Hélène Valade (ORSE) : Il faut passer d'une RSE corporate à une RSE de la conduite du changement

LE MOIS DE L'ENGAGEMENT - TRANSFORMATION. La RSE (responsabilité sociale et environnementale), utopie, outil de communication ou stratégie de développement ? Certaines entreprises ont su en faire un élément structurant de leur modèle. Des cas de figure à observer de près, car aucune société ne pourra échapper à une transformation de ses pratiques, avertit Hélène Valade, présidente de l'ORSE (Observatoire de la responsabilité des entreprises) et directrice Développement Environnement au sein du groupe LVMH.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Est-ce faire preuve d'optimisme, voire de naïveté, de dire que la RSE transforme les modèles d'affaires des entreprises ?

HÉLÈNE VALADE - Il serait optimiste de dire que cette transformation est achevée, en revanche, elle est en cours, car inévitable. Les sociétés doivent revoir leur modèle économique afin de prendre en compte leur impact sur l'environnement, les territoires, la société. Elles doivent désormais coupler leur croissance avec la protection du climat et une diminution de leur consommation de ressources naturelles. Le modèle économique d'avenir est celui d'une économie circulaire, une économie de la fonctionnalité.

De nombreuses entreprises travaillent sur ces sujets, leurs actions se traduisent différemment en fonction de leur secteur d'activité. La grande distribution, par exemple, s'embarque dans l'agriculture régénératrice, afin de revisiter sa chaîne d'approvisionnement. Dans le luxe, nous avons lancé une réflexion autour du modèle circulaire, qui peut devenir une source d'inspiration pour les designers.

Afin de ne pas faire preuve de naïveté, il faut aussi comprendre que la transition environnementale ne peut se faire sans des politiques d'innovation ambitieuses. Celles-ci revêtent déjà de nombreuses formes, comme l'intraprenariat, la co-construction avec des écosystèmes de start-ups, ou encore le recours à la recherche fondamentale. On voit en découler des propositions concrètes en matière d'impact, par exemple sur les packagings ou le traitement du plastique.

Comment créer un cadre qui favorise le déploiement des stratégies RSE ?

La volonté du dirigeant est évidemment le premier moteur nécessaire à la transformation d'une entreprise. Néanmoins, elle ne peut aboutir sans l'implémentation d'une culture de l'impact dans toute la structure. Cela implique, surtout pour les grands groupes, de développer une capacité à revisiter les habitudes, à revoir les modes de fonctionnement, et notamment cet attachement aux « process », tant mis en avant ces dernières années. L'évolution des mentalités doit être systématisée à tous les échelons de l'entreprise, en privilégiant les idées pragmatiques.

Le temps de la transformation est-il compatible avec celui de l'urgence climatique et l'agenda de réduction des émissions carbone de l'Union européenne, dont la première échéance arrive en 2030 ?

Les sociétés font face à des injonctions contradictoires, notamment à cause de la crise. Elles ne doivent pas céder à la tentation de reprendre le business « comme avant », mais plutôt intégrer les impératifs de transition climatique dans leur stratégie de développement et de sortie de crise.

Il faut, aujourd'hui, mettre le coût de la transformation face au coût de l'inaction. Et il sera élevé, il suffit de penser au prix croissant des matières premières, à la nécessaire intégration de contraintes réglementaires durcies, à la future taxation des externalités négatives...

L'autre sujet majeur sur lequel nous devons nous engager collectivement, pouvoirs publics et entreprises, est celui de la formation. Menons une réflexion prospective sur les nouvelles compétences dont les organisations vont avoir besoin au cours de leur transition, puis une fois celle-ci achevée. Cela me paraît indispensable, surtout si nous voulons éviter la casse sociale. Il suffit de regarder le secteur automobile pour s'en convaincre.

Vous évoquez les pouvoirs publics. Les modèles de croissance doivent-ils désormais se baser sur de nouveaux types de collaboration ?

Des modes d'action différents sont nécessaires. Toutefois, je sors du discours classique sur l'ouverture de l'entreprise à de nouvelles parties prenantes, car les sociétés ont déjà innové dans leurs manières de fonctionner. Elles ont su nouer de nouvelles alliances contractuelles, afin de mener la transformation de leur business model. Des alliances avec les fournisseurs, pour améliorer leur performance environnementale croisée ; mais aussi entre entreprises d'un même secteur, pour aller plus vite, ou encore entre secteurs différents. Souvenez-vous du partenariat entre Schneider Electric et Air Liquide, pour fabriquer des respirateurs, pendant la crise. Des solutions contractuelles inédites émergent entre tous ces acteurs, sans qu'il soit besoin d'une intervention extérieure.  La crise que nous traversons contribue aussi à créer de nouvelles solidarités, notamment entre fournisseurs et sous-traitants, je suis curieuse de voir si cela perdurera.

« Action », le mot est lâché. Comment s'assurer que la transformation des entreprises est réelle, que la transition est engagée ?

Tout est une question de cohérence. Cohérence entre la transformation choisie et le cœur de métier de l'entreprise, entre les déclarations et les actes, mais aussi entre le discours tenu en interne et en externe. La transition nécessite du temps, il faut l'accepter, tout comme le fait que l'entreprise est un corps social et ne peut pas toujours réussir du premier coup. Sa communication ne doit donc pas être lisse, ne donnant à voir que de belles actions.

Ensuite, il existe les méthodes classiques, consistant à élaborer des objectifs, puis à rendre compte des avancées au travers d'indicateurs et de KPIs. Là encore, le pragmatisme doit être de rigueur, avec une communication transparente, y compris sur d'éventuels retards, en interne et en externe. Il existe également beaucoup de labels, mais ils sont essentiels, cela aide à la lisibilité des pratiques.

La situation va continuer à évoluer grâce aux réformes du système financier au niveau européen, nous nous dirigeons vers une prise en compte de l'extra-financier dans la performance de l'entreprise. Nous travaillons beaucoup, à l'ORSE, sur la promotion de la comptabilité en triple capital.

Quelle est la « nouvelle frontière » en matière de RSE ?

Incarner cette stratégie dans les produits et services proposés par les entreprises. Il faut assurer le passage d'une RSE corporate à une RSE de la conduite du changement. C'est aujourd'hui la direction prise par les entreprises les plus avancées en la matière.


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Commentaires 5
à écrit le 18/05/2021 à 14:39
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Ce charabia de novlangue devient de plus en plus insupportable, pour les plus anciens du moins. Mais ça passe très bien en revanche chez les jeunes, biberonnés au mondialisme et à la médiocrité, notamment à Sciences Po et l'Ena .

à écrit le 18/05/2021 à 13:26
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quand on empile trop de novlangue........ je veux pas etre mechant mais ca existe deja au niveau de certaines methodes lean ( muda muri et consors c'est ' ecolo' a la base) allez les enfants, on va lancer un one piece flow rse, dans un grand cadre ...

à écrit le 18/05/2021 à 9:26
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RSE = Resp SOCIALE et Environnementale Avez vous vu un seul objectif social dans ce baraguinage technico-commercial capitaliste? Le mot "social" n'apparaît pas, le concept pas plus! Le champ lexical est celui du management, du capitalisme et de son...

à écrit le 18/05/2021 à 8:52
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"Il faut assurer le passage d'une RSE corporate à une RSE de la conduite du changement". Moi, je crois que le changement se réalise par des actes et non par des idées fumeuses.

à écrit le 18/05/2021 à 8:43
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Et l'activité agro-industrielle ? Vous avez pas l'impression qu'encore une fois on se moque des entreprises tandis qu'on amnistie tacitement le secteur le plus destructeur de l'écosystème et la vie sur terre ? Par ailleurs, la Chine, première puisssa...

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