Dans les champs, les cultures souffrent. Après un printemps sec et un mois de juillet particulièrement aride, la France entame le mois d'août par un troisième épisode de canicule estivale qui devrait toucher presque tout le territoire cette semaine. Les conséquences s'annoncent d'ores et déjà désastreuses pour la production agricole française. « Bien que les situations soient variables d'un champ à l'autre, cette année, l'agriculture va être très affectée par la sécheresse », affirme François Tardieu, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE), à Montpellier.
D'autant que cette année, les récoltes des céréales semées l'hiver dernier, comme le blé, l'orge et le colza, affectées par la sécheresse de mai-juin, et qui sont récoltées au début de l'été, sont inférieures à la moyenne. « Rien que pour le blé, alors que la France compte parmi les premiers exportateurs au monde, la récolte est en dessous des 33,4 millions de tonnes. C'est une petite récolte, même si on a déjà fait pire », précise Sébastien Poncelet, consultant chez Agritel et expert des marchés des matières premières agricoles.
Pas de risque de pénurie pour l'alimentation du bétail
Touchées de plein fouet par chaleur, le temps sec et la canicule de juillet, les cultures d'été, semées au printemps, comme le maïs ou le tournesol, pourraient être encore plus mauvaises. Pour la culture du maïs, qui sert - avec le blé - à la fabrication d'aliments pour le bétail, les conséquences de la sécheresse s'annoncent même « catastrophiques », affirme Sébastien Poncelet. A l'échelle nationale, la proportion de parcelles de maïs grain considérées en état « bon à excellent » est passée de 75% à 68% en une semaine, selon le dernier baromètre CéréObs de FranceAgriMer publié le 29 juillet.
« La France produit néanmoins suffisamment de maïs chaque année, même les années de "petite" récolte, pour satisfaire l'ensemble des besoins de son marché national (y compris l'amidonnerie et la semoulerie en plus de l'alimentation animale), et pour en exporter, notamment vers les autres pays de l'Union européenne », précise-t-on chez FranceAgriMer, l'office agricole français. Il n'y a donc pas de risque de "pénurie" de céréales fourragères à l'échelle de la France, même si la sécheresse persistante affectait le potentiel de production en maïs.
D'autant que les fabricants d'aliments pour le bétail ont l'habitude de modifier leurs recettes en variant les incorporations en fonction de la disponibilité des céréales (comme le blé, l'orge, le triticale mais aussi les tourteaux d'oléagineux, les protéagineux, les drêches,...) et du rapport qualité/prix. Pour le maïs par exemple, la production française peut varier d'une année sur l'autre : de 11,8 millions de tonnes en 2018 à 14,3 millions de tonnes en 2021. Dans ce cas les fabricants d'aliments du bétail s'adaptent. Sur cette période, les utilisations de maïs par ont ainsi varié entre 2,5 millions de tonnes et 3,9, explique-t-on encore chez FranceAgriMer.
Baisse des exportations et maintient des prix
En revanche, c'est bien la part dédiée aux exportations qui s'annonce plus faible. Concernant le maïs, habituellement, « 30% de la production de maïs grain (destiné à l'alimentation animale) qui est cultivé en France est exportée à nos voisins européens », rappelle Sébastien Poncelet. Mais cette proportion risque bien de se réduire, les cultures, concentrées en Alsace et dans le Sud-Ouest de la France, étant particulièrement touchées par la sécheresse.
La France n'est pas le seul pays dont les terres agricoles sont affectées par la sécheresse. « C'est toute l'Europe du maïs qui souffre, notamment l'Italie, mais aussi la Hongrie, ou encore la Roumanie, également gros producteurs de maïs », souligne Sébastien Poncelet. Résultat : les prix des céréales ne sont pas prêt de baisser. « Si la guerre en Ukraine a contribué à faire grimper les prix des céréales, la sécheresse qui touche la France et une partie de l'Europe depuis le début de l'été risque de contribuer à les maintenir, encore pour quelque temps, à des niveaux élevés », confirme l'expert d'Agritel.
Si le maïs venait à manquer, les éleveurs français pourraient néanmoins, au besoin, se tourner vers le Brésil ou encore les Etats-Unis. « L'Europe peut compter sur le Brésil qui a fait une grosse récolte. Aux Etats-Unis, il y a aussi du maïs. Mais son accès est plus compliqué à cause des réglementations, notamment sur les OGM », ajoute Sébastien Poncelet. « A défaut, on a de l'orge en Europe, qu'on donnera aux animaux. » On peut donc aussi s'attendre à des répercussions sur le prix des productions animales (lait, viandes, œuf), qui ne risquent pas de baisser tout de suite. « Finalement, cette sécheresse va participer, très probablement, à maintenir une fermeté sur les prix agricoles », souligne l'analyste des marchés des matières premières agricoles.
Irriguer et stocker de l'eau
Avec le réchauffement climatique, faut-il s'inquiéter pour l'avenir de la production agricole française ? Comment prévenir ou éviter que ce type de situation ne se répète ? Parmi les solutions mises en avant : une meilleure irrigation des terres, alors qu'en France par exemple, seulement 5% de la surface agricole utile (SAU) est irriguée. Autre moyen défendu, notamment par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricole (FNSEA), un meilleur stockage de l'eau l'hiver avec des retenues, remplies par les eaux de surface et les eaux de ruissellement.
Pour cela, dans le cadre du plan France 2030, un dispositif d'aides, géré par FranceAgriMer, a été mis en place pour les agriculteurs afin de les encourager à investir en matériels innovants pour économiser l'eau (capteurs connectés ou drones de télédétection chargés de surveiller les besoins hydriques des cultures, par exemple).
En outre, depuis le printemps, dans un contexte de ressources en eau limitées par la sécheresse et de capacités d'irrigation restreintes dans plusieurs départements, les ministères en charge de l'agriculture et de la transition écologique avaient annoncé, dès le 9 mai 2022, une enveloppe supplémentaire 20 millions d'euros pour aider les agriculteurs à faire face au changement climatique.
Faire confiance aux agriculteurs
A plus long terme, d'autres leviers pour adapter les cultures au changement climatique, sont défendus par les chercheurs. « A l'avenir, il va falloir continuer à jouer avec ces incertitudes climatiques, en s'adaptant. Soit par des changements de variétés, d'espèces ou de production, en jouant par exemple sur des cycles de culture plus courts, là où il y a des risques », explique François Tardieu.
Il faut aussi faire confiance aux agriculteurs « qui s'adaptent très vite ». « Ils sèment maintenant dans le centre de la France des variétés qui étaient cultivées dans le Sud il y a 30 ans. Les dates de semis sont de plus en plus précoces », ajoute le chercheur de l'INRAE. Parallèlement, il faut compter aussi sur les progrès de sciences. « Des progrès génétiques pour la production en sécheresse ont également été réalisés, souligne François Tardieu. On a des plantes plus résistantes à la sécheresse qu'il y a 50 ans. Même avec des épisodes de sécheresse plus fréquents, les rendements sont en moyenne en hausse de 1 à 2% par an dans les sites secs.»