L'Europe engage la bataille du leadership pour un capitalisme durable au 21ème siècle

LE MOIS DE L'ENGAGEMENT. La Tribune entame une série sur cinq semaines intitulée "le mois de l'engagement" consacré aux enjeux de la Responsabilité sociale et environnementale (RSE). Premier épisode, l'Europe, qui lance ce mercredi 21 avril son projet de révision de la directive sur le reporting extra-financier des entreprises (NFRD). Enjeu : devenir le continent d'un capitalisme durable et plus humain, souligne Olivia Grégoire, en charge du dossier à Bercy.
(Crédits : Reuters)

Ce 21 avril, la Commission européenne présente son projet de révision de la directive sur le reporting extra-financier des entreprises (NFRD). A première vue, le sujet est technique, réglementaire. En réalité, il s'agit là d'un test majeur pour l'Union européenne. Une occasion d'exercer son influence en dehors de ses frontières, mais aussi une avancée supplémentaire dans la redéfinition du capitalisme qu'elle entend pratiquer.

En révisant le texte de 2014 sur le reporting extra-financier, c'est une bataille pour sa souveraineté économique et financière, mais aussi pour la promotion de son modèle de pensée, qu'engage l'UE.

« L'Europe a tout pour être le continent d'un capitalisme plus responsable, et ce texte va y contribuer, analyse Olivia Grégoire, secrétaire d'Etat en charge de l'Economie sociale, solidaire et responsable. Nous comptons embarquer les ETI européennes - et non plus seulement les 6 000 grandes entreprises concernées par la directive initiale -, dans l'évaluation de leur gouvernance et de leur performance environnementale et sociale. »

A la clé, une valorisation des sociétés qui dépasse le strict champ financier et une standardisation qui facilitera les comparaisons.

Ne voir dans ce texte qu'une énième initiative en matière de reporting serait réducteur. Parmi les objectifs, éviter un naufrage similaire à celui des normes comptables IFRS.

« Une absurdité, qui pousse les entreprises européennes à être évaluées selon des standards comptables américains, que les Etats-Unis, d'ailleurs, appliquent avec moins de rigueur que les Européens, s'agace Olivia Grégoire. Celui qui maîtrise la norme maîtrise la notation. L'Europe ne doit pas être évaluée et notée par les Etats-Unis. »

Dans les faits, une domination du modèle de notation extra-financier américain constituerait un véritable handicap pour les entreprises européennes. Si certains critères américains se rapprochent du schéma européen, d'autres ne correspondent pas à notre réalité économique, comme l'intégration du gaz de schiste ou des notions ethniques. Olivia Grégoire estime une coexistence possible entre les deux standards, le modèle s'appliquant étant celui du lieu où le chiffre d'affaires est réalisé. Ce qui ne l'empêche pas de souhaiter que les normes européennes - reflet de notre mode de pensée et de nos valeurs - s'imposent comme normes internationales.

Une réorganisation des règles mondiales

Cette bataille des normes, qui s'annonce serrée, s'inscrit dans un travail plus vaste de refondation des règles du capitalisme européen.

« Nous sommes entrés dans un cycle historique unique, marqué par la fin du néo-libéralisme et la prise en compte d'enjeux collatéraux, tels que les inégalités, la biodiversité, le climat... », analyse Patrick d'Humières, enseignant à Sciences-Po et CentraleSupélec et président de la société Eco-Learn, spécialiste de la transformation durable.

Certes, la perspective d'un capitalisme durable, c'est-à-dire conforme aux 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés par l'ONU, semble encore loin. Néanmoins, celle d'une économie décarbonée, plus juste socialement, est bien dans le viseur des institutions européennes. Une vision d'ensemble parfois difficile à saisir car, fidèle à ses principes, l'Europe avance par touches.

Elle s'emploie ainsi à modifier en profondeur les pratiques des sociétés. « Pour être compétitive et attractive auprès des consommateurs, des talents, des investisseurs, l'entreprise européenne devra être responsable », constate Olivia Grégoire. Les entreprises seront en effet de plus en plus exposées au jugement de toutes ces parties prenantes, grâce au travail de lisibilité et de transparence de l'Union. Outre NFRD, c'est tout le sens de la taxonomie, autre chantier majeur du moment. Il consiste à classer la performance écologique de 72 activités économiques, responsables de 93 % des émissions de gaz à effet de serre. En bref, l'EU est en train d'estampiller les activités vertes, en transition ou brunes et de fixer des standards pour les comparer. Avec l'idée, évidemment, de faciliter financements et investissements en faveur des plus performantes.

L'autre fait marquant, c'est la volonté de plus en plus manifeste de l'Europe d'imposer ses standards aux entreprises étrangères. « On le voit au travers de NFRD et de la taxonomie, mais aussi dans le projet d'une loi européenne sur le devoir de vigilance, inspirée de ce qui existe en France. Cela permettrait de surveiller les pratiques des fournisseurs de rangs différents », explique Olivia Grégoire. Un texte politiquement très lourd, confirme Patrick d'Humières, justement car il implique de l'extra-territorialité et touchera les compétiteurs étrangers désireux d'opérer sur le sol européen.

« L'Europe va utiliser des moyens normatifs et diplomatiques, mais aussi faire jouer le poids des coalitions et passer par les grandes instances internationales, telle l'OMC, pour imposer des lignes politiques nouvelles », poursuit-il. Parmi les leviers d'action, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui s'appliquerait aux entreprises étrangères souhaitant accéder au marché européen, ou encore une redéfinition des doctrines commerciales de l'UE. Une nouvelle donne par laquelle l'Europe entend préserver la compétitivité de ses entreprises à l'international, mais qui ne s'imposera pas sans tensions, face aux Etats-Unis et à la Chine.

La bataille pour les standards de la durabilité

Les Accords de Paris, la relance verte, le Green Deal, la neutralité carbone en 2050... Autant d'initiatives fortes de la part de l'Europe, qui affirme ainsi son exemplarité sur la scène internationale. Toutefois, mener par l'exemple peut sembler léger face à la puissance de feu des Etats-Unis et de la Chine. Pour en revenir à la directive sur le reporting extra-financier, que vaudra le standard européen si, dans la pratique, le modèle américain s'impose dans le monde ? Et que vaudra la compétitivité des entreprises européennes si elles demeurent dépendantes de la Chine pour leur approvisionnement ?

La bataille de leadership pour un capitalisme plus responsable ne fait que débuter, mais l'Europe n'est pas dépourvue d'atouts. Elle dispose d'un marché économique puissant, de capacités financières élevées et d'une monnaie solide. A quoi s'ajoute une expertise unique en matière d'investissement ESG (environnemental, social, de gouvernance) et durable. « L'Europe est le berceau de l'ESG et s'est imposée comme son épicentre mondial. Nous concentrons le savoir-faire, l'expertise ; l'un des principaux acteurs mondiaux de l'ESG, Amundi, est d'ailleurs français et non américain. L'Europe dispose déjà du leadership technique et doit l'imposer sur la scène internationale au cours de la décennie à venir », insiste Olivia Grégoire.

Le fait que les Etats-Unis de Joe Biden se réengagent en faveur d'un capitalisme plus durable risque de rendre la compétition ardue, face à une Europe qui n'est pas connue pour son agilité ou la convergence entre ses Etats membres. Mais c'est aussi la preuve que les mentalités évoluent à l'échelle mondiale, poussées, peut-être, par l'explosion des inégalités que la crise met en lumière.

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Commentaires 7
à écrit le 20/04/2021 à 15:38
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En fait je ne comprend pas le sens de l’existence de l’UE : qui complètement sous la coupe des USA ( économique, armements, technologique) L’UE n’est pas une puissance mondiale mais est juste un groupement de pays facile à gérer pour les usa et ...

à écrit le 20/04/2021 à 11:41
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L'Europe c'est le meilleur de l'union des mondes américain et chinois : Financiarisation et dérégulation de l'économie, travailler et être payé comme un chinois.

à écrit le 19/04/2021 à 14:16
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Olivia Grégoire, en charge de l’Économie sociale, solidaire et responsable et si ma tante en avait va payer de sa "propre" poche les charges inhérentes à ces suppléments de tâches à accomplir, non ?

à écrit le 19/04/2021 à 10:19
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Ah ça faisait un moment que le lobby implanté au sein du parlement européen qui prône la stérilisation des femmes africaines afin que les européens puissent continuer de prendre l'avion espérait que sa campagne sur le terrain prenne de l'ampleur ! Ma...

à écrit le 19/04/2021 à 10:03
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Il faudra choisir entre le "Capitalisme" et le "Durable" en soulignant que les deux sont nécessaires - belle équation..

à écrit le 19/04/2021 à 9:40
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Justement, ni le capitalisme, ni le durable, n'est approprié a nous sortir du marasme dont ils sont responsable! C'est le mot "consommation" attaché a leur entreprise qui est a revoir!

à écrit le 19/04/2021 à 9:00
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bref, grace a la france, les pme auront la chance de remplir un tas de papiers inutiles, de donner les cles de la gestion a des syndicalistes d'ultra gauche qui ne poseront pas une caillasse dans la balance, et auront le droit de tout mesurer, comme ...

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