« Loi immigration : trop de défauts de fabrication » (Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnement)

Thierry Beaudet, président du Conseil économique social et environnemental, déplore que le texte voté avec les voix du RN ait suivi un parcours chaotique. C’est, selon lui, un « exemple de dysfonctionnement » dans la conception d’une politique publique. Au risque d’exacerber le populisme que le chef de l’État pense combattre avec cette loi.
Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). (Crédits : PHOTOPQR/MAXPPP)

Le 25 janvier, le Conseil constitutionnel, saisi à la fois par le président de la République, par la présidente de l'Assemblée nationale, par une soixantaine de députés et une soixantaine de sénateurs, rendra son avis sur la loi immigration votée le 19 décembre. Les positions sont diverses sur le fond du sujet, la mienne est connue. Mais l'histoire de notre pays ne s'arrête pas aux divergences sur quelques articles de loi. Elle est aussi écrite, dans sa profondeur, par la manière dont notre démocratie fonctionne. Or les conditions d'élaboration de ce texte le condamnent à n'être qu'un texte de plus, s'ajoutant aux 57 lois et ordonnances sur le statut des étrangers édictées depuis 1945, et cette prolifération nourrit la plus dangereuse des critiques pouvant être faites à la démocratie, celle de l'inefficacité.

Lire aussiLoi immigration : de nombreux économistes vent debout

Rappelons combien la conception de cette loi fut erratique : d'août 2022 à décembre 2023, nous sommes successivement passés d'un projet censé lever « toutes les réserves » empêchant l'expulsion des étrangers délinquants à une loi d'ensemble sur l'immigration, de plusieurs textes à un texte unique, durci par le Sénat, stoppé par une motion de rejet, réintroduit pour finir voté sans débat avec les voix du Rassemblement national et l'abstention de députés du camp présidentiel. La promesse d'un grand débat parlementaire n'a jamais été tenue.

À cela s'ajoute la très forte probabilité que le Conseil constitutionnel invalide de nombreux articles ou dispositions de cette loi, comme cela arrive. Ce qui est moins fréquent, c'est que le ministre de l'Intérieur ait pu affirmer d'emblée que « des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution », tout en appelant à les voter. Tout comme il est surprenant que des promoteurs du texte espèrent la censure de certains de ses articles, tandis que d'autres mettent par avance en cause le Conseil constitutionnel, au cas où il censure-rait tout ou partie de la loi, exacerbant ainsi le ressentiment populiste.

Il n'est pas acceptable de voir notre plus haute juridiction enrôlée de force dans le combat politique, sauf à vouloir instrumentaliser la « volonté populaire » pour la dresser contre les gardiens de l'État de droit.

Le parcours chaotique de la loi immigration est l'exemple même d'un dysfonctionnement dans la fabrique de la décision publique : des lois privées de débats sur le fond, votées par des alliances de circonstance, juridiquement friables, se réduisant largement à des effets d'annonce.

La prolifération de textes nourrit la plus dangereuse des critiques pouvant être faites à la démocratie, celle de l'inefficacité

L'absence de majorité à l'Assemblée nationale ne suffit pas, à elle seule, à expliquer ces méandres. Le mal est plus profond. Trop souvent, notre démocratie se prive d'un moment de décantation du débat. Sur le sujet de l'immigration comme sur beaucoup d'autres, il faut partir de la réalité, ce qui n'interdit pas les opinions. Dans le cas présent, des mythes comme celui de l'« appel d'air », jamais vérifié par les chiffres, guident les discours, le temps nécessaire n'ayant pas été pris pour passer un sujet complexe au tamis des faits, pour le partager, le « refroidir » et organiser un débat traversant toute la société et réunissant puissance publique, corps intermédiaires et citoyens, et pas seulement le Parlement. Le Cese avait proposé, début 2023, la tenue d'une convention citoyenne sur ce sujet important de l'immigration : en matière d'orientation et de fabrique des politiques publiques, les conclusions de centaines de citoyens travaillant en profondeur, dans un climat pacifié, auraient purgé le sujet de ses biais les plus flagrants et enrichi les discussions, dépassant les pensées réflexes. Un tel parcours aurait permis au Parlement de mieux remplir son rôle. Faute de quoi, par peur de l'inaction, cette loi, comme d'autres passées et à venir, manque d'ancrage, de profondeur et de stabilité.

À prendre de moins en moins le temps pour éclairer les esprits, nous construisons sur du sable, passant d'un tourbillon à l'autre. Il est urgent de créer les passerelles qui permettent de mieux arrimer le pouvoir à la société. Détenteur du dernier mot, le politique ne peut ni ne doit plus porter seul le poids, et donc la responsabilité, de la décision. La démocratie sociale et participative peut renforcer la démocratie représentative. Cela suppose de mettre à jour nos pratiques : les institutions le permettent, même sans majorité. Il faut forger une culture du dialogue, du compromis et de l'efficacité. La démocratie ne peut se réduire à un sport de combat, même pacifique. Il nous faut des terrains d'entente, et pas seulement des gagnants et des perdants. Agissons avant que nos institutions ne se retrouvent durablement affaiblies.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 21/01/2024 à 15:07
Signaler
Bonjour, ils faut dire a se monsieur que le gouvernement n'a pas la majorité, et que la population est fortement opposé au régularisation massive de migrants.... Car le capital confiance est a zero entre se gouvernement et le peuple français.. Bi...

à écrit le 21/01/2024 à 10:10
Signaler
Ce que nous voulons absolument ignorer, c'est que l'on a amplement ouvert nos frontières sur le reste de l'Europe et que nous n'en avons plus la maitrise ! Mais on fait semblant !

à écrit le 21/01/2024 à 9:21
Signaler
Ben Mc Kinsey c'est une boite américaine hein et non françaises ils font au pif du coup ! ^^

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.