Les ravages de la pandémie sur la population françaises sont colossaux. Selon la dernière livraison de l'Insee rendue publique ce mardi 19 janvier, l'espérance de vie a reculé de 0,4 an pour les femmes et de 0,5 an pour les hommes. Cette chute est deux fois plus importante que celle de 2015 (-0,3 an et -0,2 an) où la grippe hivernale avait fait de nombreuses victimes. L'espérance de vie à la naissance s'établit à 85,2 ans pour les femmes et à 79,2 ans pour les hommes. Lors d'une intervention devant la commission des affaires économiques au Sénat la semaine dernière, l'économiste Olivier Pastré tirait la sonnette d'alarme.
"Si on regarde l'histoire, il n'y a eu que cinq pandémies qui ont fait plus d'un million de morts. La peste antonine qui frappa Rome, la peste du Moyen-Age, et plus récemment la grippe espagnole, la grippe asiatique et la grippe de Hong-Kong. C'est une pandémie que nous avons tous les 400 ans. Nous allons être obligés de changer de paradigme."
Du point de vue économique, l'espérance de vie est rarement évoquée dans les débats contrairement à la croissance du PIB, la dette, les déficits ou le chômage. Elle demeure pourtant un indicateur primordial pour juger de l'état de bonne santé d'une population, surtout dans le contexte d'une pandémie mondiale qui a déjà fait près de deux millions de morts. Lors d'un entretien accordé à La Tribune au mois de décembre, l'économiste de Sciences-Po Paris et Stanford, Eloi Laurent, soutenait que l'espérance de vie devait devenir la boussole de nos sociétés.
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Hausse spectaculaire des décès
Sans surprise, la perte d'espérance de vie est liée à la hausse impressionnante des décès. Selon le chiffre retenu dans cette publication de l'Insee (chiffre arrêté à la mi-novembre), 658.000 personnes sont décédées l'année dernière. C'est 45.000 personnes de plus qu'en 2019, soit une hausse de 7,9%. Vendredi dernier, les statisticiens ont publié des chiffres encore plus récents qui montrent que 53.000 personnes de plus auraient perdu la vie l'année dernière. "C'est le niveau de décès le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale" a expliqué Sylvie Le Minez de l'Insee lors d'un point presse ce mardi matin. Les répercussions des deux vagues d'épidémie en France sur le nombre de morts sont particulièrement frappantes.
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Baisse importante des naissances
Sur le front des naissances, les chiffres sont également en berne. L'Insee a enregistré environ 740.000 naissances en 2020 contre 753.400 en 2019 et 758.000 en 2018. "On constate une baisse des naissances depuis 6 ans. En 2020, il y a eu environ 13.000 naissances de moins qu'en 2019. La part des femmes en âge de procréer dans la population française diminue en France depuis plusieurs décennies. En outre, le taux de fécondité baisse chez les femmes. Il est de 1,84. L'âge de la maternité atteint 30,8 ans en 2020 contre 29,3 en 2019" a déclaré Sylvie Le Minez. Le taux de fécondité était de 1,86 en 2019.
Sur le Vieux continent, l'Hexagone demeure sur la première place du podium pour le nombre de naissances par femme. En 2018, le taux de fécondité était d'environ 1,87 en France contre 1,76 en Suède et en Roumanie, et 1,75 en Irlande. A l'inverse, la situation est très préoccupante en Espagne, en Italie où les taux sont inférieurs à 1,3. En Allemagne, le nombre d'enfants demeure également très bas à environ 1,57. Ces chiffres illustrent une population vieillissante sur le continent européen. Ce qui pourrait poser à moyen terme un vrai problème de renouvellement des populations.
Un solde naturel au plus bas depuis 75 ans
Cette hausse historique de la mortalité et cette diminution des naissances ont eu des conséquences importantes sur le solde naturel de la France, c'est à dire la différence entre les naissances et les décès. ll était de 82.000 en 2020 contre 140.000 en 2019 et 148.900 en 2018. "Il s'agit du solde naturel le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les deux vagues de covid ont provoqué un excédent important des décès" a déclaré la statisticienne.
L'Espagne et l'Italie dans le rouge, l'Allemagne s'en tire mieux
Si le nombre de morts a augmenté dans la plupart des pays européens, la pandémie n'a pas frappé tous les Etat avec la même intensité. Les données présentées par l'Insee indiquent que l'Espagne a payé au prix fort les conséquences terribles de cette maladie infectieuse. Le surcroît de mortalité toute cause confondue lors de la première vague du printemps par rapport à la moyenne de la période 2016-2019 est d'environ +70% en Espagne, +47% en Italie, +43% en Belgique et au Royaume-Uni et 28% en France. A l'opposé, l'Allemagne s'en tire beaucoup mieux avec une hausse de seulement 4%.
Pour la seconde vague, les données sont encore provisoires. "La hausse des décès constatée en France depuis la mi-octobre, avec un pic au cours de la première semaine de novembre, est nettement plus accentuée en Belgique. Selon les données disponibles début décembre 2020 (Eurostat), le surplus de décès depuis début octobre jusqu'à la troisième semaine de novembre est le plus élevé en Belgique (42%), suivie de l'Espagne (26%) et de la France (22%) ; il est moindre au Royaume-Uni (11%) et limité en Allemagne (moins de 5%)" signale l'institut public. Evidemment, tous ces pics dépendent du moment d'arrivée du virus sur le territoire, sa vitesse de propagation, l'anticipation des autorités à mettre en oeuvre des mesures d'endiguement et les politiques sanitaires de chaque Etat. Il faut cependant noter que malgré l'expérience de la première vague, beaucoup de pays n'ont pas pu éviter un nombre de morts impressionnant à l'automne.
Les effets complexes à déterminer du confinement
Les mesures de confinement mises en oeuvre par les gouvernements ont suscité de nombreuses polémiques et débats au cours de l'année 2020. Sur le sujet du nombre de morts évités liés au confinement, il existe peu de chiffres pour l'instant. "C'est une question difficile à ce stade. Le confinement peut avoir permis d'avoir éviter un certain nombre de décès mais il va falloir attendre une analyse fine pour avoir des explications plus précises" a ajouté Sylvie Le Minez. En attendant, le gouvernement a clairement changé sa stratégie par rapport au printemps 2020 en adoptant des mesures de restriction plus progressives et plus ciblées sur certains secteurs économiques.