Normes, procédures... Le parcours du combattant des industriels

Alors que la loi industrie verte est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, le gouvernement communique sur l'accélération des procédures de délivrance des autorisations et la modernisation de l'enquête publique, obligatoires avant de construire une usine en France. Sauf que des mesures font déjà bondir les élus locaux. Et déjà, certains s'interrogent : la loi sur l'industrie verte n'est-elle qu'un choc de simplification en trompe-l'œil ? Explications.
César Armand
Le gouvernement a, lui, prévu un autre dispositif : l'accélération des projets d'intérêt national, « identifiés par décret de la Première ministre ». (Photo d'illustration)
Le gouvernement a, lui, prévu un autre dispositif : l'accélération des projets d'intérêt national, « identifiés par décret de la Première ministre ». (Photo d'illustration) (Crédits : DR)

Porter un projet industriel soumis à la réglementation des installations classées protection de l'environnement (ICPE) est tout sauf un long fleuve tranquille. Il faut d'abord déposer un dossier en préfecture. Celui-ci est ensuite instruit par la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (DRIEAT). Si cette dernière le juge irrecevable, elle exige des informations complémentaires dans un délai qu'elle définit. Une fois ces compléments reçus, la DRIEAT reprend l'instruction de la demande.

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Résultat : le délai est compris entre 12 et 15 mois. À l'issue de l'instruction, une enquête publique est lancée. Selon la dimension du projet, cette dernière est conduite par la commission nationale du débat public (CNDP) ou par des commissaires enquêteurs désignés par le tribunal administratif. Lorsque l'enquête publique s'achève, le rapport et les conclusions motivées sont remis au préfet de département. Celui-ci peut, dans certains cas, consulter une commission départementale nature, site et paysage (CNDPS) et/ou le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST). Enfin, le haut-fonctionnaire départemental prend son arrêté d'autorisation... ou de refus sous quelques semaines.

Une « parallélisation » des procédures

Un véritable parcours du combattant d'une durée moyenne de 17 mois que l'exécutif entend ramener à 9 mois. Dans le cadre du projet de loi relatif à l'industrie verte, il promet d'« accélérer les procédures de délivrance des autorisations et [de] moderniser l'enquête publique ».

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Comment ? En « parallélisant » la consultation du public et l'instruction des services. Objectif affiché, réduire d'un mois à trois semaines le rapport du commissaire enquêteur. Sauf que le Code de l'environnement, dans sa version actuelle, prévoit que ce dernier peut demander un délai supplémentaire au préfet avec l'accord du porteur de projet...

L'exemple du Grand Chalon

Sans attendre l'adoption du texte gouvernemental, le président (LR) des Intercommunalités de France, Sébastien Martin, a, lui, poussé, auprès de Bercy, l'idée des sites clés en main, fort d'une réussite sur ses terres, dans le Grand Chalon (Saône-et-Loire).

Sur une ancienne friche Kodak, les élus locaux ont investi 200.000 euros dans la préparation d'un foncier de 100 hectares baptisé « SaôneOr » : « Nous avons réalisé les études 4 saisons [pour la faune et flore, ndlr] et les fouilles archéologiques avant de mettre autour de la table l'intercommunalité et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ».

« Car ce qui peut faire perdre du temps, ce sont les allers-retours avec les services de l'État », raconte Sébastien Martin.

Et de reprendre : « Les porteurs de projet n'ont plus que leur permis de construire à déposer et leur agrément d'"installation classée pour la protection de l'environnement" (ICPE) à obtenir. Certes, un permis peut toujours être attaqué, mais encore faut-il des arguments ». À cet égard, le gouvernement entend simplifier et réduire les délais contentieux relatifs aux autorisations administratives des projets industriels.

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Une accélération des projets d'intérêt national...

Pour éviter les recours, Olivier Lluansi suggère que « le lien industrie-concitoyens [se fasse] par le bas avec une animation avec les collectivités ». « Dès lors que ces animations se font à froid, c'est-à-dire pas en lien avec des projets concrets, cela permet de lisser la tension », enchaîne le père des « Territoires d'industrie ».

 « Les sites clés en main, c'est excellent ! », appuie François Rieussec, président de l'Union nationale des aménageurs (UNAM), qui pousse en ce sens les contrats d'aménagement anti-spéculatifs en partenariat avec les propriétaires fonciers où les projets lient la planification locale et l'autorisation d'urbanisme. Objectif : sortir des opérations en deux ans.

Le gouvernement a, lui, prévu un autre dispositif : l'accélération des projets d'intérêt national, « identifiés par décret de la Première ministre ». Et cela via une mise en compatibilité « plus rapide » des documents locaux d'urbanisme et ceux de planification régionale, des procédures de raccordement électrique accélérées et un permis de construire délivré par l'État.

 « Ayons confiance en la fonction publique déconcentrée, elle est la plus à même d'avoir un dialogue informel avec les porteurs de projet en amont pour « déminer » les difficultés administratives. L'administration doit accepter de ne plus simplement jouer un rôle de censeur, mais aussi d'accompagnateur des projets industriels », plaide Olivier Lluansi, associé PwC Strategy&, Senior Fellow à l'ESCP Paris.

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...qui a fait bondir les élus locaux

Mais, à peine annoncé, le permis de construire délivré par l'État a fait bondir les associations d'élus. Les maires de France (AMF) et les présidents de métropole (France urbaine) sont aussitôt montés au front pour dénoncer une « menace » sur leur pouvoir d'urbanisme. Une peur entendue par le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

« Je suis évidemment ouvert à des possibilités d'amendement sous forme par exemple d'avis conforme des élus locaux qui pourraient dire oui », a déclaré Bruno Le Maire aux sénateurs le 1er juin.

Tant est si bien que lors de l'examen du texte, les parlementaires de la Chambre haute ont validé l'émission d'un avis conforme pour la mise en compatibilité des documents de planification et d'urbanisme, lorsque cette dernière est rendue nécessaire par la réalisation d'un projet d'intérêt national majeur.

Sur ce même sujet, les sénateurs ont adopté un autre amendement. Il renvoie au Conseil d'État la définition des secteurs concernés par les projets d'intérêt national majeur et permettant aux régions, après avis des collectivités concernées, de soumettre au préfet une liste de projets pouvant être qualifiée de la sorte.

Hantés par le contre-exemple de Tesla

En réalité, aménageurs, élus locaux et exécutif, tous restent hantés par le contre-exemple de Tesla, parti à Berlin, après avoir été tenté par le Grand Paris. « Les industriels européens ont en fait un adage : en Suisse, il faut sept jours pour faire sortir un projet, en Italie, sept semaines, en Allemagne, sept mois, et en France... je vous laisse compléter », lâche, à La Tribune, quasi-désabusé, le président (LR) de l'association des maires de France, David Lisnard.

« Au-delà des affichages, tant que nous aurons des blocages des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou d'autres services de l'État, nous peinerons à réindustrialiser le pays. Il faut arriver à un seul et unique responsable administratif et non plus être suspendu à tous les avis », défend le maire de Cannes.

En Allemagne, il existe en effet une agence unique, héritée des privatisations menées au pas de charge en Allemagne de l'Est suite à la réunification, la Treuhandanstalt. Cette dernière joue un rôle de guichet unique, contribuant à la décision de Tesla d'y ouvrir sa méga-usine d'assemblage, rappelle Guillaume Savard, patron du cabinet de conseil Upside.

Un choc de simplification en trompe-l'œil ?

Pour autant, rien n'a changé en Île-de-France où il demeure une procédure qui n'existe nulle part ailleurs : l'agrément d'immobilier d'entreprise. Instauré en 1995, il est censé rééquilibrer les activités économiques et les logements. Tout projet de bureaux supérieur à 1.000 m² ou de logistique/data centers excédant 5.000 m² doit être instruit par la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (DRIEAT) et validé par le préfet.

« Cela concerne de fait aussi l'industrie, car il y a souvent des surfaces de bureau et on arrive très vite à 1000 m². Tant que vous n'obtenez pas l'agrément, vous ne pouvez pas déposer de permis de construire. Cela s'ajoute aux autres procédures réglementaires », témoigne Lionel Grotto, directeur général de l'agence d'attractivité Choose Paris Region.

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Un exemple parmi d'autres qui fait douter les responsables politiques du choc de simplification annoncé. « Ça n'existe pas. C'est une autosatisfaction des services à vouloir démontrer qu'ils ont tout analysé », grince Michel Fournier, président (sans étiquette) des Maires ruraux (AMRF). Et de conclure, avec la franchise qui est la sienne, « avant de finir en "3DS" [pour décentralisation, déconcentration, différenciation et simplification de l'action publique], la dernière loi de décentralisation était intitulée "4D" avec "décomplexification" ».

« Même Jacqueline Gourault, une ministre proche du terrain, a fini par comprendre que c'était une connerie... »

Ambiance.

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César Armand
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