
Une nouvelle pièce dans la machine. Alors que depuis plusieurs semaines, les gaziers montent au front pour défendre la place de ce combustible fossile dans les logements, s'affichant vent debout contre le chauffage « tout-électrique », le Réseau de transport d'électricité (RTE) a dégainé mercredi 20 septembre une étude d'impact pour leur répondre point par point.
Et ses conclusions sont sans appel : « Accélérer la sortie des énergies fossiles grâce au déploiement des pompes à chaleur (PAC) rédui[ra] significativement les émissions de gaz à effet de serre du chauffage », y affirme l'organisme chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande d'électricité. Sans quoi la France ne pourra pas atteindre ses objectifs de -55% d'émissions de CO2 d'ici à 2030, estime-t-il, alors que le secteur du bâtiment reste l'un des plus polluants du pays (18% des émissions).
Au lendemain du Congrès du gaz, le grand raout du secteur où chacun a su vanter les qualités de cet hydrocarbure pour réussir la transition écologique, ces nouveaux chiffres promettent d'alimenter des débats houleux.
Deux scénarios étudiés
Il faut dire que RTE a mené cette étude d'impact, présentée à l'occasion de son bilan prévisionnel sur « les trajectoires de transformation du système électrique pour la période 2023-2035 », dans un cadre pour le moins tendu. Et pour cause, des salariés de GRDF à l'UFC-Que Choisir, en passant par l'association anti-nucléaire négaWatt ou le lobby gazier Coénove (dirigé par l'ancien administrateur de l'Ademe et ex-député macroniste Jean-Charles Colas-Roy), nombreux sont ceux qui tentent de dissuader le gouvernement d'accélérer le changement des chaudières fossiles vers des pompes à chaleur électriques. « Contre-productives sans rénovations préalables », « plus polluantes à la pointe », ou encore « fabriquées massivement en Asie » : les arguments pullulent...
...au point que la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a qualifié mardi le sujet d'« éléphant dans la pièce », lors de son discours introductif du fameux congrès. Celle-ci a ainsi assuré que l'interdiction des nouvelles chaudières d'ici à 2024 ou « toute autre date rapprochée » n'avait en réalité « jamais été annoncée » par le gouvernement, visiblement agacée que certains aient « colporté cette rumeur ». Le 22 mai dernier, la Première ministre, Elisabeth Borne, avait affirmé réfléchir à la question devant le Conseil national de la transition écologique, avant de l'écarter.
Alors, pour y voir plus clair sur cette question très politique, RTE a étudié deux scénarios. D'abord, une configuration « accélérée » conduisant à précipiter la sortie du fioul et le non remplacement des chaudières au gaz en fin de vie, avec 11,5 millions de PAC en 2035 (contre 1,6 million aujourd'hui). Mais aussi une trajectoire « plus lente » reposant sur une inflexion limitée du rythme tendanciel de remplacement des chaudières au gaz par des PAC, « qui ne permet toutefois pas d'atteindre les objectifs de l'État », selon RTE.
« Quasi stagnation de la consommation électrique »
Or, si l'on en croit l'organisme, le premier cas de figure ne mettrait pas en péril la sécurité d'approvisionnement en électricité de la France.
C'est pourtant l'un des principaux arguments entendus ces dernières semaines : rien ne sert de supprimer le gaz alors que la France risque déjà de manquer de courant lors des prochains hivers, répètent à l'envie les détracteurs de la PAC, agitant le chiffon rouge du tant redouté « black-out ». GRDF, par exemple, a calculé que l'interdiction des nouvelles chaudières à gaz augmenterait fortement la pointe électrique en hiver, et nécessiterait 10 gigawatts (GW) de plus en 2035, soit l'équivalent de 10 réacteurs nucléaires.
Seulement voilà : selon RTE, la hausse de la demande en cas de scénario accéléré serait « quasi anecdotique ». « Déployer des PAC ne va pas faire beaucoup évoluer la consommation d'électricité. C'est un outil extrêmement efficace qui consomme peu, en réalité » a ainsi affirmé mercredi Thomas Veyrenc, son directeur Exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation.
Dans le détail, en combinant une accélération « progressive » de la rénovation thermique du bâti, un rythme de remplacement « prudent » des convecteurs électriques par des PAC (de l'ordre de 100.000 logements par an), ainsi qu'un niveau de sobriété analogue à celui de l'hiver 2022-2023, la consommation d'électricité pour le chauffage n'augmenterait que de 3 térawattheures (TWh) d'ici à 2030 par rapport à 2019 (contre environ 460 TWh consommés aujourd'hui). Et dans le pire de tous les scénarios testés, ce chiffre pourrait atteindre 13 TWh, au grand maximum.
Une pointe de demande « absorbable »
Sur la pointe électrique cependant, c'est-à-dire les moments critiques de pic de la demande (schématiquement, lorsqu'il fait froid et que tout le monde allume son chauffage), l'installation massive de PAC « aura bien un effet », explique-t-on chez RTE. Mais là aussi, l'organisme étrille les chiffres des gaziers : cela ne « mettrait pas en danger la sécurité d'approvisionnement en électricité pourvu que certaines conditions soient respectées », assure-t-il.
En effet, dans le scénario « accéléré », la pointe de consommation du chauffage électrique augmenterait d'environ 6 GW en 2030 et de l'ordre de 4 GW en 2035 (par rapport à 2019). Ce qui est « compatible avec le maintien du niveau de sécurité d'approvisionnement en électricité », fait valoir le gestionnaire du réseau.
D'autant qu'il est possible de modérer ce pic, en agissant davantage sur l'isolation du bâti, en optimisant les performances des PAC, ou encore en maintenant le rythme de remplacement des convecteurs électriques, ajoute-t-il.
Divergences sur l'impact carbone
RTE s'attaque d'ailleurs à une autre pierre d'achoppement : les rejets de CO2 réellement évités grâce à l'installation de PAC, par rapport au maintien du gaz. En effet, certains acteurs arguent que la réduction des émissions dans les bâtiments serait contrebalancée par une pollution supplémentaire pour la production d'électricité pas toujours décarbonée, notamment lors des périodes de pointe.
« Remplacer ces 12 millions de chaudières à gaz par des pompes à chaleur ne va faire qu'augmenter nos émissions de gaz à effet de serre pendant des années », écrit par exemple l'UFC-Que Choisir dans une récente prise de position. Il n'y aurait « pas de réduction des émissions au rendez-vous », abondait également il y a quelques semaines sur Twitter Natalia Robles, responsable de la communication digitale GRDF.
« Interdire le gaz dans le foyer pour le brûler dans les centrales c'est complètement stupide'. Merci. C'est dit. J'ajouterai pour être précis 2 fois plus polluant compte tenu des rendements ! », ajoute encore Rami Hariri, délégué biométhane GRDF, sur le même réseau social.
« En 2030, je pense qu'on verra déjà les premiers effets de l'électrification massive. Cela fera grimper la pointe d'électricité, ce qui fera revenir le fioul en masse », renchérit-on en off au sein d'un grand groupe gazier.
Passer à la PAC réduit les émissions, affirme RTE
Un argument battu en brèche par RTE. « Il serait bien plus avantageux en termes d'émissions de se passer d'un combustible fossile toute l'année, plutôt que de renoncer à utiliser une PAC. Et ce, même si de temps en temps le système électrique fera appel à un moyen thermique à la pointe ! », répond sans ambages Thomas Veyrenc.
Dans son étude d'impact, RTE montre ainsi que « quelle que soit la méthode considérée, les émissions du système électrique imputables aux PAC sont inférieures aux émissions évitées sur le chauffage au gaz ».
Pour l'affirmer, l'organisme a d'ailleurs fait jouer plusieurs stress tests. Résultat : selon la méthode de référence, les émissions du système électrique imputables au remplacement d'1 million de chaudières au gaz par des PAC s'élèvent à seulement 0,3 million de tonnes de CO2/an, bien inférieures à celles évitées par le remplacement des chaudières au gaz (2,1 MtCO2). Et même dans une approche très conservatrice supposant que l'électricité imputable aux PAC provient essentiellement de centrales fossiles, les émissions du système électrique associées resteraient limitées à 1,1 MtCO2, note RTE.
Chute des ventes de PAC air-eau
Au regard de ces nouvelles données, RTE appelle donc à la mise en œuvre de « politiques publiques volontaristes », avec une « utilisation privilégiée des pompes à chaleur » et « une réduction accélérée de l'usage du gaz fossile pour le chauffage », à rebours des préconisations des gaziers.
Au 1er semestre 2023 pourtant, les ventes de PAC air-eau ont chuté de 5% en France par rapport à la même période l'an dernier. « Le marché était très dynamique jusqu'ici. On a été très surpris de constater un fléchissement », regrette François Deroche, président de l'Afpac (Association française pour la pompe à chaleur). Selon lui, cette baisse est liée au contexte économique anxiogène, mais aussi à la disparition d'un bonus accordé par le gouvernement en cas de remplacement des chaudières au fioul par des PAC, supprimé au 1er avril 2023.
Dans ce contexte, l'Afpac « demande à ce que les dispositifs d'accompagnement soient stabilisés et simplifiés ». Reste à voir quel sera l'impact de l'appel de RTE sur la politique de l'exécutif en la matière, après son rétropédalage sur l'interdiction progressive des nouvelles chaudières à gaz. Depuis quelques mois, celui-ci travaille néanmoins sur le lancement d'une filière française pour la fabrication de PAC, dont les contours devraient bientôt être révélés.
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