« La démarche de décentralisation s'est essoufflée », regrette Pierre Moscovici

Lors de la présentation de son rapport annuel, ce 10 mars, le premier président de la Cour des Comptes vient de présenter un bilan des 40 années de décentralisation. Les "Sages" de la rue Cambon la jugent « inaboutie » et préconisent, notamment, de mettre fin au « droit exclusif de l'Etat central de déterminer seul l'avenir ». Ancien élu local, passé par les gouvernements du président Hollande, Pierre Moscovici a critiqué le nombre de communes en France et a regretté que « nous [soyons] restés au milieu du gué ».
Pierre Moscovici est premier président de la Cour des Comptes depuis le 3 juin 2020.
Pierre Moscovici est premier président de la Cour des Comptes depuis le 3 juin 2020. (Crédits : Reuters)

C'était le 2 mars 1982, le projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, porté par le ministre de l'Intérieur Gaston Defferre, était promulgué par le président Mitterrand. Un texte révolutionnaire à trois titres, comme le rappelle Vie-publique.fr : il supprime la tutelle exercée par le préfet sur les collectivités territoriales, transfère la fonction exécutive départementale et régionale des préfets aux président(e)s de département et de région et surtout transforme les régions en collectivités territoriales de plein exercice (après avoir été des établissements publics).

Depuis quarante ans, il y a eu quasiment autant de lois que d'années. Dans la continuité de ce texte fondateur, les projets de loi se sont en effet multipliés, en 1983, en 1984, en 1999, en 2003, en 2004, en 2010, en 2014, en 2015, en 2019 et en 2022. Dans le cadre de la présentation de son rapport annuel 2023, la Cour des Comptes s'est penchée sur le bilan de ces quatre décennies de décentralisation, qu'elle juge « inaboutie ».

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Mettre fin au « droit exclusif de l'Etat central de déterminer seul l'avenir »

Sans surprise, il en ressort que tous ces textes « ont souffert d'hésitation, de renoncements et de retours en arrière », visant à « préserver l'équilibre des intérêts » de chaque catégorie de collectivité territoriale. Et ce alors que la décentralisation vise à « renforcer la démocratie locale par l'élection d'assemblées délibérantes », à rapprocher la décision politique du citoyen en mettant fin « au droit exclusif de l'Etat central de déterminer seul l'avenir (...) des populations locales » ou encore à améliorer l'efficacité de la gestion publique.

Sauf que la construction des collèges reste par exemple synonyme de « persistance d'inégalités fortes ». Certains conseils départementaux « disposent en effet de marges de manœuvre plus étroites, en raison de capacités financières plus faibles et d'une dynamique démographique » plus forte, relève la Cour des Comptes. Autre compétence liée aux départements : la prise en charge des allocataires du revenu de solidarité active (RSA). « Le délai moyen qui s'écoule entre l'accès à l'allocation et le début du parcours d'insertion atteint près de cinq mois », constate-t-elle.

D'ailleurs, les élus locaux concernés persistent, encore et toujours, à demander « une nouvelle étape de décentralisation ». Lors de la campagne présidentielle l'an dernier, l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des départements de France (ADF) et les Régions de France, réunies sous la bannière « Territoires unis » depuis 2018, ont appelé à « ouvrir des degrés de liberté dans notre Constitution », « appliquer le principe selon lequel s'il n'y a pas de responsabilités sans pouvoirs, il n'y a pas de pouvoir sans responsabilités », « rechercher le plus possible la coordination et la co-construction des politiques publiques" et à « conditionner la mise en œuvre de tout ce qui précède" de moyens financiers.

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Un regret sur le nombre de communes

Interrogé par La Tribune ce 10 mars 2023 sur sa vision de la décentralisation, le premier magistrat financier de France, Pierre Moscovici, l'a d'abord qualifiée de « mouvement historique qui a profondément transformé le paysage historique de la France ».

« Depuis les années 2010, nous constatons que nous avons été dans différentes directions. Nous avons commencé par renforcer le rôle des régions, en voulant qu'elles aient une action économique plus forte, avant de revenir dans la proximité avec le rôle des départements », a-t-il poursuivi, sans citer les lois sur la fusion des régions, les métropoles (MAPTAM) et NOTRé (organisation territoriale), portées par les gouvernements Valls et Ayrault auxquels il a appartenu jusqu'en novembre 2014.

L'ex-commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires a également regretté qu'« on n'[ait] pas supprimé beaucoup de communes alors qu'il en reste près de 35.000 dont la taille moyenne est de 2.000 habitants et qui n'ont pas les capacités d'investissement correspondantes ».

« Nous sommes restés au milieu du gué »

« Notre sentiment, c'est que nous sommes restés au milieu du gué. Nous avons plutôt empilé et créé des contradictions. La démarche de décentralisation, qui est hautement politique, s'est essoufflée », a enchaîné Pierre Moscovici.

La Cour des Comptes préconise donc la clarification et la simplification des compétences en désignant « très clairement » des chefs de file : les régions en matière économique et la proximité immédiate aux communes, notamment.

« La décentralisation, c'est un travail magnifique, un changement fondamental pour les Français mais aujourd'hui, elle est devenue peu lisible. La perception de son efficacité est moins forte qu'elle ne le fut, moins positive », a-t-il insisté.

Tant est si bien que « cela crée le désintérêt pour toutes les élections, y compris locales », a martelé le chef des « Sages » de la rue Cambon. Améliorer la performance et l'efficience de la dépense publique devra donc rimer à l'avenir avec « simplification, clarification, expérimentation et diversification », a conclu l'ex-président de la communauté d'agglomération du pays de Montbéliard (Doubs). Vaste programme...

Un constat qui n'a rien de neuf

En réalité, le constat que la décentralisation n'est pas aboutie, n'a rien de neuf. Dès 2019, le préfet Pierre-René Lemas, qui a commencé sa carrière administrativo-politique au cabinet de Gaston Defferre après le 2 mars 1982, esquisse une réponse dans son livre Des princes et des gens - Ce que gouverner veut dire.

« Ce combat-là n'est jamais vraiment gagné et si le mot décentralisation désigne un processus, c'est bien parce que c'est une réforme qui reste toujours à continuer », écrit l'ancien secrétaire général de l'Elysée de François Hollande (2012-2014).

« C'était l'idée même de Defferre : enclencher un processus qui, dans une démocratie ne pouvait se nourrir de lui-même pour s'approfondir et se développer dans le temps », ajoute l'ex-directeur général de la Caisse des Dépôts (2014-2017).

Commentaires 4
à écrit le 11/03/2023 à 13:17
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Nationalisation de la dette publique (e.g. SNCF) et régionalisation des emplois fictifs... un savoir-faire français!

à écrit le 11/03/2023 à 9:47
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Sachant que la décentralisation n'a pour but que de construire "la coalisation européenne" grâce a des entités plus restreintes et dociles..., ce n'est pas une grande perte !;-)

à écrit le 11/03/2023 à 9:14
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La France et ses lumieres. Le phare de la rue Cambon, mosco le roublard.

à écrit le 10/03/2023 à 19:28
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Dans ce rapport, la cour des comptes fait ressortir qu'en 40 ans, les communes avaient AUGMENTE le nombre de fonctionnaires de 700 000. C.à.d. une création de poste de 17500 par an. Voilà où passe nos taxes et impôts.

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