LA TRIBUNE- Le comité d'évaluation des réformes sur (*) la fiscalité du capital vient de rendre son quatrième et dernier rapport de plus de 300 pages. Quel bilan tirez-vous de ces différentes mesures mises en place après toutes ces années d'investigation ?
CEDRIC AUDENIS- L'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) a eu dès 2018 un effet très fort sur le versement de dividendes. Malgré les craintes, il a permis d'annuler son coût budgétaire les premières années. L'augmentation de l'assiette fiscale a contrebalancé les pertes de recettes fiscales. En outre, il n'y a pas eu de redénomination des revenus : quand on regarde l'ensemble des contribuables qui ont reçu plus de 100.000 euros de dividendes, leurs revenus d'activité n'ont pas baissé.
Le second résultat important est que ces réformes ont permis à la France de rentrer dans le rang au niveau international de l'imposition du capital financier. Depuis 2018, il y a une claire inversion des départs à l'étranger. Chaque année, ce phénomène se confirme. Il y a des retours plus importants que les départs.
Quelles ont été les répercussions de ces réformes sur l'économie, l'investissement et l'emploi depuis 2018 ?
En 2021, le comité d'évaluation avait conclu qu'il n'arrivait pas à détecter d'effet de ces réformes sur les entreprises dont les actionnaires avaient le plus bénéficié du PFU ou de la suppression de l'ISF. On ne voyait pas d'effet sur l'investissement ou sur la masse salariale.
Dans une nouvelle étude commandée à l'institut des politiques publiques (IPP), nous regardons dans quelle mesure l'augmentation du rendement du capital après impôt généré par ces réformes a un impact sur les créations d'entreprises. En moyenne, on trouve que le taux de création est supérieur dans les secteurs les plus exposés à ces réformes.
Sur l'investissement des entreprises directement exposées aux réformes, le comité n'a rien détecté. S'agissant de l'emploi, le précédent rapport de 2021 n'avait pas observé d'effet sur les entreprises les plus directement concernées.
Comment le patrimoine des ménages situés en haut de la distribution a-t-il évolué ?
Comme l'ISF a été remplacé par l'IFI, on n'a plus vraiment d'information sur le patrimoine financier des ménages les plus fortunés. Sur le patrimoine immobilier, nous voyons que les recettes sur l'IFI sont très dynamiques. Elles ont augmenté de 42% entre 2018 à 2022. Ce dynamisme est dû pour moitié au dynamisme de l'impôt moyen et pour l'autre moitié à la hausse du nombre de contribuables soumis à l'IFI.
Sur le patrimoine financier, les enquêtes de l'Insee donnent des informations sur le top1%, mais ne sont pas assez précises pour cerner les plus fortunés. Sur ce top 1%, le patrimoine a continué d'augmenter après 2017, mais pas plus que la moyenne. A partir des données disponibles à ce stade, on ne voit pas de comportement de réallocation entre immobilier et financier.
Ces réformes ont-elles favorisé les investissements immobiliers au détriment de l'investissement productif ?
Ces réformes ont réduit l'imposition du capital immobilier. Il est difficile d'imaginer un effet favorable à l'immobilier relativement au mobilier. Mais le comité ne détecte pas de réallocation massive en défaveur de l'immobilier.
Les auteurs du dernier rapport notent que malgré l'ISF, le système fiscal français n'était pas progressif pour les milliardaires, si l'on tient compte de leur revenu non distribué. Que voulez-vous dire ?
Ce passage fait référence à une étude de l'institut des politiques publiques dévoilée en juin. Les plus fortunés ont le choix de se verser un revenu. Ils peuvent laisser les profits de l'entreprise dans l'entreprise et choisir de ne pas se verser de dividende. Ils peuvent également décider de se les verser via une holding. Dans ces deux cas, il n'est pas taxé au titre du PFU. L'IPP a montré que si l'on prend une vision extensive du revenu, incluant l'ensemble des profits réalisés par les entreprises possédées par les plus fortunés, le taux d'imposition chute fortement, et est nettement plus faible que pour le reste des contribuables. Il est toutefois à noter que l'utilisation de ce concept de revenu ne fait pas consensus au sein du comité pour mesurer la progressivité.
Avant 2018, il est clair que l'impôt sur la fortune ne remplissait pas ses objectifs en matière de progressivité. Pour limiter les effets négatifs de l'ISF, l'Etat avait mis en place des dispositifs dérogatoires comme les exonérations de biens professionnels ou des plafonnements. Cela réduisait la progressivité de l'ISF. Au-delà de 100 millions d'euros de patrimoine imposable, quasiment tous les plus fortunés étaient plafonnés, leurs revenus déclarés étant très faibles, relativement à leur niveau de patrimoine. Par exemple, pour les contribuables déclarant 100 à 200 millions de patrimoine, leurs revenus déclarés ne représentaient que seulement 0,2% de leur patrimoine.
Il y avait une forme de rétention des revenus qui n'étaient pas versés. Le plafonnement à 75% génère un taux d'imposition marginal des revenus à 75%. Cela a créé une très forte incitation à optimiser le montant de ses revenus déclarés : toutes choses égales par ailleurs, les ménages plafonnés se versaient moins de revenus que ceux qui étaient déplafonnés.
Propos recueillis par Grégoire Normand
(*) Transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, prélèvement forfaitaire unique, baisse de l'impôt sur les sociétés de 33% à 25%.