Étudiante à l'Essec, Joséphine, 20 ans, est formelle : pas question d'intégrer une entreprise qui ne serait pas soucieuse de l'environnement. Aussi, pour son premier poste, a-t-elle d'emblée rayé de la liste quelques grands noms du CAC 40 : « malgré les chartes et engagements qu'ils affichent, je me méfie du green washing ». Et tant pis, si cette sélection rend son insertion plus difficile : « Je mettrais peut-être plus de temps, mais au moins je suis en accord avec mes valeurs » assure-t-elle.
Pour son stage de césure, Mariam Buch, a elle aussi fait le choix de son entreprise en fonction de « sa raison d'être ». Alors qu'elle avait plusieurs propositions, la jeune femme de 22 ans a opté pour une ETI pas forcément très connue, ESI Group, société spécialisée dans la simulation numérique, mais dont l'activité correspond à ses aspirations : « Cette entreprise cherche des solutions innovantes pour les individus, participe à l'évolution des industries, est ouverte sur l'international... ». Autrement dit, ESI correspond à l'image que Mariam Buch se fait du progrès. « Par exemple, des ingénieurs d'ESI ont modélisé des agents pathogènes de la Covid en l'air en fonction des ventilations ... c'est très utile pour combattre l'épidémie », explique-t-elle, non sans fierté.
Cette fierté, c'est aussi ce que les salariés de Carrefour ont ressenti pendant cette crise. « Lors du premier confinement, il y a eu des applaudissements, des remerciements, une reconnaissance de nos métiers, un changement de regard sur le secteur de la grande distribution », se souvient Dominique Raze, directrice de la marque employeur pour Carrefour France. Et de se réjouir : « Notre responsabilité sociale n'était pas assez visible avant, elle a été mise en lumière avec la pandémie ».
Le résultat s'est vite fait sentir : en interne, l'engagement des 100.000 salariés a été renforcé et Carrefour a reçu, l'an dernier, deux fois plus de candidatures qu'auparavant. En mars 2020, rien que pour ses postes en alternance, le groupe a comptabilisé plus de 13 000 CV en 3 semaines à peine. De quoi encourager le géant de l'alimentaire à renforcer ses actions RSE, pour limiter le gaspillage alimentaire, développer la consommation bio, aider les étudiants dans la précarité etc...
« Cette quête de sens concerne tout le monde »
Faire œuvre sociale, c'est aussi ce qui motive les apprentis à frapper à la porte de Korian, leader de gestion des maisons de retraite. « Nous accueillons 600 alternants chaque année, et ils nous disent leur volonté d'être utiles, d'apporter de l'humain aux personnes fragiles » note Rohan Gouge, directeur inclusion diversité et qualité de vie au travail. Selon lui, « cette préoccupation est aussi partagée par les salariés en voie d'une reconversion professionnelle. Cette quête de sens concerne tout le monde ». Preuve en est, l'expérience de Caroline * ( le prénom a été changé), 48 ans. Conseillère Pôle emploi dans la région parisienne, elle a quitté son poste le mois dernier. « Je n'en pouvais plus de recevoir à la va-vite les demandeurs d'emploi, de ne pas leur apporter de réponses... Cette crise a été comme un révélateur, je ne me sentais pas respectueuse du public que je devais aider ». Caroline envisage désormais une carrière de coach scolaire : « tant pis si financièrement, c'est un peu plus dur ! ».
Pour Emmanuelle Germani, DRH de Kaporal, société marseillaise spécialisée dans les jeans et le textile : « Les salariés ont vécu des choses difficiles pendant cette crise et ils sont nombreux à se demander : Suis-je à ma place ? Vais-je continuer ainsi ? Est-ce que ce que je fais sert à quelque chose ? Est-ce que l'on me donne les moyens de réaliser ma mission ? ».
Pour la présidente de l'association nationale des DRH ( ANRDH) de la région Provence, les entreprises ne sont pas forcément préparées à ces questionnements existentiels : « A défaut de réponses toutes faites, je leur conseille de redoubler d'attentions et d'empathie. Sans quoi, les salariés partiront », prédit-elle. Et d'ajouter, « mais la plupart des collaborateurs sont aujourd'hui résignés, pas du tout vindicatifs. Ils attendent que la crise passe, mais après, ils se souviendront de ce que l'entreprise a fait ou n'a pas fait pour eux. » Attention donc au retour de manivelle pour celles qui auront pressurisé leurs salariés pendant la crise, fraudé au chômage partiel, profité de la pandémie pour licencier...
Un salarié sur cinq prêt à changer d'employeur après le confinement
« Je suis seule avec mes deux enfants, raconte Marlène, 47 ans, cadre dans une banque parisienne. Je me souviendrai longtemps de ma chef qui pendant les confinements n'a pas voulu prendre en compte ma situation familiale, et qui me demandait des rendus dans des conditions insultantes ». Dès qu'elle le pourra, Marlène promet de chercher un autre poste. Pour l'instant, elle fait le dos rond, trop épuisée à tout gérer. Selon une enquête d'Opinion Way, publiée fin mars 2021, comme Marlène, un tiers des salariés jugent que les relations se sont dégradées au sein de leur entreprise pendant cette crise, et 22 % songent à changer d'employeur à cause du traitement qu'ils ont subi durant cette période.
Les réputations d'entreprise se font et se défont vite, et au moment ou l'économie repartira pleinement, garder les talents sera un des éléments différenciant. Cofondateur de l'agence Quartier libre, qui conseille les dirigeants, Clément Bérardi, l'assure : « la plupart des entreprises vont devoir, dans les mois prochain, gérer une situation post-traumatique de leur corps social ». Selon lui, « jusqu'alors, on évoquait le burn-out, mais ça restait un peu tabou. Là, avec la Covid, il y a de la fatigue, mais aussi des cicatrices psychologiques, des deuils.... les entreprises vont s'organiser différemment ».
Préparer l'après-télétravail, défi des managers
Celles qui ont beaucoup pratiqué le télétravail ou le chômage partiel, par exemple, risquent d'être confrontées à des difficultés inédites : le retour sur site de salariés éloignés depuis des mois du bureau doit être minutieusement préparé. Sans quoi, il faudra s'attendre à des résistances passives, des absentéismes, voire des départs...
« Aujourd'hui, avant d'accepter un poste, les cadres me demandent systématiquement comment l'entreprise organise le télétravail et même s'il est possible de faire du « full télétravail », remarque Frédérique Barbier , directrice générale du cabinet Wild Wild Search.... Ce n'était pas le cas avant ! » Pour cette chasseuse de tête, « ils sont nombreux à avoir organisé leur vie en province, ou dans leur résidence secondaire.... Et après ces mois de confinement, les critères familiaux pèsent plus sur leurs choix professionnels. Ils ne sont pas prêts à renoncer à cette qualité de vie ».
Comme ce fut le cas dans les années 2000 pour les 35 heures, la pratique du télétravail fera donc la différence. Directeur de la RSE chez Foncia, Fréderic Fougerat en a conscience : « Jusqu'alors nous ne pratiquions pas du tout le travail à distance, cette crise nous a montré que c'était possible. Et nous sentons bien que les collaborateurs ne comprendraient pas si nous l'abandonnions totalement. Nous allons donc le pérenniser, mais selon des modalités décidées avec les syndicats ». Une façon de permettre aux employés de mieux articuler vie personnelle et vie professionnelle.
C'est aussi le pari de Philippe Saby, directeur général de Solly Azar, courtier grossiste en assurance de 350 personnes. Le dirigeant a proposé à ses salariés des déménagements en province. « Les gens souffraient trop à Paris, ils vivaient dans de petits espaces, ou avaient beaucoup de transports .... Les confinements m'ont convaincu de leur proposer des alternatives ». L'entreprise avait déjà des bureaux à Lille et à Lyon, Philippe Saby a choisi d'y ajouter le site d'Aix-Marseille. Avec ce crédo « travailler où l'on choisit de vivre et pas l'inverse ». Et selon lui, c'est gagnant-gagnant : « Nous nous sommes rapprochés de nos clients. Mes équipes me remercient, leur qualité de vie a changé et elles sont plus motivées ». De quoi être parés pour la reprise.
____________________
Découvrez la dernière édition de T La Revue consacrée à l'engagement et la RSE.
Lisez tous nos articles du mois de l'engagement en cinq T
T de Transition
L'Europe engage la bataille du leadership pour un capitalisme durable au 21ème siècle
L'interview de Pascal Canfin : « Le coeur du réacteur du Green Deal européen se met en route »
T de Talents
A Lyon, un guichet unique pour les aidants qui pourrait inspirer d'autres villes
T de Transmission
La finance à impact, pour changer le monde que nous transmettrons à nos enfants
T de Territoires
Les entreprises négligent encore trop les enjeux de la biodiversité
Véronique Andrieux, WWF : « la responsabilité des entreprises est considérable dans la perte de biodiversité »
L'initiative RSE : Les entreprises négligent encore trop les enjeux de la biodiversité
T de Transformation
Deux ans après la loi Pacte, l'indispensable refonte du business model des entreprises
Hélène Valade (ORSE) : Il faut passer d'une RSE corporate à une RSE de la conduite du changement
RSE : 10 bonnes pratiques pour en faire une véritable stratégie d'entreprise