LA TRIBUNE - Avec la crise, est-ce que l'engagement des salariés vis-à-vis des entreprises a changé ?
DOMINIQUE LAURENT- Chez Schneider, nous mesurons chaque année l'engagement de nos salariés via une enquête interne. Nous l'avons menée l'an dernier, à la sortie du premier confinement, et les résultats nous ont montré que cet engagement était en progression, et même en forte progression. Il me semble que c'est d'ailleurs le cas pour la plupart des grandes entreprises du CAC 40. La crise a eu un effet « resserrement des liens ». Face un choc exogène, l'entreprise est apparue comme un des rares élément stable, résistant, rassurant. Surtout que dans le même temps, la gestion publique montrait des signes de faiblesse.
Dès le début de l'épidémie, les entreprises se sont très vite adaptées, ont mis en place des protocoles sanitaires, ont adopté le télétravail... Certaines ont, par exemple, fabriqué leurs propres masques à un moment où il n'y en avait pas. C'est ce que nous avons fait chez Schneider. Nous avons également participé à la fabrication des 10 000 respirateurs artificiels avec Air Liquide, en partenariat avec PSA et Valeo.
Nous disposerons fin juin des résultats de l'édition 2021 de notre enquête annuelle d'engagement, mais pour l'instant, aucun signe ne laisse supposer que cet engagement aurait baissé, que les salariés seraient en perte de sens, ou auraient des velléités pour quitter le groupe. Nous le voyons d'ailleurs avec notre Département interne d'essaimage, qui accompagne en toute confidentialité, les salariés qui souhaitent se reconvertir, faire tout autre chose, changer de métier et de vie, en créant leur propre entreprise. Nous n'avons pas enregistré de hausse des demandes.
Le télétravail, perçu au départ comme une source de liberté, occasionne aujourd'hui une forte lassitude. Les collaborateurs nous disent en « avoir marre » d'être chez eux...
Comment se sentent les salariés aujourd'hui ?
Ils ressentent une grande fatigue psychologique. Elle ne tient pas à l'entreprise d'ailleurs, mais au quotidien que nous vivons tous, collectivement, avec ces confinements multiples, et cette crise sanitaire qui dure... Certains ont perdu un proche, ils doivent faire le deuil. Certains ont été malades...
Sans compter que le télétravail, perçu au départ comme une source de liberté, occasionne aujourd'hui une forte lassitude. Les collaborateurs nous disent en « avoir marre » d'être chez eux... Ils apprécient le télétravail, mais pas à 100%, avec les enfants à la maison, les écoles fermées... Et chez Schneider, nous avons la chance d'être dans un secteur qui se porte bien, qui n'a pas subi la crise de plein fouet, par une remise en cause fondamentale de ses usages.
Au contraire, à travers nos activités de gestion digitale de l'énergie, nous participons à la transition écologique, nous contribuons à la rendre plus simple, à la concrétiser...
Je pense en revanche, aux salariés de l'aérien, de l'hôtellerie-restauration, du retail ... à tous ceux dont les activités ont vu leurs usages brutalement et pour certains, durablement, remis en cause. A l'anxiété générée par la crise, s'ajoute un véritable stress quant à l'avenir. La résilience se fait au prix d'une forte charge mentale.
Si vous avez des salariés en détresse psychologique, la reprise n'en sera que plus difficile...
Comment répondre à cette fatigue que vous percevez ?
En étant à l'écoute. En faisant preuve d'empathie vis-à-vis de nos collaborateurs. Chez Schneider, nous avons toujours été très vigilants à la santé de nos salariés, et ce, bien avant la Covid. Mais plus que jamais, ce sujet de la santé et de la prévention des risques psycho-sociaux est central, essentiel. Pas seulement par philanthropie, mais aussi par souci d'efficacité, de performance. Cela fait plus de 20 ans que nous avons, en interne, promu une politique de « santé/efficacité ». Les deux vont de pair.
Cette épidémie nous aura montré que si vous n'êtes pas vigilants, un seul cas suffit à développer un cluster, et perturber votre organisation, votre production. Si vous avez des salariés en détresse psychologique, la reprise n'en sera que plus difficile... En matière de santé au travail, les grandes entreprises sont armées pour y répondre. Les plus petites, sans doute, un peu moins car elles n'ont pas toujours la taille critique pour disposer d'un service de santé autonome.
Toutes les entreprises vont devoir préparer une sorte de retour à la normalité de demain, ce que nous appelons « le next normal »
Cette crise peut-elle transformer le rapport que les salariés entretiennent avec les entreprises ?
Pour le moment, il est difficile de mesurer les impacts. Car cette crise est à « libération prolongée ». Je suis convaincu qu'elle va occasionner des changements importants, mais que nous sommes loin de voir et d'appréhender encore aujourd'hui. Mais, quand nous sortirons de cette crise, nous allons devoir nous adapter, faire évoluer nos organisations. Par exemple, même si chez Schneider, nous étions bien avancé en matière de télétravail, - avant la crise, il y avait déjà 4000 télétravailleurs car nous avions signé un accord au niveau du groupe en 2018 sur ce sujet -, nous allons devoir le revoir, le faire évoluer. Nous allons en parler avec les syndicats : il y avait par exemple des fonctions que nous estimions non-télétravaillables. Cette crise nous a montré qu'en réalité, c'était possible...
Toutes les entreprises vont devoir préparer une sorte de retour à la normalité de demain, ce que nous appelons « le next normal ». Et ce sera un enjeu décisif. Sur le sujet du télétravail par exemple, si des entreprises pensent qu'elles pourront revenir à la situation d'avant 2020, et faire fi de ce qui s'est passé durant cette crise, alors elles connaîtront des moments difficiles, des frictions, des rapports de force, des démissions possibles.... etc. Cette crise a imposé des transformations : revenir en arrière amènera les salariés à arbitrer. Il faut avoir en tête que l'atterrissage « social » de cette crise peut-être périlleux...
Le management va aussi être en première ligne...
Effectivement... Après ces mois de management à distance, - que chez Schneider nous avons d'ailleurs accompagné via de nombreuses formations - il va falloir instaurer de nouvelles façons de travailler, trouver le juste milieu. Autre exemple : nous voyons bien la place prise par le digital. Cela a des conséquences sur la productivité du travail. Exit les réunions de 3 heures, comme auparavant, en présentiel... Nous ne reviendrons pas à ces fonctionnements d'hier. Mais quels vont être les formats de demain ?
Le développement durable est le premier ciment de notre entreprise et nos salariés y sont très attachés. C'est LE dénominateur commun de toutes nos équipes.
L'engagement des salariés passe aussi souvent via l'adhésion à des valeurs .... Le regard sur le rôle sociétal de l'entreprise a t il changé ?
L'affirmation de ces valeurs va être encore plus forte qu'auparavant. Par exemple, en matière de transition énergétique. Cette crise a confirmé la pertinence de notre stratégie.
Notre projet d'entreprise et la raison d'être que nous avons adoptée reste liés à notre proposition de valeur et à notre contribution à la transition énergétique. Le développement durable est le premier ciment de notre entreprise et nos salariés y sont très attachés. C'est LE dénominateur commun de toutes nos équipes à travers le monde.
Les engagements concrets que nous avions pris sur le climat chez Schneider vont se poursuivre... et même se renforcer à travers un nouveau programme de développement durable qui sera audité par des sociétés extérieures, avec des objectifs précis. Par exemple, nous allons nous assurer que nos 1000 premiers fournisseurs réduiront leur émission de CO2 de 50% d'ici à 2025...
Pareil en matière d'égalité hommes/ femmes. L'Index égalité de Muriel Pénicaud a été conçu et expérimenté chez Schneider... Tous ces sujets sont importants pour nos collaborateurs, notamment pour les jeunes.
Concernant les jeunes, justement. Croyez-vous qu'ils se sentiront plus engagés dans l'entreprise qu'avant après cette période ?
C'est difficile d'avoir une réponse tranchée. La période est très dure pour eux. Mais, je ne pense pas cela va se traduire par un moindre intérêt pour l'entreprise. Les jeunes sont-ils plus méfiants qu'avant vis-à-vis des entreprises ? Je ne le crois pas mais une chose est sûre, ils sont plus regardants que leurs aînés il y a quelques années, quant à la proposition de valeur des entreprises. Ils sont attachés au développement durable, à l'équité, ils ne supportent pas l'injustice... Il faut être capable de leur apporter des réponses concrètes. Des preuves plus que de grands discours.
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