« Il faut normaliser la politique monétaire, avec du gradualisme », Natacha Valla

ENTRETIEN. Guerre en Ukraine, inflation, politique monétaire, productivité, télétravail...la présidente du conseil national de la productivité (CNP), une instance de France Stratégie rattachée à Matignon, Natacha Valla estime que le conflit et le choc énergétique vont entraîner "une hausse de l'inflation importante et plus durable en Europe". Cette économiste (et ex directrice adjointe à la Banque centrale européenne) livre également les grands enseignements du dernier rapport de France Stratégie.
Grégoire Normand
Natacha Valla est doyenne de l’École de Management et d’Innovation à Sciences Po. Elle a été directrice générale adjointe pour la politique monétaire à la BCE jusqu'en 2020.
Natacha Valla est doyenne de l’École de Management et d’Innovation à Sciences Po. Elle a été directrice générale adjointe pour la politique monétaire à la BCE jusqu'en 2020. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Quelles sont les répercussions de la guerre en Ukraine sur l'économie en Europe et en France en particulier ?

NATACHA VALLA - Ce conflit a mis en lumière les vulnérabilités de certains pays exportateurs. Des pays en Afrique et en Asie sont très dépendants de l'Ukraine. Cette guerre va déboucher sur des situations dramatiques en termes de ruptures des chaînes de valeur et du commerce international sur des biens essentiels de la vie.

C'est certainement moins le cas pour la France en matière d'approvisionnement énergétique et d'approvisionnement agricole. En Europe, la France est exposée mais sur des aspects moins vitaux à l'activité économique que certains de nos voisins comme l'Allemagne ou l'Italie du point de vue énergétique.

Quel regard portez-vous sur l'envolée des prix et la réaction de la Banque centrale européenne ?

Au-delà des conséquences géopolitiques et humaines majeures, la première répercussion de cette guerre concerne l'inflation et la hausse de l'indice général des prix. Sur l'inflation, cette guerre est arrivée à un moment où l'activité économique redémarrait vraiment en Europe. Aux États-Unis, l'inflation était liée en partie à des facteurs de demande. En Europe, la guerre et le choc énergétique vont entraîner une hausse de l'inflation importante et plus durable. Ce qui rend la situation très compliquée pour la Banque centrale européenne.

La Banque centrale doit réagir pour faire face à cette inflation. Cependant, ces réactions interviennent à un moment où la croissance ralentit. Le choc d'offre s'est abattu en Europe avant même que la demande ait pu vraiment reprendre sur une dynamique solide. Il faut normaliser la politique monétaire mais avec du gradualisme.

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Quels sont les principaux enseignements du dernier rapport du conseil national de la productivité ?

La principale conclusion est que face à la crise sanitaire, la France s'en est relativement bien tirée par rapport à ses voisins. La France est l'un des premiers pays à rattraper son niveau d'activité économique d'avant crise en Europe.

En matière d'emploi et de chômage, il y a une amélioration par rapport à la situation antérieure à la crise. Le pouvoir d'achat a plutôt bien résisté si l'on compare la France à la situation des autres pays.

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La pandémie a précipité la mise en œuvre du télétravail dans un grand nombre d'entreprises. Deux ans après le début de la crise sanitaire, quel bilan tirez-vous de cette pratique en France ?

Cette pratique s'est largement développée en France comme ailleurs en Europe. Il y a eu une mise en œuvre inattendue en 2020 mais cette pratique est maintenant bien ancrée. Il y a eu des effets positifs et négatifs sur la productivité. Ce qui a le plus d'impact positif pour les entreprises est la baisse de l'utilisation des bureaux et du foncier. La baisse des coûts pour les entreprises est un facteur essentiel pour la productivité. Du point de vue des travailleurs, la diminution des temps de trajet fait partie des facteurs majeurs de productivité. Le télétravail peut augmenter le bien-être au travail et le temps de travail par rapport au temps de mobilisation.

Du côté des facteurs négatifs, ils sont plutôt liés à des questions d'organisation du travail. Tous les flux d'information informels dans les services peuvent en pâtir. Les nouvelles modalités d'organisation sont encore à améliorer. Dans le rapport, on s'interroge encore sur la balance entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs. Il y a encore un point optimal à trouver. ll doit être propre à chaque entreprise plus qu'à chaque secteur. Les travaux de l'OCDE recommandent entre deux et trois jours par semaine de télétravail.

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Quel est le rôle des compétences dans le ralentissement de la productivité des entreprises ?

Près de la moitié du ralentissement de la productivité en France par rapport à nos voisins s'explique par une moindre croissance du capital humain. La France est meilleure que l'Allemagne en termes de taux de croissance mais cela ne permet pas de rattraper le retard déjà accumulé.

Le système d'éducation, de formation professionnelle et de formation continue peuvent très bien former mais s'il y a un management de mauvaise qualité ou s'il y a un déficit de technologies qui permettent au personnel d'être plus productif, la productivité sera moindre. L'amélioration de la qualité de l'éducation peut permettre des gains de productivité. La France est largement en deçà des pays nordiques sur ce point.

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Quels rôles les facteurs humains peuvent-ils jouer en termes de productivité ?

Les facteurs humains peuvent expliquer 40% des écarts de capacité à innover entre les entreprises. Plus il y a de managers dans les entreprises, plus la productivité est élevée. Ce qui ne veut pas dire que la structure soit forcément plus hiérarchique. La combinaison des compétences des salariés et celles des managers expliquent environ 20% des écarts de productivité. Il doit y avoir une complémentarité entre les compétences des salariés et celles des managers.

Sur les 40% précités, une partie de la productivité peut s'expliquer par la diversité culturelle des salariés, des managers et de la diversité genrée. Ce qui est intéressant à noter est que l'amélioration du niveau d'éducation des femmes dans les pays européens est ce qui a le plus contribué à la croissance de la productivité en Europe. Ces facteurs, qui auparavant étaient traités comme de simples éléments de contexte général, ont de plus en plus vocation a être considérés comme des éléments décisifs pour la performance économique d'une entreprise, voire d'un pays.

Le conseil national de la productivité consacre un chapitre aux soft skills. À quoi correspondent ces compétences ? En quoi sont-elles des facteurs de gains de productivité ?

Les soft skills correspondent à des compétences humaines. Elles font référence à des comportements en groupe, des comportements cognitifs, aux capacités à communiquer par exemple. Elles peuvent expliquer une grande partie de l'innovation et de la transformation des entreprises.

Les hard skills, c'est-à dire les compétences professionnelles « dures » ne représentent qu'une partie minoritaire des capacités d'innovation et de transformation des entreprises. C'est important pour comprendre la répartition de la valeur ajoutée dans les entreprises.

Pourquoi la France est-elle devenue moins compétitive ces dernières années ?

Sur la compétitivité, la France n'est pas très bien placée. La balance commerciale est très déficitaire, en particulier pour les biens manufacturés. Dans l'industrie, la dégradation est endémique. Cette dégradation s'explique par une désindustrialisation du pays. C'est plus lié à la délocalisation des entreprises françaises qu'à la moindre attractivité du pays pour les entreprises étrangères. L'emploi des filiales des entreprises françaises à l'étranger est largement plus fort en France qu'en Allemagne.

Parmi les entreprises exportatrices industrielles, beaucoup ont une grande part de leur personnel à l'étranger. Il faut donner des incitations pour faire venir les entreprises étrangères en France mais aussi donner des incitations à nos propres groupes pour réindustrialiser.

Dans un exercice de simulation, nous avons observé que si la France baissait le coût du travail de 10%, il y aurait une hausse des investissements productifs reçus par la France de 10%. Si la France alignait ses impôts de production à la moyenne européenne, on pourrait avoir une hausse de 17% des créations de nouveaux sites de production dans le pays. Si la France harmonisait son taux d'imposition sur les sociétés à la moyenne européenne, il y aurait nettement plus d'implantations de sièges sociaux sur le territoire. En revanche, la France est mieux placée que ses voisins sur les activités de recherche et développement dans les entreprises. Si la France s'alignait sur la fiscalité moyenne en Europe, elle accueillerait moins de centres de recherche.

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Grégoire Normand
Commentaires 5
à écrit le 18/05/2022 à 9:58
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Et il faut bien un grand sourire de la sorte pour faire passer une phrase aussi indigeste.

à écrit le 18/05/2022 à 8:20
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Il est toujours intéressant de regarder le parcours des 'penseurs'.....

à écrit le 17/05/2022 à 15:59
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Comme l'économie est au service de l'homme et non le contraire, la monnaie est du même acabit!

le 17/05/2022 à 17:12
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fond de tiroir ! le retour du contrôle des deux roues pour l automne. ,? juste les trottinettes électrique je suppose

à écrit le 17/05/2022 à 15:56
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La monnaie est un domaine virtuel où l'on veut faire entrer tout ce qu'il y a de plus concret! La monnaie est un "moyen" d'autre veulent en faire un "but"!

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