Prix alimentaires : faut-il réformer de fond en comble les négociations commerciales ?

Le ministère de l'Economie a annoncé le lancement d'une mission gouvernementale « pour réfléchir à la réforme du cadre global des négociations commerciales », notamment de leur caractère annuel. Il espère ainsi garantir une meilleure correspondance entre les coûts de production et les prix en rayons. Alors que les distributeurs y sont favorables, les industriels de l'agroalimentaire et les producteurs craignent de se retrouver sous pression.
Giulietta Gamberini
En France, « c'est très difficile, par rapport à d'autres pays, d'avoir un ingrédient fondamental dans les relations entre distributeurs et industriels: la confiance », déplore le président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania), Jean-Philippe André.
En France, « c'est très difficile, par rapport à d'autres pays, d'avoir un ingrédient fondamental dans les relations entre distributeurs et industriels: la confiance », déplore le président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania), Jean-Philippe André. (Crédits : Reuters)

C'est le prochain chantier du gouvernement dans le brûlant dossier de l'inflation des prix alimentaires.

« Nous allons lancer une mission gouvernementale transpartisane « pour réfléchir à la réforme du cadre global des négociations commerciales », a promis la ministre chargée des PME et du Commerce le 9 octobre devant l'Assemblée nationale.

Ce jour-là, Olivia Grégoire soumettait aux députés un projet de loi visant à avancer la conclusion du prochain round de ces négociations cruciales pour les prix des produits alimentaires: une « solution d'urgence » face à une « situation d'urgence », dans l'espoir d'anticiper les effets de la baisse des cours de certaines matières premières sur les prix en rayons.

Lire: Négociations sur les prix alimentaires : les sénateurs proposent de repousser la clôture au 31 janvier

En France, depuis la loi dite « Chatel » du 3 janvier 2008, l'ensemble des relations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs de marques nationales doit en effet être formalisé avant le 1er mars. Une date butoir qui n'existe dans aucun autre pays européen, où la fréquence de ces négociations est fixée par contrat.

Depuis 2021, toutefois, la forte volatilité des cours des matières premières, agricoles comme industrielles, entre en collision avec ce cadre annuel fixé par la loi, qui rigidifie et ralentit l'évolution des prix. Afin de rééquilibrer les pouvoirs des acteurs au gré des variations de l'inflation, le législateur a déjà dû intervenir à deux reprises: avec la loi Egalim 2 du 18 octobre 2021 et avec la loi dite « Descrozaille » du 30 mars 2023. Le ministère de l'Economie a aussi multiplié les coups de pression, d'abord sur les distributeurs, puis sur les industriels de l'agroalimentaire. Il a finalement décidé de s'attaquer au sujet sensible d'une réforme de fond.

« Des prix plus justes »

L'objectif de cette mission, qui devrait être lancée dans les prochaines semaines, et qui réunira tous les acteurs de la chaîne agroalimentaire, est d'interroger la pertinence d'une date de clôture des négociations figée dans la loi, ainsi que de simplifier un cadre réglementaire devenu excessivement complexe, explique le président de la Commission affaires économiques de l'Assemblée nationale, Guillaume Kasbarian.

« Supprimer la date légale ou permettre des négociations plus fréquentes permettrait d'avoir des prix plus justes, plus proches des coûts de production », défend ce dernier.

Cela ferait aussi baisser les enjeux et donc la tension de ces rendez-vous, parie le député Alexis Izard, rapporteur du tout dernier projet de loi sur les négociations.

Ébranlés par une inflation qui accroît la concurrence sur les bas prix, les distributeurs sont aujourd'hui favorables à cette démarche du gouvernement, indique le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Jacques Creyssel. Le débat a d'ailleurs été lancé dès le mois de mars par l'un d'entre eux : le PDG de Système U, Dominique Schelcher.

« Pour lutter contre l'inflation, il faut arrêter les négociations commerciales annuelles ! (...) Dans une telle période inflationniste, la discussion devrait être permanente entre producteurs et commerçants pour prendre en compte l'évolution du prix des matières premières », écrivait-il sur son compte Linkedin.

Une concurrence féroce sur les prix

L'idée alarme en revanche les industriels.

« Nous tenons à la date butoir car elle nous évite de passer plusieurs fois par an à la moulinette de la pression sur nos marges exercée par les distributeurs », résume le président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania), Jean-Philippe André: « Nous ne pouvons pas avoir moins qu'aujourd'hui en termes de pilotage de nos affaires ».

En France, l'industrie alimentaire est particulièrement affectée par la concurrence entre les distributeurs indépendants, qui contrôlent 50% du marché et qui rivalisent essentiellement par les prix, explique-t-il. « C'est donc très difficile, par rapport à d'autres pays, d'avoir un ingrédient fondamental dans les relations entre distributeurs et industriels : la confiance. Si on travaille sur des modifications du cadre réglementaire, il faut avoir cela en tête », estime Jean-Philippe André.

Lire: Grande distribution : le triomphe des indépendants

« Sans compter qu'une date butoir unique assure le contrôle de l'Etat sur l'issue des négociations », souligne-t-il. Et que « dans d'autres pays européens où la fréquence des négociations est plus souple, les niveaux d'inflation ne sont pas inférieurs », ajoute celui qui préside également le directoire de Haribo France.

Les producteurs agricoles, dont les lois Egalim 1 (de 2018) et 2 ont protégé les revenus, s'inquiètent également des pressions accrues qu'il subiraient en cas des suppression de l'annualité des négociations entre distributeurs et industriels.

« L'agriculture est un secteur qui a besoin de visibilité », plaide Yannick Fialip, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea). « Les négociations, ce n'est pas qu'une question de prix, mais aussi de visibilité sur les volumes. Or, nous avons besoin d'un peu de stabilité », explique le président de La coopération agricole, Dominique Chargé.

« On nous a imposé un cadre réglementaire dans lequel on s'inscrit depuis deux décennies. Aujourd'hui, il est hors de question qu'on le supprime d'un seul coup. D'autant plus que tant qu'il faisait baisser les prix, personne ne le remettait en cause », s'insurge-t-il.

Des ajustements contractuels inopérants

Les PME et les ETI, représentées par le Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France, affichent une position plus nuancée.

« Nous sommes favorables à ce qu'on se pose en prenant le temps, pour reparler des règles des négociations. Et la notion d'annualité est à débattre. Mais on ne peut pas la prendre toute seule », explique son président, Léonard Prunier.

A côté de la date butoir, la loi française prévoit en effet déjà des mécanismes visant à ajuster les tarifs pratiqués par les industriels à l'évolution des coûts de production. La loi Egalim 2 a notamment imposé l'inclusion, dans les conventions générales de ventes issues des négociations, de clauses d'indexation des matières premières agricoles. Egalim 2 a également renforcé l'obligation, déjà prévue dans le Code de commerce, d'inclure, dans les conventions annuelles portant sur des produits alimentaires, des clauses de renégociation, qui peuvent désormais être activées non plus seulement en cas d'évolution du coût des matières premières agricoles, mais aussi de l'énergie, du transport et des emballages.

Ces dispositifs seront également passés en revue par la mission gouvernementale d'autant plus que, en cas de suppression de la date butoir, ils pourraient même s'y substituer. L'ensemble des acteurs des négociations commerciales sont toutefois d'accord pour déplorer que, aujourd'hui, ils ne fonctionnent pas.

Des clauses à revoir

Les clauses de renégociation n'obligent en effet qu'à se remettre autour de la table, sans impliquer qu'un accord sera trouvé. Quant aux clauses d'indexation, les indicateurs des coûts sur lesquels elle s'appuient n'ont pas encore été publiés par toutes les filières. Leur déclenchement dépend en outre de la fixation de seuils de variation de ces indicateurs. Mais les seuils fixés sont souvent trop élevés, ce qui les rend inopérants, que ce soit à la baisse comme à la hausse.

Les distributeurs et les industriels se renvoient la responsabilité de ce dysfonctionnement. Mais ils conviennent de la nécessité de renforcer ces mécanismes, à la place ou en parallèle de la date butoir annuelle.

« Il faut retravailler ces clauses pour qu'elles marchent bien pour plus de produits. Elles constituent la meilleure réponse à la volatilité des marchés, tout en évitant de rediscuter tous les jours des tarifs. En objectivant leurs hausses et leurs baisses, elles rassurent les deux parties contractuelles, diminuant ainsi leur défiance réciproque », plaide Richard Panquiault, président de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation (Ilec).

Il souligne qu'interdire et sanctionner les pratiques qui consistent à fixer des seuils inopérants, et déterminer des seuils réactifs, est possible, notamment grâce à l'aide d'algorithmes et de l'intelligence artificielle.

« La logique devrait être de donner un maximum de liberté aux acteurs, assortie de clauses de révision des prix fondées sur la transparence sur les coûts », estime pour sa part Jacques Creyssel.

Les marges pas à l'ordre du jour

Tout dispositif devrait également tenir davantage compte des différences entre les très grandes entreprises et les PME, conviennent la FCD et la Feef. Et pour vraiment protéger les consommateurs de l'inflation, la réglementation devrait aussi inclure un « encadrement des marges tout au long des filières », ajoute la députée de La France insoumise (LFI) Aurélie Trouvé - opposée à la suppression de l'annualité des négociations. Un autre chantier promis par Emmanuel Macron le 24 septembre lors d'une interview télévisée, mais qui semble avoir été mis en suspens par le gouvernement depuis.

Lire: Prix alimentaires : l'accord sur la modération des marges évoqué par Emmanuel Macron en suspens

Le 6 octobre, au Sommet de l'élevage, le ministre de l'Economie, Bruno Lemaire, s'est limité à promettre la préservation des marges des producteurs agricoles « conformément aux lois Egalim », via deux missions confiées à l'Inspection générale des Finances et à l'Observatoire des prix et des marges. Les marges des industriels et des distributeurs ne semblent en revanche pas être à l'ordre du jour de la mission gouvernementale sur les négociations.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 20/10/2023 à 23:27
Signaler
Ce ministre de nos économies devrait montrer publiquement les factures de ses achats: je le croirai quand il prouvera qu'il fréquente la Grande Distribution et qu'il prend le Métro (je lui tolère la perruque et la fausse barbe mais pas les gardes du ...

à écrit le 20/10/2023 à 8:58
Signaler
quand l'etat fait un grand cadre strategique et bienveillant car de gauche, il faut s'attendre a une catastrophe, des lois des normes des obligations ( et accessoirement des impots et amendes ecolo pour sauver la planete, donc le budget de l'etat)......

à écrit le 20/10/2023 à 6:54
Signaler
"pour réfléchir à la réforme du cadre global des négociations commerciales" LOL ! Déjà rien que là moi je dis méfiance... ^^

à écrit le 19/10/2023 à 23:26
Signaler
Mais pourquoi doit-on mettre un carcan à toute initiative? est-ce pour assujettir toute activité au fisc?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.