Face à la menace de nouvelles actions des paysans, notamment samedi pour l'ouverture du salon de l'Agriculture que doit inaugurer Emmanuel Macron lors d'une déambulation, l'exécutif fait feu de tout bois pour calmer la fronde. Lors de sa troisième conférence de presse depuis le début de la crise agricole, ce matin, le Premier ministre a fait le compte des promesses et des engagements. Depuis le 1er février, lorsque, pour calmer leur colère, le gouvernement avait pris 62 engagements vis-à-vis des agriculteurs, « 100% des chantiers ont été ouverts » et 80% ont abouti ou sont sur le point d'être finalisés. « Jamais, je le dis, autant d'avancées n'auront été mises en œuvre pour nos agriculteurs », a insisté Gabriel Attal qui répète inlassablement son nouveau mantra : « Pas de Pays sans Paysans » !
Mais malgré ce bilan, ainsi que de nouvelles concessions réclamées depuis longtemps par les agriculteurs, comme l'abandon de l'indicateur français pour mesurer le succès du plan national de réduction des pesticides, une fin de leur mobilisation n'a pas été obtenue, trop de points n'étant pas encore suffisamment clairs à leurs yeux. Des manifestations locales continuent de voir le jour au travers de la France, et un « cortège » d'agriculteurs avec 14 tracteurs est prévu samedi à Paris.
« A l'heure actuelle, tout est dans les mains du Président de la République », qui doit visiter le 24 février, lors de son ouverture, le Salon international de l'Agriculture, a ainsi déclaré lors d'une conférence de presse le président des Jeunes Agriculteurs (JA), Arnaud Gaillot. « C'est à lui qu'il revient désormais de faire les arbitrages », a-t-il estimé, en prévenant que « samedi sera le vrai rendez-vous ».
Une voix d'autorité
Interrogé par La Tribune sur les arbitrages encore attendus, Arnaud Gaillot a d'abord souligné la nécessité qu'Emmanuel Macron « réaffirme » des promesses déjà formulées par le Premier ministre, pour y conférer un surplus d'autorité. C'est le cas des contenus et du calendrier du « projet de loi pour une agriculture souveraine ».
Gabriel Attal a assuré qu'aux cotés d'un volet sur l'installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, qui figurait déjà dans une version présentée en décembre, une partie de ce projet de loi sera consacré à la formalisation de certaines avancées en matière de simplification, et une autre à la reconnaissance « noir sur blanc » de l'« objectif de souveraineté agricole et alimentaire » et de l'agriculture « au rang des intérêts fondamentaux de la Nation, au même titre que notre sécurité ou notre défense nationale ». Il doit être transmis cette semaine au Conseil d'Etat, et le gouvernement mise sur une adoption par le Parlement avant juin.
Lire: La souveraineté alimentaire, une notion politique dont la définition fait débat
Les Jeunes agriculteurs qui, comme la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), se sont entretenus avec le Président de la République hier, attendent également du chef de l'Etat des assurances sur leurs revendications européennes. La France a déjà obtenu de Bruxelles des concessions sur des mesures réclamées par les agriculteurs, comme les conditions en matière de jachères figurant dans la politique agricole commune. Mais le destin d'autres reste en suspens : c'est le cas des règles concernant les prairies, les plus gros élevages, les centrales d'achat internationales des distributeurs, l'abandon définitif de l'accord de libre échange avec le Mercosur etc.
Un véritable « changement de logiciel »
Enfin, des clarifications sont attendues sur des points encore en discussion. Gabriel Attal a par exemple annoncé le lancement d'une mission parlementaire sur l'évaluation et l'évolution des lois Egalim, censées protéger les revenus des agriculteurs, qui devrait aboutir à la présentation d'un projet de loi avant l'été. Trois points ont été évoqués par le Premier ministre: un encadrement des centrales d'achat européennes, une interdiction pour les industriels de négocier avec les grands distributeurs avant d'avoir conclu un accord avec les agriculteurs, ainsi qu'une meilleur prise en compte des indicateurs des coûts de production définis par les interprofessions.
Mais le périmètre de l'évaluation pourrait être bien plus large, incluant la question du caractère annuel des négociations, des marges réalisées par les industriels et les distributeurs, du traitement particulier des PME et des ETI, du respect des clauses d'indexation, des effets du relèvement de 10 % du seuil d'interdiction de revente à perte pour les denrées alimentaires. Arnaud Gaillot a même évoqué un « arrêt » de la loi de modernisation de l'économie de 2008, très favorable aux distributeurs, que les lois Egalim devaient contrebalancer. Or, la lettre de mission aux députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault, qui doit être signée cette semaine, n'a pas encore été reçue par ces derniers.
Globalement, les agriculteurs disent attendre qu'Emmanuel Macron acte un véritable « changement de logiciel ».
« Ce que nous attendons samedi, c'est que le Président de la République tienne un discours engagé, qu'il casse la baraque », a résumé Arnaud Gaillot.
Un « grand débat » avec les agriculteurs
La forme de l'intervention d'Emmanuel Macron, qui d'habitude se promène pendant des heures et des heures dans les allées du salon sans tenir de véritable discours, n'est pas encore claire. Mais un format, proposé par la FNSEA et les JA, semble plaire à l'Elysée: celui d'un « grand débat » avec les agriculteurs -et non pas des représentants des syndicats. Afin de déminer le terrain, il devrait se tenir avant toute déambulation.
Des incertitudes subsistent aussi sur les effets de toute nouvelle promesse. Selon une source au sein de l'exécutif citée par l'AFP, le gouvernement ne se fait pas d'illusion sur l'obtention d'un satisfecit des agriculteurs. Ces derniers ne souhaitent toutefois pas que le salon, rendez-vous médiatique mais aussi familial, se transforme en terrain de bataille:
« On doit aussi permettre un temps d'échange » entre les agriculteurs et les Français, a plaidé Arnaud Gaillot.