Automobile, énergie... Le Royaume-Uni met un sérieux coup de frein à ses ambitions climatiques

Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a annoncé mercredi le report de plusieurs mesures phare de la politique climatique du Royaume-Uni. Parmi elles, le recul de cinq ans de l’interdiction de vente des voitures neuves roulant à l’essence ou au gazole. Un ensemble de décisions dénoncé comme électoraliste, réprouvé dans les milieux économiques et même jusqu'au sein des conservateurs au pouvoir.
L'objectif de ce recul est de permettre aux ménages de bénéficier de la baisse des prix attendus des véhicules électriques dans les prochaines années, a fait valoir Downing Street.
L'objectif de ce recul est de permettre aux ménages de bénéficier de la baisse des prix attendus des véhicules électriques dans les prochaines années, a fait valoir Downing Street. (Crédits : Luke MacGregor)

Le Royaume-Uni écorne un peu plus son image de pionnier de la lutte contre le réchauffement climatique. Mercredi 20 octobre, son Premier ministre a, en effet, annoncé un infléchissement de la politique climatique du pays pour atteindre la neutralité carbone. « J'ai confiance dans le fait que nous puissions adopter une approche plus pragmatique, proportionnée et réaliste pour atteindre la neutralité carbone, qui allège le fardeau sur les travailleurs », a déclaré Rishi Sunak lors d'une conférence de presse hâtivement organisée après que ses intentions ont fait l'objet de fuites dans les médias.

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Les voitures thermiques neuves gagnent cinq ans, les chaudières neuf

La mesure la plus emblématique concerne les voitures neuves roulant à l'essence et au gazole : elles seront désormais interdites à la vente en 2035 et non en 2030. « Afin de nous donner plus de temps pour nous préparer » à la transition vers les véhicules électriques a justifié le Premier ministre. L'objectif est de permettre aux ménages de bénéficier de la baisse des prix attendus des véhicules électriques dans les prochaines années, a fait valoir Downing Street dans un communiqué.

Face au tollé suscité dans le secteur automobile, il a souligné que cela « aligne » le Royaume-Uni avec le calendrier d'autres pays comme l'UE, dont la fin des voitures thermiques neuves est, en effet, prévue pour cette date.

À noter aussi l'assouplissement des conditions d'élimination progressive des chaudières au fioul, au GPL ou au charbon pour les logements n'ayant pas accès au réseau de gaz. Cette interdiction sera reportée de 2026 à 2035. Les ménages auront aussi « plus de temps » pour changer leurs vieilles chaudières à gaz ou aux autres énergies fossiles par des modes de chauffage plus propres, comme les pompes à chaleur. « Vous n'aurez à faire le changement que lorsque vous serez contraint de remplacer votre chaudière », a affirmé le Premier ministre, ajoutant que la prime à l'achat d'une pompe à chaleur sera augmentée de 50% à 7.500 livres sterling (8.670 euros).

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Autre annonce du Premier ministre ce mercredi : la loi prévoyant que tous les logements devront avoir une efficacité énergétique de niveau C au minimum pour pouvoir être loués d'ici 2028 sera « abandonnée ». Cette mesure visait à réduire la facture énergétique des locataires, mais impliquait d'importants investissements pour les propriétaires. « Certains propriétaires auraient été contraints de faire des améliorations très coûteuses » et l'addition risquait d'être répercutée in fine sur les loyers, « c'est simplement mauvais », a argumenté Rishi Sunak, alors que le coût des prêts et les loyers flambent actuellement avec la hausse des taux d'intérêt.

En parallèle, le Premier ministre a annoncé de nouvelles règles pour « accélérer » les raccordements au réseau électrique des projets de production d'énergie, sur la règle du « premier prêt, premier raccordé », ainsi que pour développer les projets de transports d'énergie considérés comme prioritaires. Enfin, le gouvernement met sur la table une « bourse » de 150 millions de livres (173 millions d'euros) sur cinq ans pour financer des projets de développement « de technologies vertes de rupture ».

Critiques des politiques...

Ces annonces ont ravi l'aile droite des conservateurs, comme l'ex-Première ministre Liz Truss qui a « salué » des mesures « particulièrement importantes pour les zones rurales ». Mais les critiques se sont multipliées, y compris dans le propre camp du Premier ministre. « Nous ne pouvons pas nous permettre de faiblir maintenant ou de perdre de quelque manière que ce soit notre ambition pour ce pays », a taclé l'ancien Premier ministre Boris Johnson, qui avait fixé nombre des objectifs abandonnés. « Je ne crois vraiment pas que cela puisse aider électoralement quelque parti que ce soit de décider de s'engager dans cette voie », a estimé le député conservateur Alok Sharma et président de la COP26 de Glasgow en 2021.

Le député du parti d'opposition travailliste chargé des questions d'Énergie Ed Miliband a, lui, moqué un « acte de faiblesse d'un Premier ministre sans direction, désespéré ». Et le chef du parti libéral-démocrate Ed Davey a estimé que le Royaume-Uni « se retrouvait au dernier rang au moment où le reste du monde se bat pour adopter les industries de demain ».

... mais aussi du monde économique

Le milieu économique est également monté au créneau. L'association représentant l'industrie manufacturière, Make UK, s'est insurgé contre « une annonce qui envoie un signal totalement mauvais » tandis que la patronne de Ford au Royaume-Uni a dénoncé une décision qui va « à l'encontre » de « l'ambition, des engagements et de la cohérence » attendue par le secteur automobile. D'autant, assène-t-elle, que le secteur est déjà confronté à la crise du coût de la vie, à des droits de douane qui doivent entrer en vigueur en conséquence du Brexit et sachant que les infrastructures nécessaires à la production ou l'utilisation de véhicules électriques sont encore balbutiantes.

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Le lobby britannique du secteur automobile, la SMMT, dénonçait pour sa part de la « confusion et de l'incertitude ». « Pour que les consommateurs passent » aux voitures électriques, « le gouvernement doit envoyer un message clair, cohérent, des incitations attrayantes, et [mettre à leur disposition] des infrastructures de chargement », estime-t-il. Mike Hawes, le directeur de la SMMT, rappelle que le Royaume-Uni s'efforce depuis plusieurs années d'attirer des investissements dans des usines de batteries électriques, cruciaux pour l'avenir du secteur. Derniers exemples en date avec l'usine de batteries électriques de Tata Motors ou l'électrification de l'usine Mini de BMW, deux projets que le pays subventionne fortement.

Plus conciliante, l'organisation qui représente la puissante City de Londres souligne que Downing Street a raison « d'explorer les façons d'apporter des solutions dans un environnement budgétairement contraint ».

Ces annonces sont « une escroquerie géante contre le pays », a dénoncé l'ONG Greenpeace dans un communiqué, fustigeant les « revirements incessants de ce gouvernement qui vont faire fuir les investisseurs et coûter des emplois ».

L'ombre des législatives de 2024

Les ambitions climatiques du Royaume-Uni, qui vise la neutralité carbone en 2050, semblent ainsi faire les frais de la crise du pouvoir d'achat qui touche les Britanniques et de ses possibles répercussions électorales pour le parti conservateur. Au pouvoir depuis 13 ans, il est désormais à la peine dans les sondages face aux travaillistes, en vue des élections législatives attendues l'an prochain. Et en juillet, une élection locale de l'ouest de Londres a été remportée par surprise par les conservateurs, une victoire attribuée à la défiance des électeurs face à l'extension d'une taxe sur les véhicules polluants.

Le gouvernement Sunak semble d'ailleurs avoir amorcé un virage en juillet sur la politique climatique. Exemple : le Premier ministre avait promis des centaines de nouvelles licences d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures en mer du Nord. En juin pourtant, l'organisme indépendant chargé de conseiller Downing Street sur ses politiques climatiques déplorait déjà la « lenteur inquiétante » de la transition dans le pays.

(Avec AFP)

Commentaires 4
à écrit le 21/09/2023 à 17:31
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"une victoire attribuée à la défiance des électeurs face à l'extension d'une taxe sur les véhicules polluants." Vandalisme, vols… La police londonienne a indiqué en aout avoir recensé des centaines de sabotages de caméras en amont de l’extension ...

à écrit le 21/09/2023 à 16:42
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Quand chacun aura compris que la politique climatique ne devrait pas être une simple course à l'échalote, alors on pourra peut-être envisager cette disruption comme un véritable débouché profitable à tous.

à écrit le 21/09/2023 à 10:35
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Les chimères européistes et leur dictature du greenwashing s'écrasent sur la réalité d'une crise économique totale. Ce qui est incompréhensible c'est ce mauvais timing, ils auraient pu facilement nous imposer le greenwashing mais en nous imposant une...

à écrit le 21/09/2023 à 10:17
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"2035 et non en 2030" pour s'aligner sur l'UE. 2030 c'était pas un peu tôt ? 2025 aurait été mieux mais la technique et l'industrie ne peuvent changer aussi vite, même si Volvo va 'bientôt' ne plus fabriquer de moteurs à pétrole. En 2031-34, on aurai...

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