« La France est dans une situation inflammable », Pierre Boyer (économiste à Polytechnique)

ENTRETIEN - La flambée des prix des carburants et la stagnation des salaires risquent de raviver la contestation sociale en France. Pressés par l'inflation, de nombreux Français et syndicats vont battre le pavé ce vendredi pour réclamer des hausses de salaires. Spécialiste du consentement à l'impôt, l'économiste Pierre Boyer (Polytechnique) pointe le risque d'un embrasement à l'approche de l'hiver alors que les prix du carburant restent élevés.
Grégoire Normand
Pierre Boyer est professeur d'économie à l'école Polytechnique et directeur adjoint de l'institut des politiques publiques. Il a fait partie des nominés pour le prix du meilleur jeune économiste en 2023.
Pierre Boyer est professeur d'économie à l'école Polytechnique et directeur adjoint de l'institut des politiques publiques. Il a fait partie des nominés pour le prix du meilleur jeune économiste en 2023. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE -  Au moment de la présentation du budget 2024 fin septembre, le gouvernement a répété son mantra d'éviter toute hausse de la fiscalité. Pourtant, l'Etat s'apprête à augmenter les taxes sur le gazole non routier des agriculteurs, des entreprises du BTP. Les taxes sur le gaz devraient également augmenter l'année prochaine. Existe-t-il un risque d'embrasement social ?

PIERRE BOYER- La France est dans une situation inflammable. Les décideurs publics ont en tête ce risque d'embrasement. Ils prennent des mesures court-termistes pour permettre de passer ces moments difficiles. L'indexation du barème de l'impôt sur le revenu va clairement dans ce sens. Beaucoup de contribuables des classes moyennes peuvent potentiellement basculer dans l'impôt sur le revenu sans cette indexation. Ce qui pourrait générer du mécontentement. La dernière enquête du Conseil des prélèvements obligatoires montre que trois Français sur quatre pensent que le niveau général des impôts est trop élevé en France. Avec l'inflation, l'Etat doit prendre des mesures pour limiter ce choc sur les plus modestes.

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Sur le budget, il y a un enjeu clair sur la qualité de la dépense. La lutte contre le gaspillage de l'argent public peut avoir un effet vertueux sur les marges de manœuvre budgétaires et dans le même temps assurer aux Français que chaque euro collecté est utilisé à bon escient. Cela permet de mieux expliquer le niveau élevé des prélèvements obligatoires qui correspond à des besoins dans la santé,  l'éducation, la défense, la transition écologique et à la fin il est possible que cela favorise le consentement à l'impôt des citoyens.

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Le thème du ras-le-bol fiscal est régulièrement évoqué dans les débats. Dans le cadre vos missions au Conseil des prélèvements obligatoires, vous travaillez sur le baromètre de la perception des impôts. Beaucoup de Français expriment parfois leur mécontentement à l'égard des prélèvements. Pourtant, les citoyens dans leur immense majorité acceptent de payer leurs impôts. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

L'observation des révoltes fiscales récentes et débats houleux autour des questions fiscales suggèrent que les Français sont fâchés avec leurs impôts. Ce n'est cependant pas aussi simple. Il y a une acceptation de payer des impôts dans une société démocratique. C'est ce que l'on appelle le civisme fiscal et les Français pensent très majoritairement que payer ses impôts est un acte citoyen.

Les gens sont donc d'accord avec le principe de l'impôt mais ne sont pas forcément satisfaits du système fiscal actuel. Un citoyen peut par exemple penser que le système fiscal est profondément injuste car il ne redistribue pas assez des plus aisés vers les plus modestes. Et inversement, certains contribuables vont penser qu'il est trop redistributif. Aujourd'hui les Français payent donc leurs impôts même s'ils sont mécontents du système actuel.

La résistance à l'impôt s'explique-t-elle par une méfiance à l'égard des institutions ?

Dans la littérature académique, les déterminants du consentement à l'impôt reposent sur la perception de justice du système, la confiance dans les institutions qui dépensent l'argent public et le bon usage de la dépense publique. La connaissance du système et les caractères socio-démographiques (âge, revenu, géographie) sont également des déterminants. Si les gens ont plus de confiance dans les institutions qui dépensent l'argent public, le consentement sera plus élevé.

Comment faire pour améliorer le consentement à l'impôt ?

Il est difficile d'apporter à ce stade une réponse précise. D'après nos premiers résultats, il semble que l'Etat peut améliorer le consentement à l'impôt en expliquant les contrôles rigoureux qui sont appliqués sur les dépenses d'argent public. C'est une question importante pour les finances publiques et les décideurs. En cas de crise budgétaire, le ministre des Finances peut être amené à devoir demander à ses équipes quelles sont les options possibles pour que des hausses nécessaires soient acceptées. Pour l'instant, on n'a pas de réponse claire à ces questions.

Plusieurs commentateurs ont expliqué que la révolte des gilets jaunes était partie d'une hausse de la taxe sur les carburants. A l'époque, beaucoup ont été surpris par l'ampleur de la contestation. Avec le recul, comment expliquez-vous un tel mécontentement alors que les prix des carburants ces deux dernières années ont sans doute plus augmenté qu'à l'hiver 2018 ?

La hausse des prix des carburants a joué un rôle dans la mobilisation des gilets jaunes. Mais la baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires décidée a pu également contribuer à ce mouvement. Un de mes articles avec des collègues de l'École polytechnique a montré que les questions de mobilité étaient très importantes pour comprendre ce mouvement. Ce qui est moins évoqué est que les prix à la pompe changent au cours d'une même journée. Il est donc difficile de déterminer précisément le prix payé par un individu lorsqu'il est passé à la pompe et faire le lien avec son mécontentement.

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Avec la guerre en Ukraine et le retour de l'inflation, le sentiment d'injustice fiscale chez les Français est particulièrement sensible. Ce sentiment d'injustice est-il justifié selon vous ? Pour quelles raisons ?

On connaît les déterminants de l'opinion des gens sur ce qui est juste ou injuste en matière d'impôt. Le contexte peut également jouer un rôle. Les résultats à venir de la nouvelle vague du baromètre réalisé par le Conseil des prélèvements obligatoires pourront nous éclairer sur l'évolution du sentiment d'injustice.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 22
à écrit le 15/10/2023 à 12:41
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On peut s'étonner aussi du faible effort fait dans la simplification du mille-feuilles administratif. Au contraire, on a partout en France affaire à la multiplication des instances capables de lever l'impôt. Le grand Paris, les intercommunalités, la ...

le 16/10/2023 à 6:48
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Très bonne analyse. Sans oublier les bonnes rémunrations de ces agents recrutés chez les amis.

à écrit le 14/10/2023 à 12:51
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Il est tentant de faire le parallèle entre la France actuelle et l'Ancien Régime, le Président dans le rôle du Monarque, les retraités aisés nés autour de 1950 et le privé de connivence dans le rôle des aristocrates, la fonction publique dans le rôle...

à écrit le 14/10/2023 à 2:10
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Les rentiers du public qui ont déjà eu de grasses augmentations tolérantes en plus d'un gonflement des effectifs vont battre le pavé pendant que les prolos du prive voles sur leur dos auront droit à des augmentations d'impôts ! Qu'on taxe ces rentie...

le 14/10/2023 à 23:05
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L'état français obèse et totalitaire a le contrôle total de l'économie. Les entreprises et les contribuables français moyens sont à sa merci sans aucun contre pouvoir valable.

à écrit le 13/10/2023 à 20:05
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En ce moment, j'aurais plutôt surtout parlé de séparatisme et d'islamisme, ou aussi d'importation du conflit israelo-palestinien et de menace djihadiste. Mais bon, il est de bon ton de refuser de voir...

à écrit le 13/10/2023 à 13:37
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"Pressés par l'inflation, de nombreux Français et syndicats vont battre le pavé ce vendredi pour réclamer des hausses de salaires. " C'est pas le bon jour pour avoir des images à la TV en tout cas .

à écrit le 13/10/2023 à 13:32
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Une situation inflammable alors que l"essence est chère et qu'il ne faut pas la gaspiller ? Un comble! Mettre le feu quand il y a de moins en moins à brûler est une "ânerie " ou la folie d'un pyromane....la frontière est ténue 😬

à écrit le 13/10/2023 à 12:25
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Comment faire pour améliorer le consentement à l'impôt ? C'est pourtant très simple de donner une bonne réponse. Un million de fonctionnaires en moins dans les administrations, réduction du nombre d'élus comme promis et simplification du millefeuil...

le 13/10/2023 à 13:19
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@Raymond "L'ALIBI"de la préservation climatique ! L'alibi est une réalité. Que l'on constate que rien de tangible ne pourra être fait pour empêcher le changement climatique est une chose, mais nul ne peut nier que le changement climatique est là...à...

le 13/10/2023 à 14:26
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A ceci près que vous ne ferez pas d'un bureaucrate un ingénieur... Par contre, ça marche très bien dans le sens inverse et c'est même une question de survie en France car la tendance est à l'externalisation dans des entreprises où un ingénieur est "v...

le 13/10/2023 à 16:47
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Encore faudrait il une majorité des 3/5 du parlement (AN et Sénat) pour modifier le nombre d'élus et les places étant si bonnes, ils ne vont pas s'auto-éjecter

le 14/10/2023 à 11:10
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@Adieu BCE: Vous voulez appliquer la technique habituelle en redressement d'entreprise en difficulté. Je crois que le problème est autre; Clémenceau disait "semez des impôts, il pousse des fonctionnaires"; notre malheureux pays sème des impôts (il en...

à écrit le 13/10/2023 à 12:20
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Le peuple gronde, tandis que la sélection darwinienne s'opère à présent avec l'alibi de la préservation climatique! Après les nombreux prêches dans le désert des économistes hétérodoxes, puis suite aux rapports de l’OCDE et du FMI en 2014 et 2015, il...

à écrit le 13/10/2023 à 11:41
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C'est bien les économistes : M. Boyer nous prévoit une crise qui est déjà arrivée il y a cinq ans. Mais c'est pas grave : tout ce qui compte, c'est la rhétorique pour échauffer le bile des éternels râleurs tenants de la révolution en peau de lapin.

à écrit le 13/10/2023 à 11:34
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Les contestations sociales ne sont que le pendant des gouvernements qui échouent et cela a toujours été ainsi. Les Élites l'ont saisi très tôt, d'abord avec l'éducation de masse pour maintenir la foule à distance afin "de les empêcher de nous sauter ...

à écrit le 13/10/2023 à 11:17
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on a l'impression que l'auteur et le polytechnicien souhaitent un emballement, l'encouragent. alors que l'on pouvait lire hier dans l'autre quotidien économique que le pouvoir d'achat augmenterait de plus de 1% en 2023, après une hausse de 0,2% en 20...

le 13/10/2023 à 22:15
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Le gros problème, c'est que dans la plupart des pays de l'OCDE, la génération s'étant élevée pendant les 30 Glorieuse a usé du pouvoir de nuisance que lui conférait la démographie pour se comporter tel un individu venant s'empiffrer dans un restauran...

à écrit le 13/10/2023 à 10:45
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Comme d'habitude et cela dure depuis 65 ans les fonctionnaires et tous ceux qui vivent au crochet de l'état comme les médecins etc descendent dans la rue pour pleurnicher, râler jamais content, grèves à répétition, absentéisme culturel et de complais...

le 13/10/2023 à 19:55
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"La solution alignement sur le droit et contrat privé avec objectif, résultat et entretien annuel avec management du privé" Cela conduirait inévitablement à une radicalisation généralisée, la fonction publique tendant à devenir la seconde partie de c...

à écrit le 13/10/2023 à 10:30
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exemple payer des impots ok mais pas pour payer plus de 5000 € pour le coiffeur de Mme MACRON

à écrit le 13/10/2023 à 7:24
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Bonjour, ils est claire que la situation intérieure n'est pas simple... Hypocrisie de la Classe dirigeant, tentions intercommunautaire , et combles de tous action de certains groups de pression pour faire basculer notre pays dans un camps.... Oui...

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