Etats-Unis : contrairement à l'UE, les taux élevés pour juguler l'inflation n'impactent ni la croissance ni l'emploi

Le marché de l'emploi s'est montré bien plus solide qu'attendu en décembre avec 216.000 emplois créés, contre 173.000 en novembre. Et bien que, sur l'ensemble de l'année, le niveau reste inférieur à celui de 2022, ces chiffres attestent une nouvelle fois de la bonne santé de l'économie américaine parvenue à lutter efficacement contre l'inflation tout en maintenant une croissance solide. Une performance qui fait des envieux en Europe où la croissance souffre de la hausse des taux. La Tribune revient sur les recettes de ce succès.
Coline Vazquez
En décembre, 216.000 ont été créés aux Etats-Unis, en hausse par rapport aux 173.000 de novembre.
En décembre, 216.000 ont été créés aux Etats-Unis, en hausse par rapport aux 173.000 de novembre. (Crédits : Reuters)

Le scénario d'un atterrissage en douceur de l'économie américaine semble plus que jamais se préciser. Alors que l'inflation a chuté à 2,6% sur un an en novembre - son plus bas depuis trois ans selon l'indice PCE privilégié par la Banque centrale américaine (Fed) - l'emploi connaît, lui, une tendance à la hausse.

En effet, le marché de l'emploi s'est montré bien plus solide qu'attendu le mois dernier : 216.000 ont ainsi été créés, en hausse par rapport aux 173.000 de novembre, dont les données ont été en revanche révisées à la baisse, selon les chiffres publiés ce vendredi par le département du Travail. Surtout, le chiffre de décembre est largement supérieur aux 162.000 créations d'emplois qui étaient prévues par les analystes, selon le consensus de briefing.com.

Ces chiffres du département du Travail viennent donc confirmer la tendance observée la veille concernant les créations d'emplois dans le secteur privé, évaluées à 164.000 en décembre, selon l'enquête mensuelle ADP/Stanford Lab. La progression des créations d'emplois enregistrées depuis octobre s'explique par « un effet de rattrapage dans certains secteurs d'activité dont le retour à la normale post-covid qui a mis plus de temps », explique à La Tribune Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM. On retrouve ainsi l'hôtellerie, la restauration et les services à la personne.

Un déficit public creusé

Le secteur public a, lui aussi, largement contribué à l'embellie générale : « Il est l'un des grands moteurs des créations d'emplois », indique l'économiste qui attribue ce phénomène à la décision de Joe Biden de creuser le déficit public. Ce dernier a grimpé de 23% au cours de l'exercice fiscal 2023, clos le 30 septembre, par rapport à celui de 2022, atteignant 1.695 milliards de dollars. Il pourrait ainsi dépasser les 8% du PIB. « Un niveau jamais vu hors période de crise financière et période de guerre », pointe Christopher Dembik. « Or, un déficit public anormalement élevé est un moteur de soutien de l'économie et alimente la création d'emplois dans le secteur public », conclut-il.

Ces annonces « confirment que 2023 a été une grande année pour les travailleurs américains », s'est néanmoins félicité le président américain, Joe Biden, affirmant, dans un communiqué, que « l'économie a créé cette année plus d'emplois que n'importe quelle année sous une administration précédente ». Un bon point pour celui qui se présente face à Donald Trump pour l'élection présidentielle en 2024. Le chef de l'Etat pourra ainsi se targuer d'avoir atteint un taux de chômage historiquement bas : il s'est maintenu en décembre à 3,7%, son plus bas niveau depuis juillet.

Hausse des salaires

Du côté des salaires, ils ont grimpé de 0,4% par rapport au mois de novembre et de 4,1% sur un an, toujours selon les données du département du Travail. Une progression plus modérée qu'auparavant et qui ne « risque pas d'alimenter la spirale prix-salaires », selon la cheffe économiste d'ADP, Nela Richardson, et qui est également le signe que la pénurie de main d'oeuvre qui a touché le marché du travail américain depuis plus de deux ans semble bel et bien terminée. « Le marché de l'emploi revient à des niveaux très proches de ce qu'il était avant la pandémie », estime-t-il.

Lire aussiLa pénurie de main-d'œuvre aux États-Unis réalise le rêve de Biden: doubler le salaire minimum

Pour autant, sur l'ensemble de l'année 2023, le nombre moyen de créations d'emplois par mois (225.000) reste inférieur à la moyenne inédite observée en 2022 (399.000). Sur l'ensemble de l'année, 2,7 millions d'emplois supplémentaires ont été créés, contre 4,8 millions l'année précédente.

Succès des politiques budgétaire et monétaire

Un environnement qui reste largement positif, mais qui pourrait s'atténuer l'an prochain. « Le consensus estime que vers le milieu de l'année, les créations d'emplois vont se stabiliser autour de 100.000 », rapporte Christopher Dembik qui estime néanmoins que ce scénario de ralentissement de l'économie américaine est trop pessimiste.

D'autant que cette dernière fait preuve de bien plus de résilience qu'attendu. « Il faut admettre que, malgré le contexte inédit, la politique budgétaire [du gouvernement, ndlr] et monétaire [de la Fed] ont parfaitement réussi à sortir les Etats-Unis de la période de forte inflation qu'elle connaissait en évitant une récession et dans un laps de temps que personne n'aurait imaginé », explique l'analyste qui insiste : « Personne n'aurait pensé que l'inflation aurait reculé aussi rapidement ». Un « vrai succès » par rapport à la zone euro, lié d'une part au creusement du déficit public. Par ailleurs, « il y a une prime au premier partant », estime Christopher Dembik. La Fed a, en effet, été l'une des premières banques centrales à relever ses taux quand la BCE s'interrogeait encore sur le caractère temporaire de l'inflation.

Lire aussiBaisse des taux : contrairement à la Fed, la BCE ne veut pas en entendre parler pour le moment

Et alors que le resserrement monétaire opéré par les banques centrales pèse largement sur la croissance des pays concernés - en témoignent les chiffres de croissance des vingt pays de la zone euro dont ceux de l'Allemagne qui a connu une récession en 2023 - la consommation s'est néanmoins maintenue aux États-Unis. Et ce grâce notamment à la mobilisation du surplus d'épargne constitué par les Américains durant le Covid. Ces derniers y ont, en effet, puisé pour continuer à consommer. Contrairement à celle des Européens, elle est d'ailleurs bientôt épuisée pointe Christopher Dembik, qui souligne également le rôle du crédit à la consommation, largement utilisé par les consommateurs outre-Atlantique bien qu'à des taux actuellement élevés, dans le maintien de la consommation.

Autre facteur de soutien de l'économie américaine, les flux de capitaux européens et des pays émergents, ajoute encore l'économiste qui souligne les effets « des politiques de relocalisation d'activité lancées par Donald Trump et prolongées sous Joe Biden qui créent de l'emploi ».

En conséquence, la croissance américaine s'est établie à 5,2% au troisième trimestre en rythme annualisé, selon le département du Commerce, soit une hausse du PIB plus forte que celle affichée dans la première estimation, à 4,9% et surtout d'un doublement par rapport au trimestre précédent.

Prudence de la Fed

Néanmoins, si la bonne santé de l'économie et plus particulièrement de l'emploi américain sont une bonne nouvelle pour le pays, cela pourrait apparaître comme un élément incitant à la prudence pour la Banque centrale américaine. Un chômage au plus bas et des salaires en hausse étant, en effet, un moteur de consommation représentant ainsi un risque pour l'inflation. « Pour les responsables de la Fed, ces données soutiennent l'idée qu'il est nécessaire de maintenir une politique restrictive pour un moment encore », pointe ainsi Rubeela Farooqi, cheffe économiste de HFE, qui conclut néanmoins : « Mais nous anticipons le fait que le prochain mouvement se fera à la baisse, sans doute en milieu d'année ». C'est en effet ce qu'a laissé entendre la Fed lors de sa dernière réunion.

(Avec AFP)

Coline Vazquez
Commentaires 6
à écrit le 06/01/2024 à 21:48
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Les réponses à ces commentaires. La France et l'Europe sont remplies de citoyens qui ne savent que blâmer les autres pays et ne peuvent jamais accepter que ce sont eux qui sont responsables de leur propre manque de compétitivité. Le modèle social fra...

à écrit le 06/01/2024 à 11:33
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Ben ouais, l'environnement économique est exceptionnel aux États-Unis, dans la lignée des schizophrènes qui tous les jours (comme en Europe) nous abreuvent au "-je vais bien tout va bien!". Ça va tellement bien aux "States" que les nations du monde a...

à écrit le 06/01/2024 à 11:31
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on pouvait lire il y a 3 semaines, dans Courrier International, que un quart des jeunes américains veulent émigrer pour avoir une meilleure qualité de vie et une meilleure protection sociale. l'Europe attire. les Canadiens aussi semblent être tentés,...

le 06/01/2024 à 15:55
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On se console comme on peut en Europe mais le constat est implacable l'UE s'enfonce et l'Amérique du Nord rayonne. Si on étaient bons en Europe cela se serait vu depuis longtemps .

à écrit le 06/01/2024 à 10:35
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la recette du "succès" : 1700 milliards de déficit budgétaire fédéral (l'Europe maîtrise ses finances publiques, contrairement à Etats-Unis et Chine d'après un article Wall Street Journal du 22 octobre 2023). un taux d'épargne extrêmement faible, à 4...

à écrit le 06/01/2024 à 8:40
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Leur jeu, leurs règles, leur suprématie où contempler l'empire Américain.

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