégainer son arme de séduction, son déhanché endiablé à la sauce créole.

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