« Les PME et les TPE ne doivent pas être les oubliées de la transition écologique » (Christophe Béchu et Olivia Grégoire)

GRAND ENTRETIEN- Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu et la ministre des PME Olivia Grégoire annoncent l'ouverture d'une plateforme afin d'aider les PME et les TPE dans leurs efforts de décarbonation. L'Etat compte associer les opérateurs (Ademe, BPIFrance) et les organismes consulaires (CCI, CMA) au lancement de ce portail numérique. Après l'épisode houleux du 49-3 sur la réforme des retraites, le gouvernement tente de reprendre la main avant une nouvelle journée de contestation prévue ce jeudi 6 avril partout en France.
Olivia Grégoire et Christophe Béchu.
Olivia Grégoire et Christophe Béchu. (Crédits : Gézelin Grée)

LA TRIBUNE- Alors que les mouvements de contestation contre la réforme des retraites se poursuivent, comment le gouvernement compte-t-il faire pour mener ces réformes et ces chantiers dans les prochains mois dans un contexte politique et social éruptif ?

Olivia Grégoire Le Président de la République n'a pas reçu de mandat pour rester immobile. Il a fixé un cap, celui de bâtir une France du plein emploi et de la réindustrialisation, avec notamment le plan France 2030, que nous voulons rendre encore plus accessible aux PME qui sont le poumon économique de notre pays. Les Français ont exprimé leur volonté lors des élections législatives : en choisissant une majorité relative, ils ont demandé des lois qui soient des lois de compromis, peut-être aussi moins de lois et mieux de lois.

Nous avons un lourd arsenal de dispositions législatives qui ne sont pas toutes appliquées, nous avons aussi de nombreuses possibilités réglementaires qui ne sont pas toutes utilisées. Nous allons redoubler nos efforts avec une boussole : améliorer le quotidien des français et faciliter la vie de nos entreprises.

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La multiplication des événements climatiques extrêmes pousse les entreprises à accélérer leur verdissement. En France, les grandes entreprises affichent leurs ambitions en présentant des plans de décarbonation mais les PME sont à la peine. Comment faire pour y remédier ?

Olivia Grégoire- Le ministère de la Transition écologique et Bercy vont travailler main dans la main pour rassembler l'ensemble des opérateurs (Ademe, BPIFrance, CCI et CMA) et des offres existantes sur une plateforme unique. Il s'agit de faire un site internet qui soit l'unique point d'entrée pour les TPE et les PME, qui représentent aujourd'hui 99% du tissu économique français. Très concrètement, ce site doit permettre à tout chef d'entreprise d'avoir une première réponse à ses questions sur les outils qui existent à son service pour enclencher ou accélérer sa transition écologique.

Christophe Béchu- La transition écologique ne se fera pas sans toutes les entreprises. L'objectif est de mettre en place une méthode pour faire en sorte que les PME et les TPE ne soient pas les oubliées de la transition écologique.

Justement, le gouvernement multiplie les annonces et les réformes ces derniers mois. Quels seraient la méthode et le calendrier de votre plan PME dans un agenda politique et parlementaire déjà très chargé ?

Olivia Grégoire- L'objectif des prochaines années est l'accompagnement des entreprises. Comment faire en sorte que les TPE et les PME sachent à quoi elles ont droit ? Nous devons répondre aux besoins des entrepreneurs et nous mettre à hauteur de PME. Il s'agit de ne pas raisonner à partir des offres existantes des opérateurs mais à partir des besoins des entrepreneurs.

Parfois, des TPME font un premier pas, puis se découragent devant l'ampleur des investissements à mener... ou des formulaires à remplir. Si elles peuvent identifier rapidement comment contacter un opérateur pertinent pour savoir quelles sont les pistes d'action concrètes, cela leur enlèvera une partie de la charge mentale. Pour ce qui est du calendrier, un point est prévu avec les opérateurs le 18 avril sur l'avancée de la plateforme. On vise une mise en ligne en fin d'année. Et on fait tout pour qu'il soit sur pied avant. Rendez-vous donc dans quelques mois sur le site mission transition-écologique .

Christophe Béchu - La transition écologique est un bouleversement. Il y a des changements de techniques, de technologies, de comportements chez les consommateurs. Il y a de nouvelles attentes dans les chaînes de valeur. Ces changements s'inscrivent dans la durée. Ce n'est pas une révolution, c'est une transition. Cela crée de la complexité. Le but est de ne pas ajouter de la complexité dans la vie des TPE et des PME.

Sur la méthode, la philosophie de ce plan est d'accompagner tous les patrons de TPE et PME dans la transition écologique en déportant la complexité vers l'Etat. Cette plateforme va nous permettre d'identifier les angles morts et les déceptions des TPE. Il s'agit de changer de logique, en passant d'une logique d'aide en silos, et de dispositifs dans lesquels c'est au patron d'aller faire la démarche, à un changement matriciel.

Où en sont les entreprises dans leur bilan énergétique ?

Olivier Grégoire- Selon une récente étude de CCI France, 75% des TPE et PME interrogées n'ont pas réalisé de bilan énergétique. Dans le même temps, certaines actions sont menées sur la mobilité ou le bâti mais pas de manière globale. 33% des TPE et PME ont commencé à moderniser leur flotte automobile et 43% ont modernisé leur système de chauffage ou de climatisation. La mobilité et le bâti sont les deux points sur lesquels les TPE et les PME doivent agir pour faire baisser leurs émissions car elles représentent les 2 principales sources d'émissions directes de CO2.

Seuls 13% des dirigeants de PME estiment pouvoir réduire leurs émissions de manière importante dans les cinq prochaines années. C'est le rôle de l'Etat de les accompagner. La volonté est là. Le plan de sobriété n'a fait que renforcer cette volonté et permis une réelle prise de conscience. Jusqu'en 2020, de nombreux entrepreneurs ne regardaient pas leurs factures d'énergie. Depuis 2021, beaucoup d'entrepreneurs ont compris que la consommation d'énergie des bâtiments ou de la flotte automobile étaient des facteurs de compétitivité.

La transition écologique doit-elle passer par une incitation économique pour les TPE et PME?

Olivia Grégoire - Jusqu'à la guerre en Ukraine et la crise énergétique, la conscience de devoir mener cette transition était moins prégnante. Beaucoup d'entrepreneurs ont pris conscience qu'en investissant, on peut faire évoluer ses pratiques.

Il y a aussi deux autres enjeux. Le premier est celui de la compétitivité. On demande de plus en plus aux PME d'établir des bilans carbone et des bilans énergétiques pour pouvoir rester dans des chaînes de sous-traitance. Il y a ensuite un enjeu d'attractivité. Le principal défi des TPE et PME actuellement est l'emploi et le recrutement. Aujourd'hui, pensez-vous qu'une PME peut être attractive si elle n'enclenche pas ces mutations profondes ?

Christophe Béchu- Les entrepreneurs sont des femmes et des hommes qui ont une conscience politique et écologique. L'année 2022 a été un accélérateur de prise de conscience. Les Français ont compris que le changement climatique était une réalité qui avait déjà des conséquences.

Le signal-prix envoie un message sur l'épuisement des ressources. La flambée des prix est la conséquence d'événements montrant la fragilité des modèles qui ne reposent pas sur des schémas souverains. Des milliers de patrons ont engagé des dispositifs accompagnés par l'Ademe et par la BPI mais il y a 4 millions de PME en France. Il faut un changement d'échelle.

Beaucoup de TPE et PME font souvent part de leurs difficultés pour bénéficier des aides. Les fédérations patronales dénoncent d'ailleurs un véritable « maquis ». L'Etat a-t-il prévu une stratégie pour simplifier cet accès ?

Olivia Grégoire- Dès mon arrivée à Bercy en juillet 2022, nous avons fait avec Bruno Le Maire un audit des aides existantes pour les TPE et les PME. Entre l'Ademe, Bpifrance, les CCI (chambres de commerce et d'industrie) et les CMA (chambres des métiers de l'artisanat), il existe 340 dispositifs de financement et une trentaine de types d'aides différents uniquement pour accompagner les entreprises. Nous avons désormais recensé les principaux outils dans deux guides publiés sur le site du ministère de l'économie. L'enjeu est de ranger l'intégralité de ces aides sur une porte d'entrée unique. Charge à l'Etat d'internaliser la complexité et de simplifier la tuyauterie.

Par exemple, il y a le diagnostic écoflux proposé par BpiFrance et par l'Ademe qui permet aux TPE et aux PME de les aider à mettre en place des plans de sobriété et faire des choix plus durables et économiques en matière d'énergie, d'eau ou de déchets.

Fin 2022, 1.250 entreprises avaient réalisé un diagnostic écoflux. Cela permet de générer des économies annuelles de 45.000 euros en moyenne. Ce diagnostic leur permet de diminuer de 17% leur consommation énergétique, leur consommation d'eau de 24% et leur production de déchets de 16%. Ce diagnostic permet beaucoup d'économies aux PME. Mais on doit accélérer, et vite. C'est l'objet de ce plan.

Cette stratégie centrée sur chaque entreprise individuelle va-t-elle permettre de décarboner l'économie dans un écosystème de production interdépendant ? Ne faut-il pas plutôt réfléchir en termes de filière ou de système industriel ?

Olivia Grégoire- Nous menons déjà un travail de filière à Bercy avec le ministre Roland Lescure sur l'industrie. Dans l'artisanat, nous faisons un travail de sensibilisation par l'intermédiaire des branches professionnelles sur tous ces sujets. Nous sommes en train de constituer des guides de la transition écologique à destination des métiers de la coiffure sur l'ensemble de la branche par exemple, ou encore des métiers de bouche.

Christophe Béchu- Cette stratégie est centrée sur la réalité de notre tissu économique. Si on décide de créer demain un plan par filière, il y a un risque d'amplifier le maquis. Ce que nous proposons est l'exact inverse. On doit partir d'une phase d'autodiagnostic. En renseignant leur fiche d'identité, les entreprises vont rapidement avoir accès à l'éventail des outils disponibles. On a fait le choix de la simplicité pour l'entrepreneur. Les connexions à la plateforme et les demandes d'intervention vont nous permettre de nous adapter derrière au niveau budgétaire.

Comment lutter contre le non recours aux aides chez les petites entreprises ?

Olivia Grégoire- C'est vrai qu'il y a un enjeu de non-recours aux aides chez les entreprises au même titre que les aides aux particuliers sur le plan social. L'entrepreneur ne se repose pas par nature sur les aides mais avant tout sur son chiffre d'affaires, sur son développement ou son recrutement. Il est parfois difficile pour un entrepreneur d'aller chercher des aides parce que ce n'est pas forcément dans leur état d'esprit et ils ne pensent pas y avoir droit. C'est à l'Etat de faciliter et simplifier au maximum les dispositifs.

Le tissu de 4 millions de PME et TPE est très hétérogène. Nous faisons un travail de titan avec les chambres consulaires pour aller ouvrir des portes chez ceux qui ne pensent pas à s'attaquer à la transition écologique. J'ai d'ores et déjà demandé aux CCI et aux CMA de contacter les 30.000 PMI. Le président de la République a annoncé une enveloppe d'un milliard d'euros pour accompagner la transition écologique de l'industrie française à destination des PMI. Il y a une vraie stratégie d'aller vers les entreprises qui n'auraient pas commencé leur transition. Dès que nous aurons simplifié l'usage de nos outils, j'entends aussi m'appuyer sur les réseaux bancaires et les experts comptables pour mieux les diffuser.

Cette stratégie fait penser au guichet unique mis en place pour les aides face aux factures d'électricité. Pourtant, peu d'entreprises ont eu recours à ce guichet basé sur le principe de la simplification défendu par le gouvernement.

Olivia Grégoire : Ce n'est pas vraiment la même logique car dans un cas c'est un guichet pour demander une aide spécifique alors que le portail que nous lançons est un point d'entrée pour être accompagné et trouver plus facilement chaussure à son pied parmi plein d'aides qui existent. Et pour répondre à votre question sur les aides énergie, je ne qualifierais pas des chiffres qui ne sont pas stabilisés. Toutes les factures ne sont pas arrivées.

A ce stade, près de 700.000 attestations ont été envoyées aux fournisseurs sur une estimation de 850.000 entreprises éligibles à l'amortisseur d'électricité, soit plus de 80%. On peut bien sûr aller au-delà, raison pour laquelle nous avons décalé de 3 mois le délai pour envoyer l'attestation, mais il faut souligner la mobilisation de tous les services de l'Etat, qui font un travail exceptionnel sur le terrain pour aller chercher une à une les entreprises concernées par ces aides. Nous continuons de suivre cela de près en lien avec le ministère de la transition énergétique.

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Certaines régions sont devenues pionnières en matière de développement du tissu économique. Comment comptez-vous travailler avec les collectivités pour accélérer le verdissement des TPME ?

Olivia Grégoire : On observe en effet que beaucoup de régions viennent compléter, renforcer et financer l'accompagnement de leurs TPME aux côtés de l'Etat. On travaille donc main dans la main avec celles-ci, notamment avec les plus en tête de file, comme la région PACA. Pour la mise en œuvre de la plateforme, on va d'ailleurs embarquer les régions dans ces travaux. Elles seront aussi présentes, je l'espère, pour accompagner à un second niveau les TPME en plus des opérateurs nationaux, avec leurs propres offres. On proposera en tout cas à celles qui le souhaitent de pouvoir réagir sur la plateforme.

Le gouvernement veut-il conditionner certaines aides au verdissement des TPME ?

Christophe Béchu : Je pense que le sens de l'histoire est que, globalement, l'argent public se portera sur les dépenses vertes, et plus sur les dépenses brunes, peu importe le ministère. Ensuite, on sait bien que le type de conditionnalité dépend des sujets dont on parle, de la taille de l'entreprise et de la crédibilité du dispositif. Sur le diagnostic, clairement, on n'est pas dans cette logique de conditionnalité.

Olivia Grégoire : J'estime à ce stade que les débats sur la conditionnalité sont un peu conceptuels. Même si c'est un sujet auquel le gouvernement réfléchit, il s'agira donc d'un travail de longue haleine. Dans tous les cas, il faut rester sur des dispositifs simples pour les TPE et PME.

La transition sera-t-elle vraiment compatible avec l'objectif de réduction du déficit public ?

Christophe Béchu : Oui, car ce sera un moteur de croissance, laquelle sera génératrice d'emplois, de richesse et de valeur ajoutée. D'ailleurs, le financement de la transition n'est pas seulement une question d'argent public. Dans les montants que l'on présente, une part doit bien sûr faire l'objet d'un financement par l'Etat. Néanmoins, il y a aussi une part d'argent privé, avec une quantité d'investissement qui sont rentables budgétairement, voire qui génèrent des opportunités.

Par exemple, pour la rénovation énergétique des bâtiments, la hausse des prix de l'énergie que l'on observe actuellement rend le retour sur investissement d'un certain nombre d'opérations beaucoup plus rapide. Autre exemple : avec la fin de la vaisselle jetable dans la restauration rapide au 1er janvier 2023, McDonald's s'est tourné vers une entreprise française basée à Besançon pour se fournir en vaisselle lavable. Il s'agit là d'une opportunité de création de valeur ajoutée, d'emplois et de savoir-faire dans le pays. Preuve qu'en étant à la pointe de ces sujets de transition, on peut aussi redonner de la croissance et des perspectives.

Olivia Grégoire : Incontestablement, cela supposera néanmoins des arbitrages. D'où l'intérêt de la revue de dépense que nous avons engagée avec Bruno Le Maire. Il y a des dépenses sur lesquelles il va falloir qu'on se questionne pour financer au mieux cette transition.

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Christophe Béchu, vous avez récemment appelé « à préparer notre pays à 4°C » de réchauffement climatique. Dans son rapport de synthèse publié lundi, le Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) prévoit d'ailleurs un réchauffement à environ +3°C s'il n'y a pas d'inflexion des politiques actuelles. Comment vous préparez-vous à de tels scénarios ?

Christophe Béchu : En effet, les experts du Giec tablent sur +2,8°C à +3,2°C à l'échelle mondiale d'ici à la fin du siècle s'il n'y a pas de modification des politiques, au lieu des +1,5°C à +2°C ciblés par l'Accord de Paris. Or, +2,8°C en moyenne sur la planète, cela signifie +4°C sur les terres. Il faut donc regarder le monde pas seulement tel qu'on a envie qu'il soit, mais tel qu'il risque d'être s'il n'y a pas de réaction de l'humanité à la hauteur du défi.

C'est pourquoi nous avons un plan national d'adaptation au changement climatique, qui devait de toute façon être révisé en 2023. La nouveauté, c'est qu'on compte y écrire noir sur blanc une trajectoire d'un monde qui se réchauffe à +3°C. Le ministère de la Transition écologique présentera ce travail fin avril, et y associera le monde économique. Y seront abordés, par exemple, les enjeux très importants dans le secteur des assurances, sur les niveaux d'indemnisation avec la multiplication des catastrophes naturelles.

Propos recueillis par Grégoire Normand et Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 05/04/2023 à 7:05
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Il n'y a aucune transition écologique. Juste un blabla justificatif pour faire du greenwashing à peu de frais. Pour l'écologie, les seuls vrais actes du gouvernement : 2 morts, 29 yeux crevés, 6 mains arrachées ....

à écrit le 04/04/2023 à 18:31
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A mon avis les interlocuteurs privilégiés pour les tpe et les pme restent les syndicats professionnels très proches de leurs adhérents et à même de leur apporter des solutions concrètes et pragmatiques . J'ai été travailleur indépendant pendant 30 a...

à écrit le 04/04/2023 à 18:22
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OK, mais c'est quoi cette fameuse transition écologique, le corps humain est lui composé de 18% de carbone, il faut aussi le décarboner.. Un juriste et une littéraire pour s'occuper de tel sujets qui demandent au vu de leur complexité des ingénieurs ...

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