C'est un budget 2022 de campagne présidentielle qui se profile. Après le bouclier tarifaire et le chèque énergie de 100 euros, le Premier ministre Jean Castex a dégainé une indemnité inflation de 100 euros pour environ 38 millions de Français. Près d'un mois après la présentation du projet de loi de finances 2022 (PLF 2022), le gouvernement s'apprête à inscrire des dépenses substantielles dans le budget 2022 de l'ordre de 10 milliards d'euros.
"Nous faisons face à une flambée des prix du gaz avec une hausse multipliée par dix en période de crise. Il y a une répercussion directe sur les prix de l'électricité. Il y a aussi une hausse des prix à la pompe. Enfin, l'inflation transitoire peut durer. La reprise économique en Europe, aux Etats-Unis et en Chine tire les prix vers le haut [...] ", a expliqué le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, ce matin lors d'une réunion avec des journalistes.
"Dans le PLF 2022, il y a une stratégie. Elle repose sur deux piliers : l'investissement et la protection. Pour le premier volet, c'est le plan d'investissement 2030 et le plan compétences. Pour le second volet, nous devons protéger les Français des hausses des prix de l'énergie. Les Français ne doivent pas prendre de plein fouet les effets de l'inflation", a-t-il martelé en marge d'un déplacement dans les Hautes-Alpes.
A six mois de l'élection présidentielle, l'exécutif a finalement décidé d'élargir le spectre des Français visés par ces mesures. Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé "la fin du quoi qu'il en coûte" il y a déjà plusieurs mois, la multiplication de ces mesures devrait alimenter la critique des oppositions dans le contexte de la campagne électorale.
3,8 milliards d'euros pour le chèque inflation entre fin 2021 et début 2022
Après plusieurs de jours de tergiversations, l'exécutif a surpris en écartant le chèque essence et la baisse de la fiscalité évoqués par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire en début de semaine. Finalement, Matignon a tranché pour une troisième voie plus visible et qui concerne 38 millions de Français gagnant moins de 2.000 euros nets par mois.
Sur le plan budgétaire, 3,8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires doivent être distribuées entre la fin du mois de décembre et le premier trimestre 2022 pour assurer le financement de l'indemnité inflation. Sur cette enveloppe, 1,5 milliard doit être décaissé pour 15 millions de personnes et le restant l'année prochaine et 2,3 milliards seront inscrits dans le PLF 2022.
Dans le détail, elle doit viser "11 millions de salariés du privé, 2,3 millions de fonctionnaires, 1,7 million d'indépendants incluant les micro-entrepreneurs et les agriculteurs, 6 millions de chômeurs, et 500.000 salariés d'employeurs-salariés. Soit au total 21,6 millions d'actifs", a déclaré le locataire de Bercy. A ceux-là s'ajoutent environ "13 millions de retraités, les titulaires de minimas sociaux comme le RSA, les étudiants qui ne sont pas rattachés au foyer fiscal de leurs parents", a-t-il ajouté. "Une grande majorité de salariés, des indépendants et des chômeurs toucheront cette somme dès la mi-décembre. Cela va dépendre des gestionnaires de paie. Pour le solde restant, il sera versé aux fonctionnaires et aux retraités début 2022", a-t-il précisé.
L'autre enveloppe supplémentaire inscrite dans les textes budgétaires concerne les prix de l'énergie avec le bouclier tarifaire. Elle s'élève à environ 5,9 milliards d'euros entre 2021 et 2022.
Le prix du gaz en France sera bloqué "tout le long de l'année 2022", et non seulement jusqu'à avril 2022, a annoncé jeudi Jean Castex en soulignant le niveau élevé des cours mondiaux. Les experts "nous disent que vraisemblablement la décrue" des prix "sera plus lente" que prévue et "donc nous avons pris nos responsabilités, en maintenant le blocage des prix sur tout le long de l'année 2022", a déclaré le Premier ministre sur TF1. Le dernier volet concerne le plafonnement du prix de l'électricité.
Quatre milliards d'euros pour le plan d'investissement France 2030 et le plan compétences
L'autre grand volet de ces annonces concerne le plan d'investissement France 2030 lancé en grande pompe par le président de la République Emmanuel Macron au Château de l'Elysée la semaine dernière. Les crédits prévus pour financer ce plan l'année prochaine s'élève à 2,8 milliards d'euros. Le pilotage de cet outil devrait être annoncé par le chef de l'Etat au début de l'année 2022.
En revanche, les acteurs devraient avoir peu de visibilité au delà de cette année présidentielle. "Sur la sanctuarisation des dépenses, la première année est assurée mais on va spéculer sur ce qui va se passer après 2022", avait réagi l'entourage du chef de l'Etat après la présentation. Enfin, 1,2 milliard devrait être consacré au plan Compétences et au revenu d'engagement pour les jeunes. Sur ce sujet, Emmanuel Macron devrait faire une annonce la semaine prochaine, selon le ministre de l'Economie.
Un déficit en hausse à 5% en 2022 contre 4,8% initialement prévu
Après avoir explosé en 2020 à près de 9% et légèrement diminué en 2021 (8,4%), le déficit public devrait frôler les 5% en 2022 contre 4,8% prévu lors de la présentation du budget 2022 par les ministres fin septembre. Malgré cette légère hausse du déficit public, "la dette publique sera ramenée sous les 114%", a assuré Bruno Le Maire.
Compte tenu des prévisions de croissance révisées à la hausse pour 2021 à 6,25% contre 6% précédemment, l'exécutif prévoit des recettes supplémentaires grâce notamment à l'amélioration des recettes fiscales issues de la TVA (+2,5 milliards d'euros). "Il y a un sursaut des recettes sur l'impôt sur les sociétés et aussi sur l'impôt sur le revenu avec un meilleur rendement notamment avec la mise en place de l'impôt à la source", a expliqué le ministre des Comptes Publics Olivier Dussopt.
L'exécutif compte également sur une embellie sur le marché du travail. "Nous estimons qu'en 2021, l'économie française aura créé non pas 325.000 mais 460.000 emplois salariés marchands supplémentaires, ce qui est un résultat exceptionnel", s'est félicité M. Le Maire.
Entre la fin de l'année 2021 et le début de l'année 2022, le ministre en charge des Comptes publics a affirmé que l'exécutif allait "annuler des budgets qui n'ont pas été consommés dans certains ministères. Cela va nous permettre de tenir les 290 milliards d'euros de dépenses hors mesures d'urgence. La sous-consommation des crédits d'urgence comme le fonds de solidarité, l'activité partielle va nous permettre de financer certaines mesures comme le chèque énergie, la première phase de l'indemnité inflation."
En effet, la réduction drastique des mesures d'urgence devrait permettre à l'exécutif de dégager des marges de manœuvre pour financer la batterie de mesures annoncées ces dernières semaines.
"La réduction importante du déficit entre 2021 et 2022 est de nature mécanique. L'amélioration du déficit conjoncturel y contribue pour 1,6 point, tandis que la diminution de 2,1 points du déficit structurel est imputable à l'arrêt de l'essentiel des mesures d'urgence", a rappelé l'économiste de BNP Paribas Hélène Baudchon dans une note dévoilée ce vendredi.
Les réserves du Haut conseil des finances publiques, un budget toujours "sincère" selon le gouvernement
Cette avalanche de dépenses risque une nouvelle fois de faire tiquer le haut conseil des finances publiques (HCFP). Déjà, dans un avis rendu fin septembre, les magistrats financiers avaient pointé les insuffisances du budget 2022. "Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 dont le Haut Conseil a été saisi est incomplet. En effet, il n'intègre pas l'impact de mesures d'ampleur qui ont pourtant déjà été annoncées par le gouvernement (grand plan d'investissement, revenu d'engagement notamment)", avaient expliqué les auteurs.
L'institution avait regretté qu'elle ne puisse pas rendre "un avis pleinement éclairé" sur les prévisions de finances publiques pour 2022 à l'intention du Parlement et des citoyens, en application de son mandat.
De son côté, Bruno Le Maire a affirmé que "nous tenons notre parole et nous présentons un budget sincère [...] Il faut veiller à éviter le dérapage des finances publiques" a-t-il assuré. En attendant le prochain avis, les comptables de Bercy sont sous pression.