La réindustrialisation passe avant tout par les territoires

Qui dit industrie dit forcément foncier, puisqu’il faut de l’espace pour implanter des usines. En outre, pour réduire l’empreinte carbone, les nouvelles contraintes environnementales impliquent de la proximité. Mais chaque territoire devra coconstruire sa recette avec les acteurs locaux, en fonction de ses spécificités. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
« les territoires ont été assez peu mobilisés dans la construction du plan de relance et de France 2030, regrette Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et chercheuse associée à l'IAE de Poitiers.
« les territoires ont été assez peu mobilisés dans la construction du plan de relance et de France 2030, regrette Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et chercheuse associée à l'IAE de Poitiers. (Crédits : Istock)

Si Lucibel a choisi de s'implanter en 2014 à Barentin, en Seine-Maritime, ce n'est pas par hasard. La PME d'une cinquantaine de salariés, spécialisée dans le développement et la production de solutions LED innovantes, y a en effet repris, « à de très bonnes conditions », précise Frédéric Granotier, président-fondateur du groupe, une usine Schneider Electric vouée à la fermeture. Et c'est aussi parce qu'après la création de la société, en 2008, l'entrepreneur avait misé sur la Chine et implanté une usine à Shenzhen, en 2010. De déconvenues en vexations - du vol de brevets à celui de matériel en passant par le départ brutal de salariés « partis s'installer quasiment en face, pour nous faire concurrence », soupire-t-il -, il a finalement décidé de relocaliser la production. Mais en choisissant la France plutôt que l'Europe de l'Est ou le Maghreb, l'industriel a dû repenser les produits, pour en accroître la valeur ajoutée et compenser ainsi le coût de la main d'œuvre, plus élevé dans l'Hexagone. En outre, le made in France « est de plus en plus prisé par les consommateurs », se félicite-t-il, en évoquant en particulier son partenariat avec la maison Dior, pour un masque de beauté à base de LED, commercialisé depuis quelques mois. Frédéric Granotier a également su créer, autour de Lucibel, un écosystème de sous-traitants pouvant fournir divers matériaux et services dont son activité a besoin. Autant dire que la success-story normande a de quoi faire rêver nombre de territoires cherchant à se réindustrialiser...

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Mais si « c'est plus facile qu'on ne le croit », assure le patron de Lucibel, cela ne veut pas dire que la même stratégie peut être dupliquée partout... « L'un de nos messages, depuis quatre ans est qu'il n'y a pas de règle ni de recette, souligne Caroline Granier, cheffe de projet à l'institut de réflexion La Fabrique de l'industrie, membre de l'équipe coordinatrice des activités de l'Observatoire des Territoires d'industrie et auteure de Refaire de l'industrie un projet de territoire (2023). Chaque territoire a ses spécificités et son histoire. Cela peut être des conditions héritées de la géographie ou une tradition entrepreneuriale bien ancrée... » Ainsi, si l'Alsace jouit naturellement d'une situation privilégiée, au cœur de l'Europe, de la présence d'entreprises allemandes et du positionnement stratégique de ses industriels, très orienté vers les marchés internationaux, elle ne ressemble en rien à la région de Cognac, où l'industrie du cognac, incluant l'ensemble des activités liées - de l'agriculture à l'emballage, du cartonnage à la verrerie -, bénéficie depuis des années d'une dynamique économique favorable, avec des secteurs en fort développement (dont la production et la vente de cognac). Quant à Saint-Nazaire, les chantiers navals, mais aussi l'aéronautique et d'autres industries d'assemblage de produits de grande dimension présentes sur place, y profitent, en plus de la proximité du port, d'acteurs particulièrement attachés à l'industrie locale. « Si rien n'est immuable, certains territoires devront faire plus d'efforts que d'autres », poursuit Caroline Granier.

Les uns, comme la Vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, ont su, malgré les crises, garder leurs industries. Les autres, telle la Vendée, et, au-delà de ce département, la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres voisines, à l'industrie très diversifiée, sont progressivement montés en gamme, pour afficher aujourd'hui, en particulier pour la communauté de communes du Pays des Herbiers (Vendée), une croissance industrielle en plein essor et le plus faible taux de chômage de France, tandis que d'aucuns, à l'image des Hauts-de-France, auparavant sinistrés par la désindustrialisation, ont fait feu de tout bois pour attirer des industriels, au point d'accueillir, en 2022, plus de 200 projets d'investissement, principalement de la part d'entreprises étrangères, soit 50 % de plus qu'en 2021, avec à la clé près de 8 500 emplois créés ou maintenus. Enfin, certains territoires, du Grand Est à l'Occitanie, de la Normandie à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, misent désormais sur de nouvelles filières, comme la production d'hydrogène vert ou la chimie du végétal.

Une vision partagée

Le mot, en tout cas, est lancé : la réindustrialisation qu'ambitionne la France ne peut, en fait, que passer par les territoires, ne serait-ce que parce qu'il faut du terrain pour implanter une usine, mais aussi des infrastructures, comme des routes ou du rail, sans oublier les aspects humains... « Les ressources matérielles sont indispensables mais elles ne sont pas suffisantes, il faut des acteurs pour les activer, relève la spécialiste de La Fabrique de l'industrie. Et la clé du succès est bien le comportement de ces acteurs, un intangible qui fait la différence. » Comportement qui peut être empreint de contradictions... « Les élus comme les citoyens veulent tous de bons emplois industriels, mais lorsqu'il s'agit d'accueillir une usine près de chez eux, plus personne n'est d'accord ! », relève ainsi Nicolas Mayer-Rossignol, ingénieur des Mines et maire de Rouen. Autrement dit, pour que l'industrie soit un vrai projet de territoire, encore faut-il avoir d'abord une vision, partagée par tous, qui plus est. « Dans le cas de la Vallée de Seine, nous faisons de nos faiblesses des atouts », poursuit-il, en évoquant l'écosystème, à base, entre autres, d'énergies renouvelables maritimes, qui se met en place pour la décarbonation de l'industrie traditionnelle, particulièrement polluante sur la Seine.

La proximité, atout écologique

Et c'est sans doute l'autre mot d'ordre de la réindustrialisation des territoires : la transition écologique. Pour des raisons évidentes, cette mutation, qui se joue bien entendu au niveau de la planète, concerne aussi directement les territoires, puisqu'une proximité géographique des acteurs économiques - industriels, sous-traitants, clients - écourte par définition les distances, ce qui permet par là même de réduire l'empreinte carbone des activités due au transport. « Certains nouveaux modèles économiques qui intègrent les enjeux environnementaux peuvent s'appuyer sur les ressources locales tout en favorisant le développement du territoire », assure à cet égard Caroline Granier.

Entre les bonnes volontés locales et les contraintes, les territoires, chacun à sa manière, réussiront-ils à tirer leur épingle du jeu de la réindustrialisation souhaitée par l'État ?

En fait, « les territoires ont été assez peu mobilisés dans la construction du plan de relance et de France 2030, regrette Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et chercheuse associée à l'IAE de Poitiers. Certes, 100 millions d'euros vont être alloués au programme Territoires d'Industrie (la stratégie de reconquête industrielle par les territoires), dans le cadre de France 2030. Mais que représentent 100 millions d'euros face aux 54 milliards d'euros d'investissements du plan France 2030, déployés sur cinq ans ? Bien peu de choses, alors qu'on sait qu'il s'agit d'un maillon essentiel pour réindustrialiser la France. »

En revanche, dans le sillage de l'annonce du projet de loi sur l'industrie verte, La Gazette des communes, des départements et des régions se félicitait : « Cette fois, l'État ne pourra pas éviter les territoires. Restés dans l'antichambre du plan France 2030, ils auront forcément un mot à dire dans le projet de décarbonation de l'industrie hexagonale », écrivait-elle.

De fait, le texte inclut une trentaine de propositions, issues d'un travail de coconstruction avec les associations d'élus locaux, les fédérations industrielles, les entreprises, les acteurs de la formation et les organisations syndicales. Elles vont de la réhabilitation de friches industrielles à la transformation de la fiscalité en passant par la commande publique pour des produits verts. Les grandes lignes sont donc tracées pour ce que certains appellent l'alter-croissance. Les territoires n'ont plus qu'à agir...

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T16

Commentaires 3
à écrit le 02/10/2023 à 8:31
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"puisqu’il faut de l’espace pour implanter des usines." Tandis que votre illustration nous montre un splendide petit village français typique, perdu au milieu d'une vallée sans ces odieuses zones industrielles ou artisanales hein. Rajoutez les sur vo...

à écrit le 30/09/2023 à 20:58
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Faux pb vu que la france ne va pas se reindustrialiser, ce pays n'intéresse plus personne, vu la haine hypertolerante et la schizophrènie qui règnent! Après, le gars est allé en Chine la fleur au fusil, comme bcp de gens, et s'est fait plumer, pr...

le 01/10/2023 à 20:09
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A moins d'une reprise en main par l'Etat, c'est peu vraisemblable, vu que pour la droite française la "France éternelle" est celle d'avant la révolution industrielle...

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