Indemnisation, bonus/malus... : les enjeux de la réforme de l'assurance chômage

L'acte II des réformes sociales s'est ouvert ce 17 octobre avec le début des rencontres entre le Premier ministre et les organisations patronales et syndicales. Sur la table les chantiers de la formation professionnelle, de l'apprentissage et, surtout, de l'assurance chômage. Les esprits commencent déjà à s’échauffer sur ce dossier.
Jean-Christophe Chanut
Montant de l'indemnisation des demandeurs d'emplois, instauration d'un bonus/malus sur les cotisations patronales en fonction de leur comportement face aux "contrats courts", financement des allocations... Gouvernement et organisations patronales et syndicales ouvrent le très délicat dossier de l'assurance chômage, l'un des chantiers de l'Acte II des réformes sociales voulues par Macron.

Après les ordonnances sur le droit du travail, l'acte II des réformes sociales voulues par Emmanuel Macron s'ouvre très concrètement avec les rencontres bilatérales organisées par le Premier ministre avec chacune des organisations patronales et syndicales. Au menu de ce dialogue qui se tiendra jusqu'au jeudi 19 octobre : la réforme de l'assurance chômage, celles de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

Sur ces trois thèmes, la méthode pour mener la réforme sera différente, comme l'a expliqué Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, à sa sortie de Matignon. Sur la formation professionnelle, il s'agira d'une négociation « classique » entre les organisations patronales et syndicales. D'ailleurs, en septembre, lors du cinquantième anniversaire de l'Association des journalistes de l'information sociale (AJIS), la ministre du Travail, Muriel Penicaud - qui participe aux actuels entretiens de Matignon - avait déjà laissé entendre que cette voie serait utilisée. Selon Jean-Claude Mailly, un document d'orientation du gouvernement sera distribué aux partenaires sociaux "la première semaine de novembre".

Sur l'apprentissage, il s'agira d'une « concertation » entre le gouvernement et les partenaires sociaux lors de diverses rencontres bilatérales qui débuteraient fin octobre.

Enfin, sur le sujet le plus délicat, l'assurance chômage, le gouvernement a aussi opté pour une concertation. Mais celle-ci, notamment à la demande de la CFDT, sera précédée d'une réunion multilatérale entre toutes les parties - gouvernement, organisations syndicales et patronales - pour que tous les sujets qui inquiètent les partenaires sociaux, gestionnaires de l'assurance chômage actuellement, soient mis sur la table.

Ce n'est a priori qu'après cette réunion multilatérale que la méthode exacte pour réformer l'assurance chômage sera définitivement arrêtée. Quoi qu'il en soit, l'idée du gouvernement est de parvenir à rédiger un projet de loi pour le mois d'avril avec une adoption par le Parlement durant l'été et une entrée en application au plus tard le 1er janvier 2019.

Ouvrir l'assurance chômage aux démissionnaires : le "oui mais" de Macron

Tous les acteurs s'entendent à reconnaître que les difficultés vont se concentrer sur l'assurance chômage. Le candidat Macron à la présidentielle voulait revoir drastiquement les principes qui commandent le dispositif d'indemnisation du chômage. Depuis son élection, il a maintenu sa volonté de transformer le dispositif... tout en mettant un peu d'eau dans son vin.

D'abord, le président de la République ne veut plus réserver le bénéfice de l'assurance chômage aux seuls salariés involontairement privés d'emploi. Il préconise d'étendre le système au indépendants ainsi qu'aux salariés démissionnaires dans certaines conditions. Lors de son intervention sur TF1 dimanche 15 octobre, il a ainsi évoqué un droit à indemnisation pour les démissionnaires qui pourrait intervenir tous les « 5, 6, 7 ans », initialement il avait placé la barre à cinq ans. Ensuite, il a suggéré que ce droit à indemnisation soit réservé à des démissionnaires qui auraient « un projet »... ce n'était pas le cas avant. Il faut dire que des motivations financières poussent l'exécutif  à davantage de prudence.

Durant la campagne, les experts de l'équipe Macron estimaient à 1,5 milliard d'euros le coût de l'extension aux salariés démissionnaires et à 1 milliard celle aux indépendants. Depuis, le think tank Institut Montaigne a produit ses propres projections et estime que le coût serait plutôt de 2,7 milliards d'euros pour l'accès au régime des démissionnaires et 2,1 milliards pour les indépendants. Et, dernièrement, des montants proches d'un total de... 14 milliards ont même été avancés, des données réfutées par la ministre du Travail.

En fait, tout est une question de place des curseurs. En tout état de cause, les finances de l'Unedic sont loin d'être reluisantes avec un « trou » annuel qui dépasse les 3 milliards d'euros et une dette cumulée de 35 milliards d'euros, soit une année de cotisations, aussi, si l'indemnisation du chômage était étendue, il faudrait bien trouver de nouveaux financements.

Pour Pierre Gattaz, ceci est même indispensable sinon : « il ne faut pas intégrer les démissionnaires et les indépendants si cela déstabilise le système ».

Pas de baisse de l'indemnisation chômage?

D'autant plus que, toujours d'après Jean-Claude Mailly :

"Le Premier ministre m'a confirmé ce qu'a dit le président de la République la semaine dernière : il n'y a pas de diminution de droits à indemnisation des demandeurs d'emploi".

Une précision très importante car il s'agit là d'une des craintes de l'ensemble des syndicats : une baisse du niveau de l'indemnisation. La suppression de la cotisation salariale (2,4%) à l'assurance chômage prévue dans le projet de loi de finances pour 2018, les a d'ailleurs confortés dans cette crainte. Laurent Berger (CFDT) craignait que l'on glisse ainsi d'un régime assurantiel - un salarié au chômage perçoit une indemnisation en fonction des montants qu'il a cotisés, dans la limite d'un plafond - vers un système universel où chacun perçoit grosso modo le même montant.

A cet égard, le Medef a ressorti de ses cartons un projet remontant au début des années 2000. Il préconise d'instituer un dispositif d'indemnisation du chômage à deux étages. Le premier, financé par un impôt existant, aurait vocation à assurer une allocation universelle, elle concernerait tous les travailleurs quel que soit leur statut : indépendant, salarié, etc.

En revanche, un deuxième étage, la « vraie » assurance chômage, financé par les cotisations salariales et patronales, permettrait le versement d'une indemnité complémentaire aux seuls salariés. Et, éventuellement, rien n'empêcherait un salarié qui le souhaite - et qui en a les moyens - de souscrire une assurance chômage « surcomplémentaire » individuelle... On retrouverait ainsi le schéma en vigueur pour les retraites...

Vers un bonus/malus sur les cotisations patronales ?

Autre point en débat : l'idée d'Emmanuel Macron d'instituer un bonus/malus sur les cotisations chômage des entreprises en fonction de leur comportement devant l'emploi. En d'autres termes, qu'il s'agisse de CDD ou de CDI, plus un salarié quitterait involontairement l'entreprise rapidement, plus la cotisation patronale serait élevée. Un document de travail, révélé par le quotidien Les Echos, suggérait ainsi de faire varier la cotisation patronale entre 2% et 10%.

Cette idée avait déjà été avancée par plusieurs syndicats - FO, CFDT, CFTC- lors de la négociation de la dernière convention d'assurance chômage en début d'année. Elle s'inspire aussi des travaux des économistes Pierre Cahuc et Corine Prost qui, dans une note publiée sous l'égide du Conseil d'analyse économique, préconisent que chaque entreprise devrait disposer d'un compte qui enregistre ses cotisations et les sommes versées aux demandeurs d'emploi provenant de cette entreprise. Le taux de cotisation serait alors modulé selon le solde du compte : il croît lorsque le rapport entre les cotisations et les sommes versées diminue, et inversement.

Pour les auteurs, ce système aurait le mérite de responsabiliser les entreprises en modulant les cotisations patronales à l'assurance chômage en fonction du coût induit par l'entreprise pour l'assurance chômage. En effet, ils constatent que :

« Lorsque les cotisations pour l'assurance chômage ne dépendent que du salaire, les entreprises qui utilisent beaucoup d'emplois courts infligent un coût à l'assurance chômage, parce qu'elles cotisent peu par rapport aux dépenses qu'elles génèrent du fait des indemnités versées à leurs salariés devenus demandeurs d'emploi ».

A la lecture des données fournies par l'Unedic, on comprend combien la question des contrats courts est centrale. La moitié des chômeurs indemnisés a pour origine la perte d'un emploi à durée limité : les fins de CDD représentant 39% des inscrits et les fins de missions d'intérim 11%. Et preuve qu'il s'agit surtout de contrats très courts, 41% des personnes indemnisées après une fin de CDD ont moins d'un an d'indemnisation. Pour l'intérim, elles sont 57%.

Les données financières sont également très parlantes. En 2015, la différence entre allocations versées et contributions perçues par l'Unedic pour les CDI est... positive : il y a eu 18,892 milliards d'euros versés en allocations pour 29,28 milliards d'euros de cotisations perçues, soit un solde positif de 10,39 milliards. A l'inverse, pour les CDD, 8,88 milliards d'allocations ont été versées, alors que seulement 2,66 milliards ont été perçus, soit un trou de 6,22 milliards d'euros. Ou, dit autrement, un ratio négatif de 3,3... Et le même constat prévaut pour l'intérim qui enregistre un solde négatif de 1,78 milliard d'euros...

Le "niet" du Medef

Pour autant, Pierre Gattaz ne veut pas entendre parler d'un tel système de bonus/malus. Devant la presse, ce 17 octobre, il a estimé que:

"Tout système qui vise à taxer des contrats courts, qui stigmatise certains types de contrats ou d'entreprises, est une absurdité(...). Le recours à des contrats très courts correspond parfois à des métiers ou des situations spécifiques",

Le président du Medef a pris pour exemple l'organisation l'an dernier de l'Euro 2016 de football ou celle des Jeux Olympiques en 2024, des événements qui nécessitent l'embauche de personnes en CDD ou en intérim. Certes, mais on peut imaginer que le gouvernement a déjà songé, dans son projet, à tenir compte de ces cas très spécifiques d'emplois à très court terme « par nature » (les saisonniers par exemple) et que ceux-ci ne seraient évidemment pas visés par une éventuelle surcotisation chômage...

Le président du Medef a également rappelé que la taxation des contrats courts avait été mise en place en 2013 et il a affirmé que c'était un système qui ne fonctionnait pas.

"Ce système n'a pas augmenté le nombre de CDI", a-t-il dit, mettant en garde contre "un basculement vers l'économie informelle" et un "recours accru" au régime des autoentrepreneurs.

Certes, le président du Medef n'a pas tort. En 2013, la taxation supplémentaire de certains CDD, n'a permis à l'Unedic d'engranger qu'environ 100 millions d'euros supplémentaires...Mais, force est de reconnaître qu'en réalité, très peu de contrats courts étaient concernés par cette taxation. Et dans la dernière convention d'avril 2017, les règles ont déjà été revues.

Le recours au CDI facilité par les ordonnances

En outre, le gouvernement compte arguer que la situation a changé depuis la publication des ordonnances réformant le code du Travail. De fait, ces textes ont facilité et sécurisé les règles relatives aux licenciements. Ils ont aussi institué un plancher et un plafond des indemnités prud'homales.

Le Premier ministre et la ministre du Travail auront donc beau jeu de rappeler au Medef qu'ils ont accédé à plusieurs de ses demandes en donnant une « visibilité » aux entreprises en cas de rupture d'un CDI... Dans ces conditions, la « peur » de l'embauche en contrat à durée indéterminée ne se justifie plus et le recours systématique au CDD n'a alors plus lieu d'être. Un argument qu'à déjà réfuté Pierre Gattaz :

« Ne cassons pas la confiance naissante des entreprises avec cette histoire de taxation des contrats courts ».

En tout état de cause, tactiquement, c'est bien joué de la part du gouvernement. Avec, ce potentiel bonus/malus, il met l'ensemble des syndicats de son côté... Avec sans doute l'espoir de leur faire avaler plus facilement quelques couleuvres...

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Jean-Christophe Chanut
Commentaires 13
à écrit le 18/10/2017 à 13:59
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Le système d’assurance chômage n’est pas adapté aux modes de travail actuels. Il est toujours basé sur l’hypothétique retour de la croissance, de l’emploi et sur une stabilité du salariat qui n’existe plus que dans la fonction publique. De nos jours ...

à écrit le 18/10/2017 à 13:12
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Je pense qu'il aurait fallu se concentrer sur une baisse du coût du CDI entre 1 et 2 SMIC (pour 1 SMIC l'argent dépensé par l'entreprise doit être égal à l'argent touché par le travailleur après prélèvements obligatoires) en continuant de charger les...

à écrit le 18/10/2017 à 12:56
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avant de créer une nouvelle usine à gaz avec les démissionnaires il faut resoudre celle des intermittents !!!!!!!!

à écrit le 18/10/2017 à 12:14
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L'essentiel c'est que les salariés cotisent mais n'aient pas d'indemnités et donc aucun motif de s'inscrire comme demandeur d'emploi afin de les pousser au travail "au black"!

à écrit le 18/10/2017 à 11:42
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B A A RAISON 88 MILLIARDS DE NICHE FICALE CELA FAIS BEAUCOUP SURTOUT SI ONT RAJOUTE 80 MILLIARDS DEVATION FISCALE???

à écrit le 18/10/2017 à 11:42
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B A A RAISON 88MILLIARD DE NICHE FICALE CELA FAS BEAUCOUP SURTOUT SI ONT RAJOUTE 80MILLIARDS DEVATION FISCALE???

à écrit le 18/10/2017 à 7:09
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On a voté pour des réformes et maintenant on voit que c’est les syndicats qui vont imposer leurs idées Un jour on aura un Trump

le 03/11/2017 à 11:00
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Ce serait peut être à souhaiter

à écrit le 17/10/2017 à 23:15
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L'impact est très simple pour les plus pauvres, c'est un peu plus de restriction et de serrage de ceinture. Ils sont entrain de faire le coup de leur donner assez pour survivre mais pas assez pour s'enfuir.

le 18/10/2017 à 7:05
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Exactement ce que je pensais et je ne l'aurais pas mieux formulé. Enfin, à l'issue du mandat il nous dira qu'il avait promis de donner le droit aux salariés de démissionner comme promis lors de son élection... même si dans les faits ce sera inapplica...

à écrit le 17/10/2017 à 20:41
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Ce n'est pas aux retraités ni aux fonctionnaires a payer cette assurance chômage. Il y a d'autres solutions , taxer les flux financiers, supprimer certaines niches fiscales et ne pas faire un cadeau de 5 milliards d'euros aux actionnaires sans auc...

le 17/10/2017 à 21:07
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ni aux fonctionnaires a payer cette assurance chômage. Les fonctionnaires bénéficient d'un emploie stable ( a vie ) ... Il est peut être normal de faire payer les personnes qui ne seront jamais au chômage l'assurance chômage ... Si personne ne veut...

le 18/10/2017 à 11:01
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Il y a 88 milliards de manque à gagner pour l'état via les niches fiscales. 88 milliards d'exonération (IR 79) , de quoi largement éviter cette hausse de la CSG en en supprimant quelques unes..

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